Thaïlande: La junte s'attaque aux détournements de fonds des moines bouddhistes
Le gouvernement Thailandais a lancé début mai une vague sans précédent d’arrestations de moines bouddhistes de haut rang, dans le cadre d’affaires de détournements de fonds. Cet épisode semble indiquer la volonté de la junte au pouvoir d’assainir la communauté monastique, dont la crédibilité est sérieusement érodée aux yeux des fidèles depuis plusieurs années à cause de scandales de corruption et de mœurs, rapporte l’agence Eglises d’Asie.
Un tel nettoyage au sein du sangha, la communauté monastique du pays, qui compte environ 300’000 bonzes répartis dans 37’000 temples, n’avait jamais été entrepris. Une série d’arrestations a touché jusqu’à présent 45 temples dans toutes les régions du pays. Une dizaine de moines ont été forcés de quitter la communauté et sont sous les verrous.
Plusieurs dizaines d’officiels du Bureau national du bouddhisme – l’organe gouvernemental en charge de gérer le sangha – sont impliqués, et les détournements d’argent s’élèvent à plusieurs dizaines de millions d’euros. Mais surtout, trois bonzes membres du Conseil suprême du sangha, l’organe religieux le plus élevé du royaume, ont été mis en cause. Deux sont en prison, et un troisième a été arrêté le 30 mai après s’être caché pendant six jours. Dans toute l’histoire de la Thaïlande, cette arrestation est une première.
Les détournements ont porté sur le budget de 110 millions d’euros alloué annuellement par l’État à la communauté monastique et visant à la maintenance et à la construction de bâtiments, au développement de l’éducation religieuse, à la promotion du bouddhisme et aux salaires d’environ 40’000 moines qui occupent un poste dans l’administration monastique. Les détournements ont porté sur les deux premiers domaines. Le nouveau chef du Bureau national du bouddhisme, le lieutenant-colonel de police Pongporn Pramsaneh, a voulu y mettre un terme, sans craindre de frapper au sommet de la hiérarchie monastique si besoin.
Le Conseil suprême du sangha impliqué
Une autre arrestation d’un moine, a eu lieu le même jour. Celle de Phra Buddha Isara, qui avait joué un rôle clé dans les manifestations contre le gouvernement de Yingluck Shinawatra en 2014. Il avait applaudi le coup d’Etat de mai 2014 et était un fervent partisan de la junte au pouvoir. Phra Buddha Isara, a été obligé de quitter la communauté avant d’aller en prison. Il est accusé non pas de détournement, mais d’avoir utilisé sans autorisation des symboles royaux sur des amulettes fabriquées dans son temple en 2011. Il est aussi accusé d’avoir torturé deux policiers en civil lors des manifestations de 2014. Pour Certains observateurs la simultanéité de ces arrestation, viserait à donner une image d’impartialité,. Beaucoup de Thaïlandais se sont offusqués de la méthode d’arrestation de Phra Buddha Isara, les commandos de police le mettant en joue alors qu’il dormait sous sa moustiquaire.
Une opération transparence délicate
Pour les autres arrestations liées au détournement d’argent, l’opinion publique semble plutôt satisfaite de cette purge. Certains médias réclament même d’aller plus loin. Selon une étude de 2014, le total des donations versées par les fidèles aux temples du pays se monte à 3,2 milliards d’euros par an. Ce qui de loin supérieur au budget alloué par l’État. Or, selon le Sangha Act, la loi monastique en vigueur, les abbés des temples gèrent comme ils le veulent l’argent de ces donations. En principe, les abbés sont censés mettre en place un « comité de gestion » pour établir un suivi comptable, et publier des rapports financiers annuels au Bureau national du bouddhisme. Mais dans les faits, ce comité est souvent composé de personnes choisies en fonction de leur proximité avec l’abbé et non en fonction de leurs compétences. En outre le Bureau national du bouddhisme ne peut pas demander des audits indépendants de ces rapports, et ceux-ci ne peuvent pas être dévoilés publiquement.
Ce manque de transparence pousse certains observateurs à demander que des audits indépendants soient menés systématiquement sur toutes les transactions financières des temples bouddhiques. Toutefois, pour les dirigeants militaires du pays, l’opération d’assainissement reste délicate, car certains pensent qu’ils n’ont tout simplement pas l’autorité morale (barami, en thaï) pour intervenir dans les affaires monastiques. En outre, les généraux au pouvoir sont eux-mêmes loin d’être irréprochables. (cath.ch/eda/mp)