Un Chemin synodal à l'allemande «n'est pas d'actualité en France»
Le Chemin synodal allemand a pris fin à Francfort, le 11 mars 2023. Mgr Didier Berthet, évêque de Saint-Dié, présent en observateur pour la Conférence des évêques de France depuis le lancement du processus trois ans plus tôt, a livré à I.MEDIA son analyse sur ce «Synodaler Weg« à l’issue de sa dernière session.
Camille Dalmas, I.MEDIA
Après trois jours de discussion intense, le Chemin synodal allemand vient de prendre fin. Vous qui avez suivi depuis son départ cette démarche, quelles sont vos premières impressions?
J’éprouve du respect vis-à-vis de l’Église catholique en Allemagne, que je trouve courageuse, sérieuse, avec un vrai souci pour l’Église universelle. Je crois qu’on a eu trop peur d’un «schisme allemand», ou d’une forme de nationalisme catholique allemand. Je n’ai pas du tout ressenti cela ici. Cette démarche du Chemin synodal porte bien son nom, c’est un engagement commun pris par les évêques et le Peuple de Dieu en Allemagne pour avancer ensemble.
Ce Chemin se termine, car il ne pouvait pas continuer indéfiniment. J’ai l’impression que les catholiques allemands ont posé des questions qui ne sont pas forcément nouvelles, mais qui sont brûlantes dans notre société: les questions du genre, de la place de la femme, de la morale sexuelle. Ils les ont posées avec beaucoup de courage, même si on peut discuter des conclusions auxquelles ils sont parvenus.
C’est, d’une certaine manière, un service qu’ils ont rendu à l’Église universelle. Le contexte dans lequel ces questions ont été traitées est particulier, et j’essaye de l’expliquer à mes amis français. Il y a ici une sensibilité très forte aux interactions entre l’Église et la société. Cela pousse l’Église à avoir une parole sur les grandes questions sociales, sans doute de manière plus pressante encore que chez nous.
Cette sensibilité sociale que vous décrivez est très liée aux structures économiques de l’Église catholique en Allemagne, qui est le troisième employeur du pays, via sa Caritas notamment. Nombreux sont ceux à souligner la grande richesse sur laquelle le Chemin synodal a pu s’appuyer. Faut-il voir aussi dans ce Chemin synodal une forme d’auto-préservation de ce modèle économique ?
Je pense que certains questionnements sont tout à fait légitimes. J’ai cependant été déçu par certaines formules du Saint-Siège sur le Chemin synodal, que j’ai trouvées un peu rapides, désinvoltes ou peu respectueuses vis-à-vis du sérieux de cette démarche ecclésiale.
Vous faites référence aux remarques du pape sur l’élitisme du Chemin synodal ?
Oui, ou quand il a déclaré qu’il y avait déjà une Église évangélique en Allemagne et qui ne fallait pas qu’il y en ait une deuxième. Je trouve que c’est trop rapide comme formule. À propos de la question financière, je ne sais pas. Peut-être est-elle en sous-main, mais je n’ai absolument pas ressenti cela ici. Il est néanmoins certain que l’Église occupe en Allemagne une place très importante à travers des organisations sociales, caritatives, universitaires. Toutes ces réalités matérielles sont liées à l’impôt d’Église, spécificité allemande. Il y a dans cette réalité à la fois une source de force et de grande influence dans la société, mais aussi une source de grande inquiétude, parce que les statistiques sont données chaque année sur le nombre de sorties de l’Église, et que le nombre de fidèles baisse nettement. Je perçois une Église qui, pas forcément pour des raisons financières, mais certainement pour des raisons pastorales et missionnaires, est très inquiète du départ d’autant de personnes.
Cette question structurelle propre à l’Église en Allemagne n’est jamais abordée par le Chemin synodal. S’agit-il d’un angle mort du processus ?
Je ressens d’abord, dans le contexte historique et politique actuel allemand, une Église qui a le souci de ne marginaliser personne, qui se veut extrêmement inclusive, qui se veut pour tous. Une Église où chacun peut avoir sa place, quel que soit son genre, son orientation sexuelle, sa condition dans le monde. C’est le leitmotiv de ce Chemin synodal. Un autre leitmotiv, présent depuis le début du processus, est la crédibilité. La crise des abus sexuels, en Allemagne, a eu un retentissement énorme – comme en France, mais depuis plus longtemps. Ici, il y a une volonté de l’Église de regagner sa crédibilité en se pensant comme une Église plus inclusive, une Église qui accueille tout le monde au nom de l’Évangile, et qui donne à tous une part de responsabilité dans la vie ecclésiale. C’est le fond de la démarche du Chemin synodal selon moi.
En tant qu’observateur, quels enseignement tirez-vous de ce Chemin synodal pour l’Église en France ?
Je pense qu’une telle démarche, sous cette forme, n’est pas d’actualité en France. Nous avons une autre manière de nous ouvrir à la synodalité. Vous avez pu voir une évolution du travail des évêques ces dernières années au sein de la conférence. Il y a eu beaucoup de sessions de type synodal, notamment à Lourdes où plusieurs demi-journées ont été consacrées à l’accueil de délégués de nos diocèses, par exemple sur la question écologique ou d’autres questions. Il y a aussi une sensibilité moins grande entre société et Église catholique en France, notamment du fait de nos histoires de laïcité.
L’Église a une empreinte beaucoup moins importante dans la société en France qu’elle ne l’a en Allemagne. Cela nous donne une certaine liberté par rapport à un certain nombre de tensions et de revendications qui se font jour dans la société. Mais peut-être devrions nous apprendre à communiquer plus, à avoir une parole plus forte vis-à-vis de la société. L’Église, en France, me semble traversée par d’autres problèmes qui sont plus d’ordre interne. Par exemple, la façon dont elle peut mieux accueillir et intégrer des chrétiens de sensibilité dite «traditionaliste», qui sont nombreux et fort visibles dans le paysage catholique français.
Certains sujets votés ici, comme le mariage des prêtres, le diaconat féminin, les bénédictions homosexuelles, trouvent-ils un écho en France ?
Ces sujets existent, mais peut-être plus sous la forme de questions que comme des revendications fortes comme ici. Mais cela pourrait venir, et je vois dans ce Chemin synodal une sorte de service, de «contribution», un mot qui est souvent revenu dans les interventions. Les Allemands contribuent ici au Synode sur la synodalité et à la poursuite du chemin missionnaire de l’Église dans toutes les évolutions de la société.
Une des caractéristiques les plus frappantes du Chemin synodal est aussi sa dimension démocratique, avec l’omniprésence du vote. Le pape François a clairement affirmé que la synodalité n’est pas parlementaire. Voyez-vous une contradiction entre sa consigne et le mode de fonctionnement du Chemin synodal allemand ?
Le format du Chemin synodal est très particulier. C’est un format temporaire, qui, quand on regarde bien le règlement, sauvegarde un vote spécifique des évêques – tout texte doit être adopté aux deux tiers par ces derniers. C’est une garantie importante. Tout cela, ce sont des règlements qui sont très contingents. Et après ce Chemin synodal, la vie de l’Église reprend, avec l’autorité épiscopale dans chaque diocèse, mais vécue dans la synodalité.
J’ai noté les préventions du Saint-Siège contre la création d’un ›conseil synodal’ que les Allemands voulaient mettre en place pour continuer à incarner l’esprit de ce Chemin synodal, mais d’une autre manière. Ce projet n’est pas ficelé, un comité synodal a été élu pour travailler dessus pendant trois ans. Personnellement, je n’ai pas de peur de ce conseil, et ne le vois pas comme une remise en cause de l’autorité épiscopale. Je pense qu’elle sera sauvegardée, mais avec un plus grand partage.
C’est quelque chose que vous envisageriez pour votre diocèse ?
La synodalité, c’est un peu comme la prose de Monsieur Jourdain, lorsque je me lève le matin, je ne cesse de rencontrer des laïcs, de travailler avec eux, je ne prends les décisions qui concernent ma charge pastorale que dans le cadre de mon conseil épiscopal dans lequel siègent trois femmes, un diacre… une représentation synodale en somme. Je crois qu’il y a une vision mythique de la monarchie épiscopale qui ne correspond plus du tout à ce que nous vivons.
Dès lors, si cette synodalité existe déjà, si les structures existent déjà avec le conseil épiscopal, pourquoi y a-t-il besoin d’un conseil synodal ?
Peut-être s’agit-il d’accentuer encore plus cette culture de la synodalité, et je veux bien me remettre en cause pour progresser. Mais il est important de dire que cette question du conseil synodal ne part pas de rien. Et, dans les chantiers lancés par le Chemin synodal allemand, cette question me préoccupe beaucoup moins que d’autres.
Par exemple ?
Le Chemin synodal allemand effectue une large remise en cause de l’anthropologie biblique et chrétienne traditionnelle. Cela naît d’une forme de hantise à propos de l’égalité et de l’accueil de tous. Il y a ici une forme d’effacement des charismes différents qui existent entre homme et femme, qui sont une richesse de l’Église. Ces charismes, bien entendu, ne signifient pas qu’il faut reléguer les femmes à des fonctions subalternes. Je trouve cela plus préoccupant, en fils de Jean-Paul II, marqué par un enseignement très fort et très beau sur la dignité et la place de la femme, et sur les charismes particuliers entre masculinité et féminité dans l’Église. Il y a peut-être ici un risque de gommer cela, d’abandonner ce qui est une richesse au nom d’une préoccupation légitime : celle que chacun puisse être respecté dans sa dignité.
Que faut-il tirer du Chemin synodal allemand pour le Synode qui va se réunir à Rome cet automne ?
La synodalité n’est pas le seul profil de l’Église. Je me réfère à un texte très fort du Concile Vatican II, sur le mystère de l’Église. Le Concile reprend cette belle phrase prononcée par saint Cyprien au IIIe siècle qui dit : l’Église est un peuple qui tire son unité de l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il y a donc une source trinitaire à l’Église. Elle est Peuple de Dieu – tous les membres ont une pleine égalité, c’est sa dimension synodale – qui marche ensemble dans l’histoire. Mais elle est aussi Corps du Christ, dans lequel l’épiscopat est fondateur et central. Et elle est enfin Temple de l’Esprit, c’est-à-dire qu’elle respire les différents dons et charismes de l’Esprit saint. Pour moi il est très important de tenir ces trois profils de l’Église ensemble. (cath.ch/imedia/cd/mp)