Rome: Pourquoi et comment les papes changent de nom
Un choix qui reflète souvent les opinions du souverain pontife
Rome, 13 mars 2013 (Apic) Comme ses prédécesseurs, le futur pape troquera son nom de baptême pour un nom de règne. Se choisir un nom pour un souverain pontife fraîchement élu est l’un des tout premiers actes inaugurant son pontificat. Le choix de ce nom reflète bien souvent ses opinions et les tendances de son époque.
Le nom, choisi par l’intéressé lors de son élection par les cardinaux, est proclamé immédiatement Urbi et Orbi, à la ville et au monde, selon la célèbre formule, Habemus papam, suivi du nom de baptême de l’élu et de son nom de pontife. Ce nom lancé à la foule par le cardinal proto-diacre depuis le balcon central de la basilique Saint-Pierre est parfois vu comme un signe du programme du nouveau pontificat. Ce choix sera décortiqué, analysé et commenté par les spécialistes. Il n’est donc pas anodin et relève d’une antique tradition.
Le premier des papes, l’apôtre Pierre, est aussi le premier à changer de nom. C’est Jésus lui-même qui change le nom de Simon en celui de Pierre, par l’un des jeux de mots les plus célèbres de l’histoire : «Tu es Pierre et sur cette pierre j’édifierai mon Eglise».
Une transformation intérieure
Par analogie avec le rituel du baptême, la prise d’un nouveau nom par le pape a, en théorie, pour vocation d’opérer une transformation intérieure de l’être et de le faire accéder à une vie nouvelle. Le nouveau nom du pape se veut en quelque sorte une promesse et un présage.
Outre Pierre, sur 265 papes recensés, 130 ont changé de nom au moment de leur élection. La tradition du changement de nom lors de l’élection pontificale a été établie en 955 par Jean XII et a perduré depuis, à l’exception de deux papes. Adrien VI (1522-1523), le dernier pape non italien avant Jean Paul II (1978-2005), et Marcel II (1555) conservent leurs noms de baptême. Ce n’est qu’avec Urbain IV en 1261, que l’habitude est prise de faire suivre son nouveau nom d’un numéro d’ordre, qui classe ce prénom à la suite des papes ayant porté le même nom.
Un pape Mercure…?
A l’origine, les papes de l’antiquité échangent leur nom païen contre un nom chrétien. Le premier pape (historiquement recensé) à avoir opté pour un nouveau nom semble avoir été Jean II (533-535). Il estimait que son patronyme de Mercure ne pouvait pas convenir à un évêque de Rome. C’est Jean XIV (983) qui, se prénommant Pierre, considéra comme immodeste de monter sur le trône du fondateur de la papauté, en portant son nom. Depuis, tous les papes ont respecté cette règle. Enfin, c’est Albino Luciani qui inaugure en 1978 le choix d’un prénom composé, en devenant Jean Paul Ier, en mémoire de ses deux prédécesseurs. Karol Wojtyla conserve ce nom quelques semaines plus tard.
Pour certains papes, le choix d’un nouveau nom est même le troisième de leur existence, ayant appartenu à un ordre religieux avant d’être élu pape. Elus au sommet de l’Eglise, ils ne reprennent jamais leur nom monastique. Le dernier exemple a deux siècles. Grégoire XVI (1831-1846), de son nom de baptême Bartolomeo, devient frère camaldule sous le nom de Maur, puis pape sous celui de Grégoire, nom passé de mode depuis plus de deux siècles. Il prend ce patronyme en l’honneur de Grégoire le Grand (540-604).
La papauté des Pie
Le choix d’un prénom par le nouveau pape répond à différentes logiques, qu’il n’est pas toujours facile d’éclairer. De 1775 à 1958, sur 11 papes, il y a eu sept Pie, de Pie VI (1775-1799) à Pie XII (1939-1958), au point que l’on parle de «papauté des Pie». Les souverains pontifes choisissent bien souvent le même nom que leur prédécesseur immédiat ou proche, par respect, admiration ou reconnaissance, marquant aussi la volonté de marcher dans leurs pas ou de poursuivre les grandes orientations des pontificats concernés.
Eugenio Pacelli prend ainsi le nom de Pie XII, parce qu’il est lointainement apparenté à Pie IX (1846-1878), mais aussi par reconnaissance à Pie X (1903-1914) qui l’a nommé à la curie et qu’il élève à la gloire des autels en 1954, et enfin en reconnaissance directe à Pie XI (1922-1939) qui l’a fait cardinal et secrétaire d’Etat. De même, le cardinal Luciani, choisit-il le double nom de Jean Paul en 1978, en référence à l’œuvre de réforme de ses deux prédécesseurs qu’il se doit de conclure. Karol Wojtyla, élu dans le climat de vive émotion qui suit la mort brutale de son prédécesseur, n’a pas d’autre motif pour perpétuer le choix de son éphémère prédécesseur.
Jean et Paul
Choisir en revanche un nom pontifical différent de celui de son prédécesseur a parfois pu être considéré comme une volonté d’innovation, voire de rupture avec le précédent pape. En 1963, certains s’étonnent de voir le cardinal Montini prendre le nom de Paul VI et non celui de Jean XXIV. Mais le cardinal se prénomme Giovanni Battista, ce qui l’empêche de prendre le nom de Jean.
Plus encore, le choix original du prénom Paul, inusité depuis 1621, est une surprise. Pour l’archevêque de Milan, la référence à Paul V Borghèse (1605-1621) qui appliqua strictement les règles du concile de Trente et canonisa le Milanais Charles Borromée, est indéniable. Le choix du prénom de l’apôtre missionnaire est aussi révélateur d’un pontificat qui inaugure la pratique des voyages apostoliques à l’étranger, et tente de restaurer la communion entre Rome et l’Orient.
Il est aussi difficile de déterminer dans quelle mesure ce choix de nom s’opère spontanément où est le fruit d’une réflexion mûrie avant le conclave. Jean XXIII, en 1958, donne aux cardinaux une explication très détaillée de son choix. Il choisit le prénom Jean en référence à son père et au nom du saint patron de sa paroisse d’origine. Il se réfère aussi au prénom de l’évêque de Bergame dont il a été le secrétaire, et au nom de l’apôtre préféré de Jésus. Mais il fait surtout ce choix, parce que, selon lui, le prénom Jean est «un nom doux, un nom suave, un nom solennel, rappel ou invitation à aimer toujours, même quand la voix ou la plume ont le devoir de condamner».
Clore une controverse
Aucun pape n’avait porté le prénom de Jean depuis cinq siècles. De plus, le dernier à l’avoir porté était un antipape, lui aussi nommé Jean XXIII. Selon le cardinal Paul Poupard, ancien président du Conseil pontifical pour la culture, c’est un choix volontaire et plein d’humour de la part du cardinal Roncalli. Au lendemain de son couronnement, il envoie à des amis une carte postale du tombeau de son prédécesseur homonyme, et décide ainsi de clore une controverse vieille d’un demi-millénaire, en privant un usurpateur de son nom de pape.
Comme Jean XXII, Benoît XVI explique rapidement le sens de son nom. Dès sa première audience générale, il assure l’avoir choisi en référence à Benoît XV, pape «courageux» et «authentique prophète de paix» qui avait guidé l’Eglise dans la période difficile de la Première Guerre mondiale. Il évoque également saint Benoît, père du monachisme occidental et co-patron de l’Europe. Le nouveau pape assure alors que saint Benoît a représenté «un point de référence pour l’unité de l’Europe et un fort rappel aux racines chrétiennes de sa culture et de sa civilisation, auxquelles on ne peut renoncer».
Encadré
Dans l’histoire de la papauté, les Jean arrivent largement en tête avec 21 papes portant ce prénom, suivis par les Grégoire et les Benoît au nombre de 15. Les Clément sont 14. Il faut aussi compter 13 Léon et Innocent et 12 Pie. S’il y a effectivement Jean XXIII et Benoît XVI, leurs numéros d’ordre tiennent aussi compte des antipapes. Ainsi, pour arriver aux 21 Jean, il faut soustraire à la liste des successeurs de Pierre, l’antipape Jean XVI (997-998) et Jean XX qui n’a sans doute jamais existé. De même à la liste des Benoît, il faut retirer l’antipape Benoît X (1058-1059).
Parmi les noms que pourrait prendre le futur pape figurent ainsi Jean XXIV, Grégoire XVII, Léon XIV, Clément XV, Boniface X ou Innocent XIV. Benoît XVII, Jean-Paul III et Pie XIII sont également possibles, mais moins probables. Il existe encore nombre de noms, et la possibilité également de choisir un nom qui n’a jamais été porté par un pape. (apic/imedia/hy/ami/rz)