Tout ce qui brille n'est pas or : Campagne de carême 2016
L’extraction de l’or dans les pays du Sud et ses conséquences humaines et écologiques souvent désastreuses sont au centre de la campagne oecuménique de carême 2016.
La commercialisation de cet or par des sociétés transnationales, dont certaines sont basées en Suisse, est dans le collimateur des œuvres d’entraide catholique Action de Carême, protestante Pain pour le prochain et catholique-chrétienne Etre partenaires.
L’initiative populaire «pour des multinationales responsables», lancée au printemps 2015, sera l’un des moyens privilégiés pour attirer l’attention du public sur les pratiques d’entreprises ayant leur siège en Suisse. Le but est de les obliger à évaluer leurs actions, afin que leur devoir envers les travailleurs et l’environnement ne s’arrête pas aux frontières helvétiques. La campagne œcuménique, sous le slogan «Prendre ses responsabilités – Renforcer la justice», débute le 10 février, Mercredi des Cendres, pour s’achever le jour de Pâques, le 27 mars.
Durant la «soudure», plus qu’un seul repas par jour
Présentant la campagne 2016, avec un accent sur le travail d’Action de Carême au Burkina Faso, Vreni Jean-Richard a expliqué les méthodes développées avec les partenaires sur place pour améliorer la production agricole. Il s’agit d’assurer la sécurité alimentaire dans les villages, notamment dans les régions semi-désertiques et sahéliennes. Travaillant avec une douzaine d’ONG locales, Action de Carême enseigne aux paysans des méthodes de développement durable, notamment en construisant des murs à intervalles réguliers, qui maintiennent l’humidité et freinent l’érosion du sol sablonneux. La fabrication de compost permet de fertiliser ces terres arides. L’élevage de moutons et la mise en place de poulaillers, ainsi que les jardins que les femmes cultivent ensemble, permettent également d’améliorer les ressources des paysans de ces régions sèches, relève Vreni Jean-Richard.
Une véritable «ruée vers l’or» avec ses conséquences néfastes
Malheureusement, la situation des agriculteurs dans le Sahel est devenue ces dernières années de plus en plus difficile avec les conséquences visibles du réchauffement climatique. Coordinateur du programme d’Action de Carême au Burkina Faso, l’économiste burkinabé Barthélémy Sam souligne que depuis au moins cinq ans, pour trouver de quoi vivre, les jeunes désertent les villages pour chercher de l’or.
«On peut parler d’une véritable ‘ruée vers l’or’. Il y a encore une décennie, cette activité artisanale, que l’on appelle ‘orpaillage’, n’intéressait pas trop la population. Mais, depuis quelques années, les récoltes se sont raréfiées, et, dans les villages, les jeunes cherchent des alternatives pour nourrir la famille. Alors ils creusent, à la recherche de l’or», note cet ancien volontaire de l’ONG romande E-Changer. Il sera l’hôte de la campagne de carême 2016, en compagnie du militant sud-africain Erik Mokuoa, de l’organisation «Bench Marks Foundation», qui défend les droits des communautés affectées par l’industrie minière en Afrique du Sud.
Les jeunes se détournent de l’agriculture
«Dans la zone sahélienne, on assiste à un véritable boom minier. Il y a déjà une génération de jeunes qui ne connaît plus l’agriculture et l’élevage. Cela devient de plus en plus critique, car le bouche-à-oreille fait des ravages. Trois ou quatre heures après qu’arrive la nouvelle qu’on trouve de l’or à un endroit naît déjà un village de chercheurs d’or. Le phénomène prend de l’ampleur et concerne les régions nord, nord-ouest, Centre-Nord et Sahel, dans les régions proches du Mali et du Niger. Il atteint maintenant aussi le Centre-Sud. Cela concerne plus de 100’000 personnes, qui s’installent dans certaines zones, sur une surface équivalant à trois fois la superficie de la Suisse. Il s’agit d’une exploitation artisanale, où les mineurs descendent dans des trous à l’aide d’une corde. C’est très dangereux, et il faut extraire une tonne de terre pour trouver quelques poussières d’or».
il faut extraire une tonne de terre pour trouver quelques poussières d’or
Et pour cela, note-t-il, on utilise du cyanure, très toxique aussi bien pour les ouvriers que pour l’environnement. Dans ces campements de chercheurs d’or travaillent aussi des femmes et des enfants. La prostitution et les maladies y sont fréquentes.
L’extraction minière comme unique porte de sortie
Les jeunes Burkinabés voient cependant de plus en plus l’extraction minière comme l’unique porte de sortie. Dans d’autres régions, l’exploitation minière industrielle cause également des ravages: déplacement de populations, expulsions et pertes de terres cultivées. Les mesures d’accompagnement de ces transferts sont insuffisantes, et rien ne viendra compenser, pour ces populations déplacées, la disparition de l’espace historique cultivé depuis des générations, et où se trouvent également leurs lieux de cultes traditionnels. (apic/be)
Encadré 1
L’initiative pour des multinationales responsables
L’économie se mondialise toujours davantage alors que les droits humains semblent s’arrêter aux frontières nationales. À activités globales, responsabilité globale, estime la campagne «Prendre ses responsabilités – Renforcer la justice». L’initiative populaire pour des multinationales responsables vise à ancrer dans la loi un devoir de diligence pour les sociétés transnationales
Les sociétés transnationales actives dans l’extraction et le négoce des matières premières violent les droits de la personne directement et indirectement. Pour les œuvres d’entraide, il faut adopter des règles imposant des pratiques commerciales respectueuses et responsables, en Suisse également.
C’est dans ce sens que l’Action de Carême et Pain pour le prochain ont lancé en 2015, avec 74 autres acteurs de la société civile, l’initiative populaire pour des multinationales responsables.
Ce texte exige l’ancrage dans la législation d’un devoir de diligence pour les sociétés transnationales. Elles devront veiller, lors de la planification et de la mise en œuvre de leurs activités, à n’enfreindre aucun droit humain et environnemental.
Des règles contraignantes empêcheraient aussi que des ‘moutons noirs’ n’obtiennent des avantages concurrentiels déloyaux. Aucun profit ne devrait revenir à quiconque viole les droits humains, délibérément ou par négligence. Pour les initiateurs, une directive claire pour toutes les entreprises transnationales serait également un atout pour la Suisse, en tant que place économique.
Les communautés et les paroisses recueilleront des signatures pour l’initiative à l’occasion de leurs nombreuses actions rythmant la campagne.
Encadré 2
L’invité de la campagne Eric Mokuoa
L’Afrique du Sud regorge de ressources minières, dont l’exploitation a des effets désastreux sur la nature et les populations alentour. Originaire d’un village minier du nord de Johannesburg, Eric Mokuoa connaît bien ces problèmes. Il travaille pour la Bench Marks Foundation qui œuvre pour que l’industrie minière respecte les droits humains et l’environnement. Hôte de la campagne, il viendra témoigner de son travail en Suisse du 23 février au 15 mars 2016.
Eric Mokuoa a suivi des études supérieures et a obtenu un diplôme en politique, philosophie et relations internationales à l’Université de Johannesburg. Eric a longtemps milité dans son village contre les impacts de l’industrie minière sur la communauté. C’est ainsi qu’il a connu la Bench Marks Foundation pour laquelle il travaille depuis 2007. «Ma passion pour la défense des droits humains est née du fait que j’ai moi-même connu ces abus. J’espère pouvoir continuer à œuvrer pour que les entreprises prennent leurs responsabilités envers les communautés», explique-t-il.
Encadré 3
Les moyens de participer
Outre les célébrations liturgiques, la période du carême est propice à diverses actions concrètes.
Les soupes de Carême sont, dans les paroisses, un événement central de la campagne œcuménique. Elles sont des moments privilégiés pour vivre le thème de la campagne. Le public, souvent intergénérationnel, est invité à partager ces instants conviviaux avec les personnes à sa table. Mais l’idée du partage va au-delà, puisqu’il s’agit de soutenir par un don les populations des pays du Sud afin de garantir leur sécurité alimentaire.
La Journée des Roses aura lieu le samedi 5 mars 2016. Des milliers de bénévoles vendront des roses issues du commerce équitable au prix de cinq francs pièce. Le produit de cette action financera les projets des œuvres d’entraide.
L’action ‘Pain du partage’ se déroule dans quelque 600 boulangeries. Pour chaque pain vendu, 50 centimes sont versés aux partenaires du Sud. Le ‘thé du partage’ fonctionne selon le même principe.
Les semaines de jeûne en carême sont vécues dans la dynamique spirituelle du temps de préparation à Pâques. En Suisse romande, une cinquantaine de groupes se constituent chaque année. Avec le soutien d’une équipe d’animation, les personnes qui jeûnent une semaine vivent non seulement une expérience physique et spirituelle, mais accomplissent aussi un geste de partage envers des populations démunies.