Le camp de réfugiés de Moria, sur l'île de Lesbos (Grèce), a été détruit par les flammes | © KEYSTONE/LAIF/Joris van Gennip
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Tragédie de Moria: «J'ai tellement honte de l'Europe»

Début septembre 2020, l’humanitaire catholique Chantal Götz se trouvait dans le camp de Moria à Lesbos (Grèce), où sa «Fondation Fidel Götz», basée au Liechtenstein, tient une école. Après que les récents incendies ont détruit la structure, les enseignants et les enfants sont désespérés. La situation des femmes réfugiées est particulièrement précaire.

Raphael Rauch, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Comment se portent les enfants et les enseignants, suite à la destruction de l’école?
Chantal Götz : Les enfants et leurs parents sont dévastés. Nous sommes en contact téléphonique avec les professeurs. Tous sur place sont en souffrance. Les enseignantes se sont réfugiées sur les trottoirs [en dehors du camp, ndlr.], elles ont perdu à nouveau leur maison et leur vie. On ne sait pas très bien où se trouvent les enfants. Certains dorment avec leur famille au bord de la route.

Vous étiez à Lesbos il y a seulement deux semaines. Avez-vous visité le camp de Moria?
Oui. C’était inhumain et ça le reste. Le camp a été construit pour 2’000 personnes – et soudain, 13’000 personnes y sont logées. Ce qui m’a le plus touchée ce sont ces familles que j’ai rencontrées, qui n’ont pas perdu leur dignité, même dans ces circonstances difficiles. J’aurais voulu les serrer tous dans mes bras. Ils m’ont accueillie avec une si grande hospitalité. Nous avons bu le thé ensemble, chanté et ri. Mais en mon for intérieur, je ressentais de la honte pour notre Europe.

Déjà en mai, vous nous disiez: «Ce que je vois à Moria, à Lesbos, est inhumain, indigne de l’Europe, c’est une honte!» Qu’en dites-vous aujourd’hui – après le terrible incendie du 9 septembre?
Peut-être que l’Europe a besoin de ce signal: pour que les femmes, les hommes et les enfants qui ont fui leur pays puissent enfin avoir la patrie dont ils ont besoin. Moria est entourée par certains des pays les plus riches de la planète. Comment pouvons-nous nous affirmer catholiques – mais ne pas trouver de la place pour 13’000 personnes? Cela me met en colère, me rend triste et bien sûr me frustre. L’Église catholique a également échoué.

«La direction de l’église doit exercer une pression politique»

Comment cela?
Je dirige la «Fondation Fidel Götz». Nous rêvons d’une Église catholique qui joue un rôle de premier plan pour promouvoir la justice dans le monde. Nous avons essayé pendant des mois d’obtenir l’adhésion des responsables de l’Eglise pour exercer une pression politique. Ce fut une amère déception de voir le peu d’intérêt qu’il y avait à venir en aide à ces personnes.

Qu’entendez-vous par «les responsables de l’Eglise»?
J’étais en contact avec la Conférence des évêques suisses (CES), avec Caritas Suisse, avec l’Action de Carême et les Jésuites. La réponse a été la suivante: soit une coopération n’est pas possible pour nous pour telle ou telle raison, soit il fallait faire une demande [officielle]. De certains, je n’ai reçu aucune réponse.

La plupart des réfugiés sont des hommes. Sur internet, vous donnez une voix aux femmes réfugiées avec «Voix de femmes». Pour quelle raison?
A Moria, les femmes vivent dans un environnement malsain et dangereux. Il y a des viols, des vols, du harcèlement, des attaques de fascistes. Nous avons acheté des téléphones portables à des femmes, pour qu’elles puissent appeler en cas d’urgence. Et pour qu’elles nous communiquent leurs besoins.

«Les femmes ne sont pas respectées, elles sont battues et tuées»

Quelle «voix de femmes» vous touche le plus?
Zhara est originaire d’Afghanistan, elle a 17 ans. Elle nous a dit : «Dans le tiers monde, les femmes sont violées et maltraitées, aussi psychiquement. Elles sont battues et ne sont considérées que comme un moyen de reproduction. Ici, à Moria – en Grèce, en Europe – les femmes ne comptent pour rien. Elles ne sont pas respectées, elles sont battues et tuées. Le gouvernement et la police devraient donner l’exemple. Mais ils ne font rien».

Chantal Götz (troisième depuis la g.) dans le camp de réfugiés de Moria | © mis à disposition

Qu’est-ce qui pourrait le plus aider la population de Moria maintenant?
Les gens ont surtout besoin d’un abri. Mais ils n’ont pas faim que de nourriture. Ils veulent de la justice, de l’aide, un avenir. Nous ne devons ainsi pas nous contenter de leur donner de l’argent et de la nourriture. Ils ont besoin d’un avenir.

La Suisse veut accueillir une vingtaine d’enfants et de jeunes non accompagnés originaires de Moria. Y a-t-il un espoir que se trouvent parmi eux des élèves de votre école ?
Non. Le processus n’est pas du tout transparent. Je suis également scandalisé par le chiffre de 20. Une tel décompte d’épicier est inimaginable. Ce sont des vies humaines qui sont en jeu. (cath.ch/kath/rr/rz)

Les Eglise interpellent l’Europe et la Grèce

La Communauté de Sant’Egidio, le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) et les sœurs missionnaires de Saint Charles Borromée (Scalabriniennes) ont demandé, le 14 septembre 2020, l’accueil et l’intégration en Europe des personnes les plus vulnérables qui se trouvent à Lesbos.

En répétant ce que le pape François a dit ce dimanche 13 septembre à l’Angélus, en invitant à accueillir les demandeurs d’asile humainement et dignement, ce communiqué lance un appel au secours car «plus rien n’est comme avant» après l’incendie qui a détruit le camp de réfugiés de Moria et qui a créé «d’énormes difficultés pour ceux qui vivaient déjà en enfer».

«L’Union européenne, en collaboration avec le gouvernement grec, doit immédiatement intervenir dans le signe de l’accueil et de l’intégration d’un certain nombre de personnes, qui est certainement à sa portée», peut-on lire dans le communiqué qui appelle, dans les prochaines heures, à prendre des décisions importantes.

Les trois organisations catholiques demandent en particulier d’héberger, dès que possible, les personnes évacuées de l’incendie de Moria dans de petites structures, dotées des services de base; de garantir le libre accès aux associations humanitaires pour aider les migrants dans leurs besoins les plus immédiats, en particulier envers les malades, les femmes, les enfants et les personnes âgées; d’organiser, au niveau de l’Union ou des différents pays européens volontaires, la nécessaire relocalisation non seulement des mineurs non accompagnés mais aussi des familles et des personnes vulnérables sur l’île; et enfin de changer le modèle d’accueil sur l’île de Lesbos pour les nouveaux arrivants en provenance de Turquie, en fournissant des installations d’accueil sur une base transitoire, gérable et respectueuse de la dignité humaine, en sauvegardant le droit de tout réfugié, quelle que soit son origine, à demander l’asile.

Le 11 septembre, la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE) a exhorté l’Europe à l’action pour protéger les demandeurs d’asile. L’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) a également adressé aux politiques du pays une résolution en faveur des réfugiés de Moria. ARCHIVES, avec Vatican News

Le camp de réfugiés de Moria, sur l'île de Lesbos (Grèce), a été détruit par les flammes | © KEYSTONE/LAIF/Joris van Gennip
15 septembre 2020 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 5  min.
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