«Théologien en pastorale», un nouveau ministère 'AOP' du Jura pastoral
Depuis le 1er août 2020, le Jura pastoral – partie francophone du diocèse de Bâle – compte, parmi ses ministres, une douzaine de «théologiens en pastorale», désignant les agents pastoraux laïcs dotés d’un diplôme universitaire en théologie (ex-assistants pastoraux). Pourquoi ce changement d’appellation? Regards croisés.
«Théologien-ne-s en pastorale»: une nouvelle ‘AOP’ (Appellation d’Origine Pastorale) jurassienne? Cette interrogation sous forme de plaisanterie, un observateur de l’extérieur au Jura pourrait effectivement se la poser. Mais de l’intérieur et pour les principaux intéressés, la question est très sérieuse.
Les mots ont leur importance. Cette appellation est le fruit d’une longue réflexion diocésaine, qui pourrait marquer la fin d’une crise d’identité pour les anciens «assistants pastoraux» en leur permettant d’être enfin reconnus dans leur statut et leur travail.
Un serpent de mer
«Autant que je souvienne, ce sujet était déjà un serpent de mer lorsque j’ai débuté en pastorale en 2004», se souvient Marie-Andrée Beuret, théologienne en pastorale dans la Haute-Ajoie. La raison? «Il arrivait que des paroissiens nous prennent pour l’assistant-e du curé. Nous ne sommes pas les assistants de quelqu’un, mais de la pastorale. Et de ‘assistant’ à ‘assisté’, il n’y a quelqu’une lettre», ajoute la Jurassienne, avec une pointe d’autodérision.
«Pour les personnes concernées, se présenter comme ‘assistant pastoral’ ne convenait pas. L’appellation était compliquée à expliquer», note l’abbé Jean-Jacques Theurillat, vicaire épiscopal pour le Jura pastoral. «Le terme ‘assistant’ reflète quelque chose de transitoire, comme médecin-assistant, ou de secondaire, comme assistant de direction. Mais l’assistant pastoral a des tâches propres, qui sont confiées par l’évêque», précise le prêtre.
Assistants et laïcs
A titre de comparaison, au sein de la Radio Télévision Suisse, les «assistant-e-s de production», par exemple, ont récemment harmonisé leur dénomination en «attaché-e de production», pour des raisons similaires.
La démarche a été commune pour tout le diocèse de Bâle. Si le terme «Assistent» en allemand a été remis en cause pour les mêmes raisons que dans le Jura, le terme «théologien laïc» était encore plus problématique pour les germanophones. Car «Laientheologe» signifie «amateur», dans le sens de non-spécialiste. Le terme «laïc» est tout aussi ambivalent en français. En Eglise, il désigne celui qui n’est pas membre du clergé. Mais dans la société, il représente plutôt quelque chose ou quelqu’un qui se démarque de religieux ou du sacré, qui se réclame de la laïcité.
Cohérence et ambiguïté
D’assistants pastoraux ou théologiens laïcs, ils sont devenus théologien-ne-s en pastorale. «Je pense que c’est très positif d’avoir changé», déclare Marie-Andrée Beuret. Même si, selon elle, il n’y a pas de terme parfait. «Les prêtres, ainsi que les diacres dans le Jura, sont également théologiens. En cohérence, ne devrait-on pas aussi l’indiquer dans leur fonction?», s’interroge-t-elle.
L’abbé Jean-Jacques Theurillat revient sur une autre ambiguïté liée à cette dénomination. «Il est arrivé, lors de rencontres romandes entre agents pastoraux, que certains animateurs en paroisse, non théologiens, se présentent comme assistants pastoraux». Cette situation a été perçue comme une sorte d’usurpation de titre par certains agents pastoraux jurassiens.
Animateurs et théologiens
Dans le Jura, il y a une différence de statut entre animateurs en paroisse (diplômés à la Formation d’animateur pastoral, ex-IFM, en 3 ans) et théologiens en pastorale (titulaires d’un Master universitaire en théologie, en 5 ans). «Les théologiens en pastorale sont amenés à conduire, dans leur service ou leur paroisse, des projets avec réflexions théologiques approfondies, précise le vicaire épiscopal jurassien. Et parmi les missions qu’ils reçoivent de l’évêque, ils ont notamment la possibilité de prêcher pendant la messe et d’être responsables de communauté [il n’y en a pas actuellement dans le Jura, ndlr.]»
Le représentant de l’évêque pour la partie francophone du diocèse de Bâle se dit satisfait de ce changement d’appellation, qu’il considère toutefois comme interne. «Dans la mesure où ça les aident dans leur mission, tant mieux. Je suis content. Mais cela ne change rien pour les fidèles».
Charismes complémentaires
«Pour ma part, je n’ai pas été très concerné par ce changement», indique Nicolas Godat, animateur en paroisse dans la vallée de Delémont. «J’étais même un peu dubitatif au début, mais en parlant avec certains collègues théologiens, j’ai mieux compris leur volonté de changer de dénomination».
«En tant qu’animateur en paroisse, je n’ai pas eu la même formation qu’un prêtre. Je ne serais pas vexé si quelqu’un me prenait pour l’assistant du prêtre. Certaines responsabilités lui reviennent et c’est comme ça. Mais nos charismes sont complémentaires. Un des miens est la musique, par exemple. Je sais que mon curé me confiera davantage de missions dans ce domaine-là.»
Renforcement de la cléricalisation ?
A la question de savoir de si cette dénomination de théologiens ne renforce-t-elle pas la «cléricalisation» des laïcs, Marie-Andrée Beuret répond: «La cléricalisation guette tout le monde. A commencer par le fidèle qui veut que seul un prêtre enterre son proche, pour que l’inhumation soit valide». Pour la théologienne, c’est «la structure même de l’Eglise encourage le cléricalisation de ceux qui ont de l’ambition. Tant que l’ordination confèrera un pouvoir, et que, pour accéder à certaines sphères, il faille être ordonné – excluant ainsi toute femme et tout homme marié – cela renforce la logique de cléricalisation».
Selon Jean-Jacques Theurillat, pas de cléricalisation liée à cette appellation. «Le changement de titre ne change pas la situation. La concurrence est à tous les niveaux, entre prêtres, diacres, etc. Le personnel ecclésiastique est humain et a ses faiblesses, qu’il soit ordonné ou non», clarifie le vicaire épiscopal. Il comprend davantage ce terme de «cléricalisation des laïcs» comme une arme que certains prêtres emploient, quand ils conçoivent leur ministère comme leur pouvoir et qu’ils doivent le partager avec des laïcs.
A l’avenir
Fraîchement renommée, la fonction de «théologien en pastorale» reste en suspens. «L’identité de ce ministère n’a jamais été claire», reconnaît Marie-Andrée Beuret. Sa formation la met sur le même plan que le clergé, mais sa fonction n’est pas équivalente. Peut-être qu’à l’avenir, ce ministère sera encore appelé à évoluer. En attendant, sa nouvelle dénomination semble déjà mettre d’accord toutes celles et ceux qui en portent le titre. (cath.ch/gr)
Les ministères du Jura pastoral en chiffres
–12 théologiens en pastorale, dont 7 femmes et 5 hommes
–27 animateurs (en paroisse, en aumônerie, pour la jeunesse), dont 15 femmes et 12 hommes
–36 prêtres
–7 diacres
–7 autres fonctions en pastorales
Les 89 agents pastoraux mentionnés ci-dessous ont reçu une mission canonique de l’évêque de Bâle.