Un nouveau prieur pour Taizé
La communauté oecuménique de Taizé a annoncé le 23 juillet 2023 que son prieur Frère Alois quittait sa charge. Son successeur, le Britannique anglican Frère Matthew entend continuer à faire vivre l’esprit de partage instillé par le catholique allemand.
«Frère Alois, qui a procédé à une consultation de tous les frères, transmettra cette année sa charge de prieur à Frère Matthew, de nationalité anglaise et de confession anglicane», indique un communiqué de la communauté oecuménique.
Le catholique allemand Alois Löser était depuis 18 ans à la tête de la communauté basée dans le village bourguignon de Taizé. La communauté monastique chrétienne a été fondée en 1944 par le pasteur protestant suisse Roger Schütz. Aujourd’hui la communauté rassemble une centaine de frères, catholiques et de diverses origines protestantes, issus de près de trente nations. Alois Löser a repris la direction de Taizé après que Roger Schütz ait été assassiné, en 2005, par une femme déséquilibrée.
Frère Alois (Alois Loeser) est né le 11 juin 1954 à Ehingen am Ries, en Allemagne. De confession catholique, il est entré dans la communauté de Taizé le 1er novembre 1974. Il est prieur depuis la mort de Frère Roger, le 16 août 2005.
Taizé, «une petite parabole de communion»
«Dix-huit ans après avoir succédé à Frère Roger, alors que le monde et l’Église ont tellement changé ces deux dernières décennies, j’ai senti que le moment était venu qu’un frère entré après moi dans notre communauté reprenne ma responsabilité», a confié Frère Alois au journal La Croix. Une nouvelle inattendue pour une communauté dont la règle ne fixe pas le terme ni la durée du mandat du prieur. «Je sentais la nécessité de faire entrer la communauté dans une nouvelle étape de son existence», a expliqué le religieux allemand. «L’Église et le monde changent tellement que je me demandais: quel est l’appel d’Évangile pour nous aujourd’hui?».
Le prieur a démenti tout lien entre son départ et l’affaire d’abus sexuels qui a marqué la communauté. En 2019 un frère avait été arrêté et placé en détention provisoire pour des faits de viol et d’agression sexuelle.
Le passage de relais se fera donc le 3 décembre 2023, 1er dimanche de l’Avent, après plusieurs événements majeurs pour la communauté de Taizé. Il s’agit notamment du grand rassemblement œcuménique prévu pour l’ouverture de la phase romaine du Synode sur l’avenir de l’Église et confié par le pape François à la communauté, le 30 septembre prochain. Puis l’invitation de Frère Alois à participer au synode lui-même.
Frère Matthew »a toute ma confiance pour assurer une continuité et prendre les initiatives appropriées pour stimuler notre communauté à être, selon l’intuition de son fondateur, une ‘petite parabole de communion’», affirme le religieux catholique dans le communiqué.
Frère Matthew, de son vrai nom Andrew Thorpe, est né le 10 mai 1965 à Pudsey, au nord de l’Angleterre. De confession anglicane, il est entré dans la communauté de Taizé le 10 novembre 1986. Il a accepté de répondre à quelques questions de cath.ch.
Avez-vous été surpris par votre nomination?
Frère Matthew: Absolument. Je ne m’y attendais pas du tout. Je savais que Frère Alois envisageait depuis un moment à remettre sa charge. Après consultation des autres frères, le choix du successeur s’est porté sur moi.
Frère Alois a évoqué le changement de l’Eglise et du monde et posé la question des réponses à lui donner. En rapport à cela, quelles orientations pensez-vous apporter à Taizé?
Je voudrais d’abord témoigner de mon immense reconnaissance pour Frère Alois. Après le moment difficile de la mort de Frère Roger, il a su admirablement bien assuré la continuité, et mettre en place un esprit de partage qui reste fortement ancré aujourd’hui. Ma première mission me semble donc de continuer à faire vivre cet esprit. Dans ce cadre, je voudrais encore enraciner davantage la collégialité et la coresponsabilité, qui sont également au coeur de Taizé.
Le processus synodal qui a cours dans l’Eglise catholique influence certainement notre façon de fonctionner. J’étais moi-même présent à Prague pour la phase européenne, et j’ai ressenti qu’il s’agissait de quelque chose de très fort, qui allait changer le visage du christianisme dans le monde.
L’affaire d’abus sexuel va-t-elle également avoir un impact sur l’organisation de la communauté?
Frère Alois n’a pas atttendu pour prendre des mesures par rapport à cela. Il est clair que le besoin de formation s’est fait plus accru. Les volontaires qui intègrent la communauté suivent maintenant une formation où l’on parle de ces choses. Le principal pour nous est de reconnaître la souffrance des victimes, que l’on ne peut pas effacer, d’être à l’écoute et de cheminer avec elles. Nous avons aussi reconnu le besoin d’un soutien extérieur sur ces questions. Nous sommes notamment en contact avec la Commission de reconnaissance et de réparation mise en place en France après l’enquête de la Ciase (2021).
De manière générale, nous nous reconnaissons comme en «formation continue de prises de conscience». Nous voulons améliorer la communication et l’écoute à l’intérieur de la communauté. Tout en continuant à vivre dans un esprit de confiance, qui n’exclut pas la vigilance.
Une nouvelle façon de parler aux jeunes s’impose-t-elle aujourd’hui?
Je ne pense pas qu’il s’agisse de parler aux jeunes, mais d’être avec eux, de les accompagner, d’être à l’écoute de leurs attentes, avec délicatesse. Tout cela dans le respect de la liberté, qui est l’un des fondements de Taizé.
Le passage de relais d’un catholique à un anglican signifiera-t-il un changement dans le style de management?
Je ne pourrais pas le dire. Nous vivons à Taizé dans un esprit d’unité dans la diversité, un aspect sur lequel nous sommes toujours en chemin. Nous apportons les dons de nos Eglises respectives, avec en tête l’injonction de Jésus «que tous soient un».
Mais je pense que ma nomination est aussi bien reçue dans la communion anglicane. Il y a dix jours j’ai rencontré avec Frère Alois Justin Welby (l’archevêque de Canterbury, Primat de l’Eglise d’Angleterre), qui s’est montré très content et touché de ma nouvelle mission. Quatre évêques anglicans sont également venus nous rendre visite à Taizé cet été. Cela pourra-t-il provoquer un sursaut d’intérêt pour la communauté et l’oecuménisme chez les jeunes anglicans? Je ne peux pas le dire, mais j’en serais heureux.
Nous continuons quoiqu’il en soit notre dialogue avec les diverses confessions chrétiennes. Nous avons ainsi rencontré le pape François en mars dernier, le patriarche orthodoxe Bartholomée Ier, ainsi que pasteur Jerry Pillay, secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises (COE), en 2022.
Connaissez-vous la Suisse?
Il se trouve que lorsque je suis entré dans la communauté, en 1986-1987, j’ai servi comme frère de contact pour les groupes suisses. J’ai donc rencontré beaucoup de Suisses, pendant ces premières années, et j’en garde un très bon souvenir. (cath.ch/cx/arch/rz)