De nombreux civils ukrainiens ont tout perdu en trois ans de guerre | © Europe Civil Protection/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0
International

Ukraine: pour le cardinal Radcliffe, la paix est «une entreprise de justice»

Le cardinal Timothy Radcliffe, ancien maître de l’Ordre des prêcheurs, a écrit une lettre d’encouragement aux dominicains d’Ukraine. A l’heure où le pays vit un moment crucial de son histoire, le Britannique rappelle qu’il n’y a pas de véritable paix sans réconciliation et justice.

«L’histoire de notre salut est remplie de personnes qui attendent dans l’espoir», note Timothy Radcliffe dans une lettre envoyée le 24 février 2025, à ses frères d’Ukraine, sur suggestion de Jarosław Krawiec OP, vicaire provincial du pays. Ce dernier partage depuis le début du conflit avec cath.ch, ses «Lettres de Kiev» rapportant la situation sur place.

Face à une situation actuelle difficile, le cardinal Britannique s’efforce, en s’inspirant de la Bible, d’insuffler de l’espérance aux dominicains qui œuvrent dans le pays au plus près des populations atteintes par la guerre. «Abraham et Sarah attendent vingt-cinq ans la naissance de leur fils promis; Moïse et le peuple d’Israël attendent quarante ans dans le désert pour entrer dans la Terre promise, ce que Moïse ne fait jamais», remarque-t-il.

Rester humain en temps inhumains

Une façon «typiquement dominicaine» d’attendre dans l’espérance est de continuer à étudier, à enseigner et à prêcher, assure Timothy Radcliffe. «La violence qui engloutit de plus en plus le monde semble n’avoir aucun sens. Nous étudions et prêchons la Parole de Dieu parce que nous croyons que la lumière du Seigneur ne peut jamais être éteinte, ‘la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas vaincue’ (Jean 1.5).»

Le dominicain britannique Timothy Radcliffe est l’un des 21 nouveaux cardinaux nommés par le pape | © Grégory Roth

Le cardinal se souvient, dans la lettre que cath.ch a pu lire, que «nos frères et sœurs en Irak ont répondu aux atrocités qui ont englouti leur pays en ouvrant des écoles et en continuant à étudier et à enseigner. Notre frère Lukasz Popko, de l’École biblique, m’a raconté qu’à Gaza, un de nos collaborateurs continuait à enseigner, dans une tente, comment restaurer des poteries anciennes! Au milieu des destructions et des bombes. Et il avait au moins 10 étudiants! C’est la chose la plus sage à faire en ces temps inhumains que de rester humain.»

L’Ukraine dans une situation inextricable

L’Ukraine est depuis trois ans dans la tourmente depuis que les troupes de la Fédération de Russie ont envahi son territoire, le 24 février 2022. Après des revers militaires, les forces de Vladimir Poutine ont repris, dès 2024, un ascendant, grignotant du terrain de manière régulière, jusqu’à occuper plus de 20% du territoire. L’Ukraine a été soutenue dès le début par les pays occidentaux, États-Unis en tête, qui ont fourni des dizaines de milliards de dollars dans son armement et ses infrastructures. Ce qui a permis, si ce n’est de vaincre la Russie, de contenir sa poussée.

«Quoi que fassent les puissances de ce monde, nous attendons activement la paix du Seigneur»

Une donne qui pourrait cependant changer suite à l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Ce dernier a remis en cause le soutien américain à l’Ukraine et à son président Volodymyr Zelensky. A présent, il semble décidé à négocier directement la cessation des combats avec Vladimir Poutine, après avoir conditionné son soutien à des contrats d’exclusivité sur les ressources naturelles de l’Ukraine. En cas de refus définitif de Kiev et d’un arrêt de l’aide américaine, une défaite militaire est à craindre. Il est tout aussi probable que céder au «plan» de Donald Trump déboucherait sur une «paix» forcée, dans laquelle les Ukrainiens seraient les grands perdants.

La paix n’est pas l’absence de guerre

Des craintes dont rend compte Timothy Radcliffe. «À l’heure où j’écris ces lignes, on dit que des négociations de paix sont en cours», écrit-il en référence aux derniers événements. «Mais de quelle paix s’agira-t-il? (…) Gaudium et Spes [document de Vatican II, ndlr] nous rappelle que ‘la paix n’est pas seulement l’absence de guerre; elle ne se réduit pas non plus au seul maintien de l’équilibre des forces entre les ennemis; elle n’est pas non plus le fruit d’une dictature. Elle est plutôt appelée, à juste titre et de manière appropriée, une entreprise de justice’ (78).» Et le cardinal de se demander: «Ces négociations aboutiront-elles à une ‘entreprise de justice’? Ou s’agit-il simplement des intérêts personnels des grandes puissances?»

La nécessité de la réconciliation

«Mais quoi que fassent les puissances de ce monde, nous attendons activement la paix du Seigneur en faisant la paix dès maintenant avec tous ceux dont nous sommes séparés, au sein de nos familles, de nos quartiers, de nos communautés religieuses, remarque le cardinal (…) Toute la famille dominicaine est solidaire avec vous dans l’attente active de la paix promise, par des actes qui refusent le triomphe du mal et la logique de l’intérêt.»

«Même ces terribles années de souffrance porteront un fruit»

L’ancien maître de l’Ordre des prêcheurs rappelle alors un épisode historique: «Après la seconde guerre mondiale, un dominicain français est allé célébrer la messe dans un village profondément divisé entre ceux qui avaient collaboré avec les nazis et ceux qui avaient combattu dans la résistance. Alors qu’il se tenait à l’autel au début de la célébration, il a vu leur inimitié. Il dit alors à l’assemblée: ‘Je ne commencerai pas cette messe tant que vous n’aurez pas tous échangé le baiser de paix’. Pendant un certain temps, il ne se passa rien, puis une personne courageuse traversa l’allée, jusqu’à ce qu’elle devienne un flot de paix. À qui dois-je m’adresser pour offrir la paix du Seigneur?»

«La victoire est acquise»

«D’une manière ou d’une autre, dans l’insondable providence de Dieu, même ces terribles années de souffrance porteront un fruit, comme la croix du Vendredi saint a conduit à l’aube de la vie de Pâques, conclut le dominicain britannique. Cela peut nous sembler inimaginable aujourd’hui, et pourtant le Seigneur sème la graine de quelque chose de nouveau et de bon dès maintenant, même si certains d’entre nous ne le verront jamais dans cette vie. La victoire est acquise, même si nous ne pouvons pas imaginer la forme qu’elle prendra.» (cath.ch/com/arch/rz)

> Vers le message intégral de Timothy Radcliffe <

De nombreux civils ukrainiens ont tout perdu en trois ans de guerre | © Europe Civil Protection/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0
24 février 2025 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 4  min.
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