L'imposition des cendres, rite de pénitence et d'ouverture du Carême, a attiré beaucoup de monde en 2025 | photo: JMJ nationale 2022 à Lausanne DR
Suisse

Un nouveau feu sous les Cendres?

Une fréquentation en hausse de la messe du Mercredi des cendres a été observée en Suisse romande. Le constat, certes, n’est pas généralisé, mais il fait écho à l’augmentation du nombre de catéchumènes. Comment interpréter ce retour de flamme? Entre réapparition des jeunes sur les bancs des églises, attrait pour les rites et inquiétudes face au monde, plusieurs pistes sont avancées par les prêtres interrogés.

Ce mercredi 5 mars, de nombreuses églises romandes, en particulier dans les cantons de Neuchâtel et Genève, ont fait «salle comble», au point de susciter des discussions entre curés. Ainsi 150 personnes étaient présentes à la célébration matinale des Cendres de la paroisse de la Sainte-Famille à La Chaux-de-Fonds. Parmi eux, un grand nombre de jeunes de 13 à 20 ans, souligne son prêtre modérateur, l’abbé Christophe Godel, qui a entendu le même son de cloche de la part de ses confrères neuchâtelois. «Je n’en ai jamais vu autant!» s’exclame-t-il.

Le bouche à oreille et les réseaux sociaux

S’étant requis auprès d’eux de leur motivation, l’abbé Godel pointe deux hypothèses à la présence montante des jeunes aux Cendres: le bouche à oreille et les réseaux sociaux. «Je n’étais pas vraiment informé sur le sujet, étant donné mon intégration récente au catholicisme, mais j’en ai beaucoup entendu parler sur les réseaux sociaux et ça m’a motivé à venir», lui a ainsi expliqué l’un d’entre eux. «Sur TikTok, ils parlent du Mercredi des cendres. Les gens vont regarder les vidéos, les liker et donc en recevoir de plus en plus et finir par en parler avec des amis», explique cette jeune fille. Un effet d’entraînement qui peut les amener à la messe, mais avec des amis. «C’est plus facile si on vient à plusieurs», ajoute-t-elle.

«J’en ai beaucoup entendu parler sur les réseaux sociaux et ça m’a motivé à venir.»

Cette cordée, l’abbé Thierry Schelling, curé modérateur de l’UP Eaux-Vives-Champel et administrateur de l’UP La Seymaz, à Genève, la constate lui aussi depuis quelques années, et elle a fait son petit effet aux Cendres! «Un jeune de langue anglophone, que j’ai préparé à la confirmation, a ramené avec lui une vingtaine de camarades à la messe du soir. Il y a une vraie soif de connaissances spirituelles chez les jeunes, d’ailleurs le nombre de catéchumènes est en hausse et là aussi les jeunes s’entraînent mutuellement.»

Des jeunes qui viennent d’eux-mêmes à l’église

L’ambiance et l’accueil chaleureux à l’église sont aussi cités par les jeunes interrogés par l’abbé Godel comme des facteurs motivants. «J’ai vu énormément de vidéos parler du Carême, raconte l’un d’entre eux, comme un temps de conversion pour ceux qui connaissent ou ne connaissent pas, s’y intéressent ou se sont éloignés. C’est une bonne opportunité pour se lancer ou solidifier sa relation avec Dieu.»

Même son de cloche à Fribourg, même si l’abbé Alexis Morard n’a pas observé d’affluence inhabituelle à la messe des cendres qu’il a présidée dans la paroisse de St-Maurice. Quoiqu’il en soit, il confirme un regain de sollicitations des jeunes. «Ce sont eux qui viennent à nous depuis quelques années, et c’est un peu nouveau.»

Les jeunes aiment venir à plusieurs à la messe | © Bernard Hallet

Près de 500 personnes pour les Cendres à St-Joseph, à Genève

En dehors du phénomène ‘jeunes’, de manière plus générale, et à l’instar de ce que plusieurs journaux français comme La Croix ou Famille chrétienne ont noté du côté de l’hexagone, la participation à la messe ouvrant le Carême a été plus importante en Suisse romande.

«J’ai eu plusieurs échos de confrères prêtres de Genève allant dans ce sens, souligne l’abbé Schelling. Nous ne nous attendions pas à autant de monde, du moins pour les paroisses de la ville, comme celle de St-Joseph par exemple, aux Eaux-Vives. Mais même à Thônex, une paroisse plus excentrée, c’était plein. C’est assez impressionnant.»

Trois célébrations, en effet, ont eu lieu ce jour-là à St-Joseph. Généralement, une dizaine de personnes se présentent à celle du matin, mais elles étaient 60 pour les Cendres. L’après-midi, 80 enfants qui suivent la catéchèse étaient au rendez-vous, et le soir, l’église a accueilli entre 350 et 400 personnes, de tous les âges, pour la plupart des têtes connues du curé modérateur. «Le ciboire était presque vide! relève l’abbé Schelling. Le Frère Pierre de Marolles [prieur du couvent des dominicains et qui anime des messes à St-Paul] m’a dit que de son côté ils se sont retrouvés à cours d’hosties à St-Paul tant il y avait du monde!»

«Ils se sont retrouvés à cours d’hosties à St-Paul tant il y avait du monde!»
abbé Thierry Schelling

À Sion aussi, lors de la messe célébrée par Jean-François Luisier à l’église du Sacré-Cœur, «il y a eu plus de monde que l’an passé. Toutes les tranches d’âge étaient représentées», indique l’abbé, qui ajoute avoir reçu le même écho de la paroisse de Bramois. Parmi les responsables de cures contactés par la rédaction, seul le diacre Pascal Tornay, de la paroisse de Martigny-Ville, dit n’avoir pas noté d’affluence supérieure aux années précédentes. «Il y avait du monde, l’église était pleine, mais pas plus que d’habitude, mais c’est vrai que nous étions en période de vacances.»

Un besoin de protection

Cet engouement pour les messes réjouit les célébrants. Mais à quoi l’attribuer? Pour Thierry Schelling, s’il reflète souvent un vrai désir de se mettre en route, d’apprendre, «il ne faut cependant pas être naïfs». L’augmentation du nombre des participants aux Cendres s’explique aussi, selon lui, par le stress induit par la dure conjoncture mondiale et la mauvaise santé du pape.

«En cette période d’incertitude internationale, de fin de règne au Vatican, les gens se raccrochent à ce qui les rassure. C’est un reflex religieux pré-chrétien. Pour certains, je parlerais même de fétichisme. Avant de faire confiance à Dieu, on veut s’assurer qu’il nous protège.» Lors des baptêmes, par exemple, l’abbé Schelling demande aux parents quelle est leur motivation première pour leur enfant, en leur proposant trois possibilités: entrer dans une communauté, devenir ami du Christ ou appeler la protection de Dieu. La grande majorité choisissent la troisième option, souligne-t-il.

Un besoin de participation sensorielle

Le curé répondant de Saint-Joseph avance encore une autre explication à l’affluence particulière constatée aux Cendres. «J’ai compris, au fil de mes années d’expérience, que les gens ont besoin de sortir de la célébration avec quelque chose de concret, de tangible entre leurs mains, comme une image, un rameau ou des cendres sur le front.» Pour le curé des Eaux-Vives, les gens ont besoin de cette participation sensorielle, de cette connexion au corps.

«Quand j’invite une maman à baptiser son enfant avec moi, et qu’elle met la main dans l’eau, une grande émotion la gagne souvent. Il faut donner du concret aux paroissiens, assure-t-il. Bien sûr, ceux qui communient reçoivent à chaque messe le corps du Christ, mais ils en sont tellement habitués en quelque sorte, qu’ils ne sont pas nécessairement à leur affaire.» En ce sens, le rituel du Mercredi des cendres ou des Rameaux attire, car il offre du nouveau.

La ritualité pour préserver son patrimoine

L’abbé Jean-François Luisier et l’abbé Alexis Morard remarquent, eux aussi, cet intérêt renouvelé pour la ritualité. Observant que cela concerne surtout les jeunes et que le phénomène est plus prépondérant en France, ils avancent d’autres pistes, comme un aspect identitaire qui passe par le désir de perpétuer la pratique. «Si on leur donne la place, les jeunes la prennent, affirme le Valaisan. Ils veulent du rite, du sens et du sacré. Ils ne discutent pas, par exemple, du mariage des prêtres.» Ils considèrent qu’ils ont un patrimoine entre les mains et ils veulent le préserver.

«Peut-être que, face aux musulmans qui pratiquent le Ramadan, les jeunes ont envie de revendiquer cette identité, notamment en recherchant des signes extérieurs de leur culture catholique», avance pour sa part l’abbé Morard. «Il est possible qu’à un certain moment on ait trop séparé les démarches extérieures et intérieures. Il faudrait, à présent, éviter que les signes extérieurs soient recherchés pour eux-mêmes. Car l’élan du cœur est essentiel si l’on veut vivre avec profit ce temps du Carême.» (cath.ch/bh/rz/lb)

L'imposition des cendres, rite de pénitence et d'ouverture du Carême, a attiré beaucoup de monde en 2025 | photo: JMJ nationale 2022 à Lausanne DR
13 mars 2025 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 6  min.
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