«Un pays à réconcilier» dit Jean Djoman, directeur de Caritas

Côte d’ivoire: Urgence humanitaire et reconstruction

Abidjan, 14 avril 2011 (Apic) Répondre à l’urgence humanitaire, rétablir la sécurité en dans le pays et faire redémarrer les institutions, tels sont les premiers défis pour le président ivoirien Alasanne Ouattara. Jean Djoman, directeur du Département développement et promotion humaine de Caritas en Côte d’Ivoire et coordinateur de l’aide humanitaire, fait le point le 13 avril pour l’agence missionnaire MISNA, au lendemain de l’arrestation du président sortant Laurent Gbagbo.

Quelle est l’atmosphère qui règne aujourd’hui dans les rues d’Abidjan ?

Jean Djoman : Depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo, les gens se partagent en deux catégories : d’un côté, les partisans du président sortant, qui représentent 45% des Ivoiriens qui ont voté pour lui en novembre, et de l’autre, ceux qui attendaient depuis plus de quatre mois l’investiture à la présidence d’Alassane Ouattara. Même si les gens recommencent à sortir de chez eux, après de longues journées d’isolement forcé, l’atmosphère est encore tendue en raison de l’insécurité qui persiste dans certains quartiers d’Abidjan. Les habitants rentrent tôt chez eux le soir, car ils redoutent d’être agressés par des jeunes armés. On entendait encore mardi matin des coups de feu venant des quartiers de Yopougon et Cocody. Et puis il y a encore l’inconnue du fief d’Ouattara à Abobo, où sévit toujours ledit commando invisible d’Ibrahim Coulibaly. En attendant, la fourniture d’eau et d’électricité a repris dans presque toute la ville.

Quelles sont vos inquiétudes actuelles ?

J. D. : Comme beaucoup de mes compatriotes, j’espère que le passage de pouvoir se fera dans le calme et la sérénité. Le moment est venu de réconcilier tous les Ivoiriens et de travailler à la reconstruction de notre pays après toutes ces souffrances et ces dures années depuis 1995. De même, les poursuites judiciaires qui seront intentées contre Gbagbo relèvent d’une importance cruciale : quelles charges seront retenues contre lui ? Sera-t-il jugé par un tribunal ivoirien ou par la Cour pénale internationale ? La seule chose de sûre, c’est que pour éviter de nouvelles tensions, le nouveau gouvernement devra prouver concrètement sa volonté de poursuivre en justice tous les auteurs de crimes et violations commis dans les derniers mois. La justice doit être la même pour tout le monde, qu’il s’agisse des sympathisants de Gbagbo ou d’Ouattara.

Pour notre économie, qui est paralysée depuis longtemps, je suis confiant, même s’il faudra du temps avant de faire redémarrer notre système de production. La levée de l’embargo sur les ports d’Abidjan et de San Pedro est déjà une excellente nouvelle pour notre pays et pour tout l’Ouest de l’Afrique. Il ne nous reste plus qu’à nous mettre au travail, d’autant plus que nous disposons d’un important potentiel de ressources naturelles.

Quels sont les principaux enjeux qui attendent le président Alassane Ouattara ?

J. D. : Son plus grand défi est évidemment d’ordre politique, c’est-à-dire qu’il va devoir négocier non seulement avec l’opposition mais aussi avec la société civile pour faire redémarrer les institutions. Nous verrons bien s’il saura tendre la main au courant de Gbagbo et si celui-ci, une fois passé à l’opposition, saura jouer son rôle sérieusement et sereinement. Il faut espérer qu’il ne jouera pas la seule carte du boycott car c’est ensemble qu’il faudra relever les défis.

Un autre enjeu fondamental réside dans le désarmement des nombreuses milices présentes sur le territoire, surtout celles des anciennes Forces nouvelles, qui, avec le départ du pouvoir de Gbagbo, n’ont plus aucune raison de poursuivre leur lutte armée. Il y a aussi la question des hommes de Coulibaly qui contrôlent Abobo. Tout le monde sait que Coulibaly a des ambitions politiques. Mais ce n’est que par le biais du désarmement de tous ces combattants, y compris des Jeunes Patriotes de Ggabgo qui sévissent actuellement à Abidjan, que l’on pourra rétablir la sécurité et redonner confiance aux Ivoiriens et à leurs milliers de compatriotes réfugiés dans les pays limitrophes. Pour cela, nous avons besoin de l’aide politique de tous les membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Tout le monde sait que des miliciens libériens sont recrutés depuis des années en Côte d’Ivoire, et il n’y a pas qu’eux. Ouattara devra également faire face à la question de l’armée, qui connaît depuis longtemps de profondes divisions internes qui l’affaiblissent. Or, nous avons besoin d’une véritable armée nationale.

Encadré

L’urgence humanitaire

Dans l’immédiat, la Côte d’Ivoire doit faire face à l’urgence humanitaire, face à la pénurie et aux risques d’épidémies D’après les dernières estimations de Caritas, la seule agglomération d’Abidjan a besoin de 770’000 euros d’aides urgentes et l’Ouest du pays de 300’000 euros.

J. D. : Il faut instaurer des corridors humanitaires pour permettre aux coopérants d’entrer à Abidjan, qui est restée isolée treize jours durant, sans eau ni électricité ni médicaments ni vivres. Nous devons avant tout évaluer les besoins de milliers de déplacés internes, surtout dans les quartiers d’Abobo et d’Adjamé. Je pense que nous aurons bientôt à faire à une crise alimentaire et sanitaire : il faut immédiatement envoyer des médicaments, des vivres et des produits de base. Espérons que cela se réalisera rapidement avec la réouverture des ports et la reprise de la circulation terrestre entre le Nord et le Sud du pays.

Malheureusement, la saison des pluies a déjà commencé et des tonnes de déchets sont déjà amoncelés dans les rues d’Abidjan, ce qui pourrait contribuer à la diffusion d’épidémies de choléra ou autres. Dans mon quartier, à Port-Bouet (Sud), nous avons déjà eu deux victimes du choléra.

L’autre front difficile se situe à l’Ouest du pays, surtout à Duékoué, où les violences ont causé des centaines de victimes. Environ 40’000 déplacés se sont installés dans la mission catholique locale et ils ont besoin d’aliments et de médicaments.

Sans compter les milliers de réfugiés au Libéria, où se trouvent plus de 130’000 Ivoiriens, au Ghana, au Mali, au Burkina Faso et en Guinée. Eux aussi se heurteront bientôt à une grave crise humanitaire dans des contextes encore plus instables. (misna/ Véronique Viriglio/ mp)

14 avril 2011 | 14:52
par webmaster@kath.ch
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