Mgr Bustillo, l'évêque de Corse qui plaît au pape François
François-Xavier Bustillo est né en 1968 à Pampelune en Espagne dans une famille catholique : aîné de quatre enfants, son père est militaire. Sa famille, confiera-t-il plus tard, a « nourri » sa foi et lui en a transmis la « solidité », faisant grandir en lui, dès son plus jeune âge, sa vocation. À dix ans, il rejoint le petit séminaire franciscain de la vallée de Baztan, à proximité d’Espelette en France. Mais ses motivations n’étaient à l’époque « pas mystique » : il est simplement séduit par l’organisation de camps d’été que proposaient ce nouvel établissement.
Un franciscain
L’exemple des autres frères, dans cet établissement, le mène à rejoindre le noviciat des Frères mineurs conventuels, les «cordeliers», à Padoue en 1985. Il ne reviendra que rarement chez lui, uniquement pour quelques jours de vacances. Dans la ville de saint Antoine, auquel est très attaché Mgr Bustillo, le jeune novice apprend à vivre en suivant une règle, s’émerveillant de rencontres avec des missionnaires du monde entier.
Alors qu’il suit cinq années de formation théologique, il envisage un temps de partir en Afrique. En 1987, il prononce ses premier vœux. En 1992, il devient profès solennel, et s’engage définitivement dans l’ordre. Il rejoint alors Toulouse, pour poursuivre ses études au sein de l’université catholique, avec une maîtrise de théologie qu’il obtient en 1997. Entre temps, il devient diacre en 1993 et est ordonné l’année suivante à Pampelune, dans sa ville de naissance, par le cardinal Fernando Sebastian Aguilar. Pendant ses années à Toulouse, il perfectionne son français, qu’il parle avec l’accent chantant du sud-ouest.
Apostolat en terre déchristianisée
Après son ordination, il est envoyé avec deux autres frères pour rouvrir le couvent Saint-Bonavenure à Narbonne, haut lieu de son ordre, où il s’installe. En plein pays cathare, dans lequel il a la charge de plusieurs paroisses, il est frappé par l’anticléricalisme ambiant, qu’il perçoit comme un défi dans sa charge. Il a souvent recours au dialogue par le sport – il pratique le tennis et s’intéresse au volley et au rugby. Il est membre du conseil épiscopal de son diocèse de Carcassonne-Narbonne entre 2007 et 2018.
Entre 2006 et 2018, il exerce la charge de provincial des Frères franciscains conventuels de France et de Belgique. En 2018, il déménage pour devenir gardien du couvent Saint-Maximilien-Kolbe à Lourdes, et se retrouve chargé par Mgr Nicolas Brouwet de la protection des mineurs et des personnes vulnérables du diocèse de Tarbes et Lourdes, et une nouvelle fois, membre du conseil épiscopal.
Une « ascension » spectaculaire
En 2021, il publie La vocation du prêtre face aux crises : La fidélité créatrice (Nouvelle Cité), un ouvrage traduit en italien que le pape François va lire et offrir aux prêtres du diocèse de Rome lors de la messe chrismale en 2022. Entre temps, le pontife décide de nommer François Bustillo évêque d’Ajaccio le 11 mai 2021. Il est ordonné évêque par Mgr Aveline, archevêque de Marseille, dans la cité impériale le 13 juin 2021.
En Corse, sa nomination fait vite l’unanimité. « Il est partout, à toutes les fêtes locales et il a très vite rencontré tous les prêtres… cela plaît, et on a vite oublié qu’il n’était pas né ici », raconte un curé de son diocèse à I.MEDIA. L’évêque se réjouit de la « belle amitié » qu’il a réussi à nouer avec la population de son diocèse, lui qui s’est fait un soutien sans faille de la rédécouverte du riche patrimoine chrétien de l’île en encourageant le chant polyphonique et les confréries.
Le choix inattendu du pape François de créer cardinal ce tout jeune évêque – depuis à peine deux ans – en juillet dernier a été la source d’une immense fierté parmi les Corses. Ils seront plus de 800 à l’accompagner à Rome pour célébrer cet événement – la création du premier cardinal-évêque d’Ajaccio. « Nous espérons seulement qu’il restera longtemps chez nous », confie à I.MEDIA un jeune Corse qui fera le déplacement le 30 septembre prochain. (cath.ch/imedia/mp)
Un cardinal à Ajaccio, «c’est original», confie Mgr Bustillo
I.MEDIA a interrogé Mgr Bustillo sur les défis de cette nouvelle mission.
Le 30 septembre, le pape François vous créera cardinal. L’annonce de cet événement avait suscité la surprise en juillet. Deux mois après cette annonce et à l’approche du consistoire, arrivez-vous à expliquer pourquoi le pape vous a-t-il choisi ?
Je ne le sais pas ! Je n’ai pas rencontré le pape depuis. Il m’a écrit et j’ai eu quelques contacts avec son entourage proche, mais je ne l’ai pas encore eu personnellement, donc je ne pourrai pas vous répondre [l’entretien a été effectué à la veille du voyage du pape à Marseille lors duquel les deux hommes se sont croisés, NDLR]. Il y a des gens, autour de moi, pour dire que c’est parce qu’il a aimé mon livre [le pape avait offert son livre, La vocation du prêtre face aux crises: La fidélité créatrice (Nouvelle Cité, 2021) à la Curie en 2022 à la fin de la messe chrismale, NDLR]. Je pense qu’il a pu apprécier mon livre, mais des livres sur les prêtres, il y a en a des milliers. De-là à me faire cardinal, j’imagine, et j’espère qu’il a fait une bonne enquête sur mon travail d’évêque en Corse. Je ne peux donc pas vous dire pourquoi. Moi j’étais surpris. Généralement, on crée cardinal l’évêque de Paris ou de Lille. L’évêque d’Ajaccio, c’est original !
Les papes ont souvent créé cardinaux des évêques des grandes villes de France, les fameux « sièges cardinalices ». Mais c’est quelque chose que le pape François a fortement déconstruit ces dernières années par ses choix. En France, les cardinaux qu’il a choisis sont des évêques du sud. Y voyez-vous un signe de la part du pape ? Tout comme il a choisi de venir à Marseille et non à Paris…
Je pense que le fait que Jean-Marc Aveline soit cardinal à Marseille, et moi en Corse, dans une île, semble montrer que le pape veut mettre en avant la place de la Méditerranée comme berceau de civilisations. On voit qu’autour de nous, et autour de la Méditerranée, on se déshumanise, là où le propre d’une civilisation est d’humaniser. Le fait qu’il me nomme et qu’il vienne à Marseille signifie peut-être sa volonté de ne pas oublier les racines de la Méditerranée. Je viens d’une île qui a connu beaucoup de combats, beaucoup d’invasions. C’est un lieu avec une identité catholique et culturelle très forte. Avec ces choix, il semble mettre en valeur des lieux périphériques mais mieux placés d’un point de vue culturel et géopolitique. Le pape a une vision géopolitique assez fine, par exemple dans son choix de se rendre en Mongolie, où il y a peu de catholiques mais qui est placée entre la Chine et la Russie.
La Corse a-t-elle une place stratégique en Méditerranée?
Oui, on n’est pas loin de Rome, de l’Italie. On est proche de la France. Nous sommes dans une position pour créer des liens, de la fraternité, un point sur lequel le pape insiste beaucoup. Nous vivons dans une société très fratricide, on retrouve de la violence sur les réseaux sociaux, dans le discours des hommes politiques, et parfois même dans l’Église. En mettant la fraternité au cœur de la Méditerranée, le pape nous dit qu’il faut créer des ponts au lieu de dresser des murs.
Un cardinal a souvent des missions à Rome, notamment en tant que membre d’un ou de plusieurs dicastères. Dans un livre-entretien Le cœur ne se divise pas (avec Mgr Edgar Peña Parra et Nicolas Diat, Fayard, 2023), vous confiez mettre un point d’honneur à rencontrer toutes les personnes qui font partie de votre diocèse, quitte à passer beaucoup de temps dans votre voiture. Comment comptez-vous faire pour mener de concert cette mission épiscopale en Corse et celle qui vous attend à Rome?
Je n’ai pas encore rencontré le pape et je ne sais pas encore ce qu’il va me demander. Ce qui me semble très important, c’est de bien articuler le côté local, parce que je suis un évêque et que je reste un évêque. Et en même temps, je suis cardinal, avec une mission universelle. À Rome, j’aurai une paroisse qui représente cela. Il faudra que j’apprenne, c’est une école, à bien articuler local et universel, en Corse, comme je le fais depuis deux ans, et comme cardinal. J’attends de savoir ce que le pape veut de moi, mais je vais vivre avec passion et joie ces prochaines années, de la même façon que je vis avec passion mon service auprès des Corses, avec lesquels j’ai noué une vraie amitié. Je l’ai ressentie en particulier au moment de ma nomination, beaucoup de gens m’ont appelé, ou s’en sont réjouis dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ils sont fiers de leur pasteur, et moi je dois honorer cette confiance. Je ferai de mon mieux pour continuer à les servir.
Quels sont les enseignements que vous avez retirés de vos deux années comme évêque en Corse?
Le plus important pour moi, c’est qu’un pasteur, un évêque, doit vivre et pratiquer la proximité. C’est aussi pour cela qu’aujourd’hui, je suis aimé par les Corses et reçois autant de signes d’affection quand je vais dans les villages. Une anecdote : l’autre jour, j’allais faire quelques courses et une dame me voit en habit franciscain et me dit : « Mais vous êtes l’évêque ? ». Je réponds oui. « On vous aime ! ». Et elle s’en va ! Il y a ce côté spontané. Ou encore, dans l’aéroport, la dame qui faisait passer les bagages voit la croix pectorale en métal que je viens d’enlever et me demande si elle peut l’embrasser. Une réelle proximité.
Moi depuis le début, je voulais être présent à côté des Corses, dans les villes, dans les paroisses, mais aussi dans les villages. Et une fois que les messes sont dites, il y a une forte dimension fraternelle, amicale. Et cette proximité, pour mon épiscopat, a une fécondité. Parce que les gens apprécient, et parce qu’il est juste, je le crois, que l’évêque soit présent.
En plus de la proximité, il est aussi important que l’évêque se donne. Quand j’ai dit oui à l’épiscopat, alors je savais que je devrais me donner, que je serais fatigué. Je cours à droite, à gauche, je fais des heures de route, mais je dois être cohérent avec ce choix. Je dois honorer les Corses. L’évêque ne doit pas prendre ou profiter mais se donner aux autres. Ces deux aspects, proximité et don de soi sont importants pour être cohérent avec la mission qu’on m’a donnée.
La Corse a un lien historique important avec Rome, par exemple avec la Garde corse papale au XVIIe siècle. Vous sentez un attachement de la Corse pour le trône de Pierre?
Oui. Le fait qu’il y ait autant de Corses qui viennent pour le consistoire le 30 est un signe. Tout de suite après ma nomination, j’ai été à Rome pour des questions pratiques et liturgiques. Nous avions alors demandé une église de 300 places pour célébrer une messe avec les Corses, au lendemain du consistoire. Mais il s’est vite avéré que celle prévue était trop petite. Il y a eu un tel tsunami d’inscriptions ! On sait maintenant qu’on sera plus de 800 Corses. Nous avons donc changé d’église et nous serons accueillis dans une grande basilique, celle des Santi Apostoli. Les Corses n’ont pas de problème à se déplacer à Rome, c’est « à côté » pour eux. Et c’est un signe.
Le cardinalat est collégial, vous allez donc devoir rencontrer les autres cardinaux, notamment ceux qui seront électeurs en cas de conclave. Avez-vous déjà eu des contacts avec certains d’entre eux?
Oui, avec un en particulier, celui qui m’a ordonné évêque : le cardinal Aveline. Il était aussi mon premier évêque. C’est un signe puissant. J’en connais quelques autres aussi. Beaucoup que je ne connais pas m’ont écrit lors de l’annonce, avec beaucoup de délicatesse, notamment en provenance des États-Unis. J’espère pendant le consistoire avoir la possibilité de contacter et de connaître les autres cardinaux. Et il y aura aussi du temps entre le consistoire et le début du synode. (cath.ch/imedia)
Le cœur ne se divise pas (Fayard, 2023)
Dans Le cœur ne se divise pas, ouvrage de 266 pages, Mgr François-Xavier Bustillo et Mgr Edgar Peña Parra, substitut de la secrétairerie d’État, échangent avec Nicolas Diat, écrivain français, et éditeur, notamment du cardinal Robert Sarah. Le texte est brièvement préfacé par le pape François, qui loue la « douceur spirituelle » de l’entretien. Ses auteurs, souligne-t-il, partagent le « grand et noble souci de l’unité » de l’Église. « Cette conversation fera du bien aux âmes », conclut-il.
Si l’évêque de Corse est une personnalité publique connue, notamment à travers ses ouvrages, le substitut vénézuélien n’a pas l’habitude de s’exprimer publiquement étant donnée la position stratégique qu’il occupe auprès du pape. Depuis 2018, il gère les affaires quotidiennes du pontife au sein de la Première section de la secrétairerie d’État. Partant des expériences singulièrement différentes des deux évêques au service de l’Église – l’un à Rome au sein de la Curie romaine, l’autre sur le terrain dans des diocèses –, leur discussion s’engage sur leur perception de leur mission, sur la relation entre l’Église locale et l’Église universelle et, plus largement, sur les grands défis de l’Église en partant de la perspective du prêtre et de l’évêque.
Sur la sécularisation, le futur cardinal souligne combien « pour des pans entiers de nos sociétés occidentales, l’Église ne compte plus ». Mais il refuse tout « fatalisme ». « L’évangélisation, aujourd’hui, est stimulante », insiste-t-il, parce qu’on peut repartir « de zéro » avec une jeunesse pour qui l’Évangile est radicalement une nouveauté. Il invite dès lors à une réelle « proximité avec le peuple » afin de ne pas être un « évêque de bureau ».
Mgr Peña Parra, pour sa part, relativise la sécularisation dont souffre l’Église catholique en rappelant qu’elle croît souvent silencieusement dans de nombreuses autres parties du monde, évoquant notamment un « réveil » dans les pays du nord de l’Europe. Un des plus grands défis que doit affronter l’Église pour transmettre l’Évangile, selon lui, serait d’éviter « l’idéologisation de la foi » qui détourne de « l’essentiel ». I.MEDIA
Le collège des cardinaux comptera dès le 30 septembre 2023 21 nouveaux membres dont «la provenance exprime l’universalité de l’Église qui continue à annoncer l’amour miséricordieux de Dieu à tous les hommes de la Terre», a annoncé le pape François lors de l’angélus du 9 juillet. L'agence I.MEDIA un portrait de chacun de ces hommes en rouge: