Ukraine: les hommages aux nationalistes de l'OUN-UPA font polémique
Malaise dans la communauté juive et au-delà: les fréquentes commémorations, en Ukraine, en hommage aux militants notoirement antisémites de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) et de sa branche combattante, l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), qui collaborèrent avec les nazis durant la Deuxième Guerre mondiale, font polémique.
Yaakov Dov Bleich, grand-rabbin de Kiev et d’Ukraine, est dans le collimateur pour avoir participé le 21 août 2019, avec des chefs religieux orthodoxes et catholiques, à un hommage à la mémoire de 17 membres de l’OUN-UPA, fusillés par les nazis en 1944. Les opposants au «révisionnisme historique», en vogue en Ukraine depuis les années 1990, dénoncent une tentative de «blanchiment» du passé.
Divers médias de la communauté juive au plan international rappellent que les militants de l’OUN-UPA ont commis des massacres de masse contre des civils juifs et polonais. Ces organisations ont également collaboré avec les nazis. Selon l’Agence télégraphique juive JTA, se référant à des historiens de l’Holocauste, l’UPA et l’OUN sont «collectivement responsables de la mort de milliers de Juifs et de près de 100’000 Polonais pendant la Seconde Guerre mondiale».
Tentative de «blanchiment» des crimes du passé
Efraim Zuroff, historien au Centre Simon-Wiesenthal à Jérusalem, se dit «pratiquement sans voix», estimant incompréhensible qu’un rabbin participe à une telle cérémonie. «Il s’agit clairement d’un blanchiment des crimes horribles commis contre les Juifs à Sambir et cela ne fait que renforcer la tendance très problématique de l’Ukraine à cacher les crimes de l’Holocauste commis par les Ukrainiens», déclare-t-il à la JTA.
La polémique fait notamment rage au Canada, car la cérémonie du 21 août dernier s’est déroulée en bordure du petit cimetière juif de Sambir, en Ukraine occidentale, en présence de Roman Washuk, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Canada en Ukraine. Le monument est financé par des dons privés canadiens.
Des représentants des autorités régionales et municipales, des invités étrangers et des résidents de Sambir ont également pris part à l’événement. A cette occasion, une croix commémorant les membres de l’OUN-UPA tués par les Allemands a été dévoilée.
Le Canada accusé de révisionnisme
Radio Canada rapporte le 3 septembre 2019 qu’en raison de la présence de l’ambassadeur canadien en Ukraine, accompagné de militaires canadiens, «le Canada est accusé de révisionnisme de l’Holocauste en Ukraine».
Au départ, souligne Radio Canada, ce devait être un événement qui ferait la promotion d’une meilleure compréhension entre Ukrainiens et Juifs. «Un service œcuménique, auquel assisteraient de hauts responsables religieux ukrainiens et juifs, qui devait être un nouveau départ dans leur relation parfois douloureuse qui jalonne l’histoire».
Un ambassadeur «nourri des mythes nationalistes»
Au lieu de cela, remarque Radio Canada, un monument controversé, érigé à Sambir, une ville de l’Ouest de l’Ukraine, grâce à des dons privés, et consacré avec l’aide du délégué canadien en Ukraine, a rouvert de vieilles blessures. «Le Canada serait-il complice d’une campagne qui tend à effacer un chapitre horrible de l’histoire ukrainienne de la Seconde Guerre mondiale?», se demande Radio Canada.
Radio Canada relève que la présence de l’ambassadeur Washuk, lors de la cérémonie de Sambir, «vient du fait, du moins en partie, qu’il a été probablement nourri des mythes nationalistes qui dominaient au cœur de la communauté ukrainienne au Canada durant son enfance». Ses parents étaient des réfugiés venus de l’Ukraine occidentale s’installer au Canada après la Seconde Guerre mondiale.
Une «absolution du rôle de l’Ukraine pendant la Shoah»
Le rabbin américain Dov Bleich, membre du Congrès juif mondial et vice-président du Congrès juif européen, installé en Ukraine depuis 1990, a justifié sa participation à cette cérémonie en l’honneur des nationalistes ukrainiens. Il a affirmé que c’était «un compromis pour faire retirer des croix et des monuments installés dans des cimetières juifs» par des habitants d’Ukraine occidentale, une région qui est depuis longtemps le berceau du nationalisme ukrainien.
«Ils transforment ces lieux [où des juifs ont été massacrés, comme à Babi Yar, un site près de Kiev où 33’000 d’entre eux ont été assassinés par des soldats allemands en septembre 1941, ndlr] en sanctuaires de la souffrance des nationalistes ukrainiens». Certains ont perçu cette commémoration comme une «absolution du rôle de l’Ukraine pendant la Shoah», l’extermination des juifs par les nazis, relève le journal en ligne «The Times of Israel».
Propagande communiste
Dans le petit cimetière juif de Sambir, à côté duquel a été érigé le monument controversé, sont enterrés, dans une immense fosse commune, quelque 1’200 hommes, femmes et enfants juifs. Ils y furent emmenés en avril 1943 par les nazis, aidés par la police ukrainienne, et fusillés sur place.
Mgr Sviatoslav Shevchuk, primat de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine, qui participait à la cérémonie aux côtés du métropolite Epiphane Doumenko, chef de la nouvelle Eglise orthodoxe unifiée d’Ukraine [non canonique], a noté que cette solennité avait lieu à la veille du Jour de l’Indépendance de l’Ukraine, le 24 août.
«Mais quelqu’un a dû payer cher pour que [l’indépendance, ndlr] arrive. Ce sont ces 17 jeunes gens tués qui nous parlent aujourd’hui… Et leur parole détruit tout cliché de propagande communiste qui veut aujourd’hui encore dénaturer le désir des Ukrainiens d’avoir leur propre Etat. Les membres de l’OUN-UPA sont morts aux mains des meurtriers qui ont causé l’un des plus grands crimes de l’humanité – l’Holocauste. Et ils reposent dans un ancien cimetière juif ici à Sambir».
Un monument à la mémoire des «tueurs de juifs»
Directeur du Comité juif ukrainien, Eduard Dolinsky s’est indigné, dans les médias sociaux, qu’on ait pu ériger un monument à la mémoire des «tueurs de juifs» et cela «sur la fosse commune de leurs victimes».
Il a déploré que Mgr Svyatoslav Shevchuk, le chef de l’Eglise grecque-catholique ait qualifié de «justes» les membres de l’OUN-UPA, rapporte l’agence de presse russe Interfax, «alors que leur idéologie et leur pratique étaient antisémites, totalitaires, dictatoriales et xénophobes». L’objectif de l’OUN était une épuration ethnique: «débarrasser l’Ukraine de tous les non-Ukrainiens», à savoir les Juifs, les Polonais, les Russes, les Roms, assène Eduard Dolinsky.
«Un acte épouvantablement cynique!»
Interrogé par Radio Canada International, Eduard Dolinksy a estimé que la participation de diplomates et de militaires canadiens à la cérémonie de consécration de ce monument, en compagnie de chefs religieux ukrainiens, était «particulièrement troublante». «Je suis profondément troublé par cette profanation. C’est un acte épouvantablement cynique!», a-t-il ajouté.
Il y a eu des tentatives par le passé de créer un parc à la mémoire des victimes juives du massacre de la Pâque de 1943 et du pogrom du 1er juillet 1941 à Sambir mené par les nationalistes ukrainiens, «mais elles ont toutes échoué devant l’opposition des nationalistes contemporains de la région», relève Radio Canada.
Une croix commémorative
Mgr Sviatoslav Shevchuk a par contre souligné que cette commémoration dépassait largement les frontières nationales, ethniques et confessionnelles. «Aujourd’hui, nous voulons montrer ici à Sambir, dans un ancien cimetière juif, que les juifs peuvent honorer les chrétiens et prier pour leurs héros», et que les chrétiens ukrainiens peuvent faire de même envers les juifs défunts, a-t-il ajouté.
La croix commémorative qui a été dédiée aux soldats de l’OUN-UPA, victimes du nazisme, devrait être le premier élément du futur mémorial «Remember», dans le but de rappeler la mémoire des Ukrainiens, des Juifs, des Roms et des Polonais morts ici aux mains des nazis, estime le chef de l’Eglise gréco-catholique. (cath.ch/jta/ugcc.ua/be)