Un «contre-synode» sur l’Amazonie organisé à Rome par Bolsonaro ?
Le Synode sur l’Amazonie aura lieu en octobre prochain au Vatican. Inquiets par les critiques qui pourraient en résulter quant à sa gestion de la forêt amazonienne, le gouvernement de Jair Bolsonaro multiplie les pressions. Il envisage désormais de parrainer une sorte de «contre-synode».
L’idée est d’organiser un congrès à Rome un mois plus tôt pour montrer l’image d’un pays soucieux de préserver l’environnement. Et ce, alors même que le président brésilien vient d’annoncer sa volonté «d’exploiter l’Amazonie avec les Etats-Unis».
Jair Bolsonaro a-t-il peur du Vatican ? C’est en tout cas ce que laissent penser les tentatives de pressions initiées par le gouvernement depuis l’intronisation du nouveau président du Brésil, en janvier dernier. En jeu, le futur synode »Amazonie: nouveaux chemins pour l’Eglise et pour une écologie intégrale», qui se tiendra du 6 au 27 octobre à Rome. Un titre apparemment anodin, mais qui inquiète en plus haut lieu au sein du gouvernement du géant latino-américain.
Volonté de «neutraliser» le synode sur l’Amazonie
«Ce synode est préoccupant et nous voulons neutraliser cela», pouvait-on lire déjà le 10 février dans le quotidien Estado de Sao Paulo. L’auteur de ces propos, le général Augusto Heleno, chef de cabinet du Cabinet de Sécurité Institutionnelle (GSI), y expliquait que le gouvernement craignait les éventuelles critiques de l’Eglise au sujet de la gestion de l’Amazonie par le pouvoir en place.
Le militaire indiquait aussi que par les conclusions qu’il pouvait en tirer, «ce synode pouvait représenter une interférence à la souveraineté nationale du Brésil».
Critiques redoutées
Résumant l’avis de plusieurs membres du gouvernement, le général Augusto Heleno redoute en fait que le clergé critique les politiques gouvernementales qui sont en train d’être mises en place en Amazonie. Ces mesures vont probablement inclure une interdiction de nouvelles démarcations de réserves indigènes, l’ouverture à l’exploitation minière de celles existantes, et la construction de mégaprojets d’infrastructures (routes, voies ferrées, barrages hydroélectrique).
De quoi impacter de manière irréversible les zones de conservation et les réserves indigènes, entraîner une forte augmentation de la déforestation et mettre à mal les objectifs de réduction des émissions de carbone, sur lesquels le Brésil s’était pourtant engagé dans le cadre des accords de Paris de 2015.
Des espions dans les réunions préparatoires
La crainte de l’exécutif brésilien est telle que le gouvernement a même été jusqu’à formuler une demande de participation aux débats du Synode à laquelle le cardinal Claudio Hummes, évêque émérite de Sao Paulo et très proche du pape François, a apporté une fin de non-recevoir. «J’ai suggéré que le gouvernement sollicite l’ambassade du Brésil près le Saint-Siège, car il s’agit d’une question d’ordre diplomatique», avait indiqué le prélat au journal.
Le quotidien Estado de Sao Paulo avait également affirmé que l’Agence brésilienne de renseignement (Abin) cherchait, en y envoyant des agents de ses services, à observer les réunions préparatoires du Synode, notamment dans les paroisses de Manaus (Etat d’Amazonas), de Belém et Marabá (Etat du Para) et de Boa Vista (Etat du Roraima), au cœur de l’Amazonie brésilienne. Le Cabinet de Sécurité Institutionnelle (GSI) avait démenti ces propos dans un communiqué. Sans convaincre.
Montrer un Brésil «soucieux» de l’Amazonie
D’après le site Mongabay, journal en ligne indépendant spécialiste de l’environnement, le gouvernement envisage désormais de parrainer un congrès rival à Rome. Le site croit savoir que ce «contre-synode» serait programmé un mois à peine avant la rencontre des évêques avec le pape François.
Objectif ? Présenter «la préoccupation et l’attention du Brésil en ce qui concerne l’Amazonie». Pour ce faire, «le gouvernement souhaiterait mettre en avant des actions qu’il soutient pour protéger des zones de protections environnementales indigènes et quilombolas (réserves fondées par des esclaves fugitifs)».
Des vues opposées
D’ici l’automne, les tensions vont sans doute persister. Car sur le fond, il existe deux points de vue opposés en ce qui concerne cette région du monde. Celui de l’Eglise catholique, sous l’autorité du pape François, qui estime que l’Eglise et les nations doivent être des serviteurs de la Terre et des peuples traditionnels et indigènes les moins privilégiés.
A l’opposé, Jair Bolsonaro, et ses nombreux alliés parmi lesquels les «ruralistes» (ndlr, parlementaires représentants les intérêts de l’agrobusiness) et les évangéliques, voient l’Amazonie comme une ressource qui doit être exploitée et développée librement par les êtres humains.
Pour Rome, la surprise
A Rome, en tout cas, la position défensive démontrée par le gouvernement brésilien constitue une surprise. Le cardinal Lorenzo Baldisseri, secrétaire général du Synode des évêques, a admis que «l’attention prioritaire» serait portée sur les populations indigènes de la région amazonienne dans ses neufs pays (Brésil, Bolivie, Colombie, Pérou, Equateur, Venezuela, Surinam, Guyana, Guyane française). Cependant, il a tenu à indiquer que «les réflexions du Synode vont bien au-delà de la région amazonienne, car elles sont liées à toute l’Eglise et au futur de la planète». JCG
Bolsonaro veut exploiter l’Amazonie avec les Etats-Unis
«Lorsque j’ai rencontré Donald Trump à Washington, (ndlr, du 18 au 22 mars 2019) je lui ai dit que je voulais exploiter l’Amazonie en partenariat avec les Etats-Unis. Car dans l’état actuel, nous allons perdre l’Amazonie, qui est une zone vitale pour le monde», a expliqué le président Jair Bolsonaro au cours d’une interview radiophonique, le 8 avril 2019.
Interrogé sur le sens de «perdre l’Amazonie», Jair Bolsonaro est convaincu que «l’Organisation des Nations Unies (ONU) discute avec les indigènes sur la possibilité de créer de nouveaux pays au Brésil». Il a également accusé une minorité de personnes, au sein de la Fondation Nationale de l’Indien (Funai), l’organisme chargé de défendre les droits des peuples indigènes, «d’empêcher le développement de la région pour gagner de l’argent sur le compte des indigènes».
Revoir les démarcations
Au cours de l’interview, le président a également critiqué ce qu’il a appelé «l’industrie de la démarcation des terres indigènes», qui empêche le développement de l’Amazonie. Bolsonaro a affirmé que plusieurs démarcations de terres indigènes ont été réalisées sur la base de «rapports suspects», en citant les accusations de propriétaires terriens.
Le président a d’ailleurs confirmé qu’il entendait revoir toutes les attributions de terres aux peuples indigènes déjà réalisées et a défendu l’idée que les indigènes puissent vouloir vendre leurs terres. «L’indien est un être humain comme vous et moi. Il veut l’électricité. Il veut des soins dentaires et médicaux. Il veut internet».
Une obligation constitutionnelle
Le président n’a cependant pas mentionné comment il comptait parvenir à ses fins. Un problème réel puisque la Constitution de 1988 attribue à l’Etat l’obligation de démarquer des terres indigènes destinées à la survie des peuples natifs. Disséminées sur l’ensemble du territoire, ces terres représentent 14% de la superficie totale du Brésil et, sauf situations exceptionnelles, ne peuvent être exploitées que par des Indiens. (cath.ch/jcg/be)