Théorie du genre: «Le parler-vrai du pape ne peut que le servir», selon Arnaud Bédat
Le journaliste suisse Arnaud Bédat était dans l’avion du pape. Il revient sur la polémique qu’ont suscité les propos du pontife argentin au sujet de la «théorie du genre».
Le 2 octobre dernier, à l’issue de son voyage Géorgie et Azerbaïdjan, François dénonçait «le fait de constituer la théorie du genre en doctrine». Il incriminait également les manuels scolaires français. Ils seraient un vecteur de cet «endoctrinement». Des propos qui ont suscité de vives réactions en France, notamment. Pour Arnaud Bédat, «ce ‘buzz’ n’est sans doute pas pour déplaire au pape».
Comment le pape en est-il arrivé à évoquer ce sujet, pour le moins épineux?
C’est Joshua McElwee, du journal américain National Catholic Reporter, qui a posé la fameuse question, lui demandant de préciser sa pensée sur la «guerre idéologique contre le mariage» dont il avait parlé quelques heures plus tôt.
C’était la quatrième de la conférence de presse, qui avait commencé de manière plutôt classique, le pape évoquant d’abord en mots chaleureux son séjour en Géorgie et en Azerbaïdjan, l’œcuménisme, la grande foi des Géorgiens qui l’a impressionné, et revenant bien sûr notamment sur cette notion de «périphérie», fondement de son pontificat, et cette phrase-clé, peu relevée par les médias: «La réalité se comprend mieux et se voit mieux depuis les périphéries que depuis le centre». Hormis l’Italie et la Pologne, rendue incontournable par les JMJ, il ne s’est rendu pour l’instant que dans des pays européens où la religion catholique n’est pas la religion principale, à la seule exception à venir de Fatima, au Portugal, déplacement qui aura lieu en mai prochain – et qui pourrait se limiter d’ailleurs au sanctuaire de Fatima.
Plusieurs médias évoquent une polémique. Est-ce que ces propos sont à même de modifier l’image du pape François, jusqu’à ce jour plutôt positive, dans l’opinion publique?
Son parler-vrai ne peut que le servir. Le pape utilise toujours de petites histoires ou des anecdotes pour illustrer son propos: on n’expose pas des choses en théorie, mais dans le concret des situations. Il est redoutablement habile: il ne dit pas que les manuels français sont pleins de «gender», mais que c’est un père de famille français qui s’est aperçu de cela et lui en a parlé. Il n’attaque pas frontalement la France, même si c’est bien sûr sous-jacent dans ce cas précis. Remarquez que c’est pour l’instant une polémique très franco-française, qui ne va guère au-delà. Il doit s’en amuser aujourd’hui depuis le Vatican, en pensant que les propos sur le «gender» qu’il avait déjà tenus précédemment ont maintenant enfin été remarqués à Paris.
«Il peut faire bouger les lignes, mais conserve les fondamentaux».
Le pape François a toujours un coup d’avance: ce «buzz» n’est sans doute pas pour lui déplaire. Il a un jeu ouvert devant lui. N’oubliez pas que c’est un jésuite très malin. Je le vois d’ici dire à ses évêques français, un de ces prochains jours: «Bon, réglez vos problèmes internes, après, je viendrai en visite chez vous». Pourquoi le cacher? Il y a un vrai problème François par rapport à la France, qui est trop souvent occulté par les médias de l’Hexagone. Certes, il est allé à Strasbourg, mais uniquement au Parlement européen, sans passer par la vieille cathédrale signifiant clairement qu’il voulait honorer l’Europe, pas la France. Souvenez-vous encore, en septembre 2015, quand le pape fait dire à Mgr Gaillot, l’exclu, après l’avoir reçu à Sainte-Marthe qu’il ne viendra pas tout de suite en France, préférant «aller vers de petits pays qui ont besoin d’aide». Il utilise alors un enfant terrible pour faire passer son message à l’extérieur. Quelle humiliation pour les cardinaux français. Souvenez-vous aussi de l’accueil assez glacial réservé à François Hollande au Vatican, plus détendu lors de sa seconde visite, mais celle-ci s’inscrivait dans un contexte particulier, quelques jours à peine après le traumatisme de la mort tragique du Père Hamel. Mais il faut relever néanmoins l’hommage appuyé du pape à Vézelay, passé assez inaperçu lors de cette conférence de presse au retour du Caucase. Viendra-t-il en France en 2017 ou 2018? Soyons honnête, même s’il apprécie des grands auteurs français comme Léon Bloy, le jésuite Pierre Favre et surtout Michel de Certeau, qu’il cite souvent, il n’a pas été aussi clair que ça dans ses propos, comme s’en gausse déjà la presse française.
Vous avez écrit une des premières biographies du pape François. Vous connaissez bien sa pensée. Est-ce que ses propos sur la «théorie du genre» vous étonnent?
Non, il est dans sa logique. Derrière l’allure bonhomme, les sourires, le charisme évident, c’est un leader radical, un décideur, qui tranche dans le vif, quitte à se tromper. N’oublions pas qu’il a été opposé au mariage pour tous en Argentine comme cardinal de Buenos Aires, bien avant la France. Il ne peut pas déroger de la ligne qui irait à l’encontre des règles évangéliques et des enseignements de l’Eglise. Mais il apporte son soutien et même son affection aux personnes homosexuelles et transsexuelles. En cela, il n’y a déjà plus de rejet, comme par le passé. François plaide l’ouverture, la compréhension, la tolérance envers chacun en cette année de la miséricorde. Personne n’est exclu dans sa manière de voir l’Eglise de demain. L’ouverture, la révolution en marche, elle est bien là, mais elle ne signifie pas pour autant faire tout éclater d’un seul coup. Il peut faire bouger les lignes, mais conserve les fondamentaux. C’est une question de crédibilité et peut-être de survie de l’Eglise.
Dans l’avion, avec le pape
Ce n’est pas une première, pour Arnaud Bédat. En juin dernier déjà, il embarquait dans l’avion de François pour couvrir son premier voyage dans le Caucase, en Arménie. «C’est un privilège, raconte-t-il, et, pourquoi le cacher, parmi les grands moments d’une vie professionnelle d’être dans l’avion du pape». Il décrit «une espèce de cocon, une bulle, où règne entre nous une ambiance plutôt bon enfant, détendue mais respectueuse. On suit le pape, on le voit de très près, on peut lui parler, installer un semblant de relation avec lui, il connaît la plupart d’entre nous, c’est une vraie immersion au cœur du pouvoir. C’est l’occasion aussi d’échanger de manière informelle avec son entourage». C’est aussi un lieu de confidence. «Mais tout ce qui se dit en plein ciel doit bien entendu rester en plein ciel!», sourit-il. (cath.ch/pp)