Syrie: Les chrétiens entre deux feux

Témoignage du Père jésuite Frans van der Lugt, à Homs

Homs, 28 mars 2012 (Apic) Les chrétiens de Syrie craignent l’arrivée au pouvoir d’un régime islamiste fanatique. Ils ont peur de devenir des citoyens de seconde zone, des «dhimmis», quand ils entendent les opposants au régime de Bachar al-Assad parler d’instaurer la «charia». Interview du Père jésuite Frans van der Lugt, à Homs.

«80% des chrétiens de Syrie pensaient déjà à émigrer avant le début des troubles, maintenant ils sont bien plus nombreux encore. Il restera bien sûr des chrétiens dans le pays… notamment ceux qui n’auront pas pu partir!», déclare à l’Apic le Père Frans van der Lugt, à la Résidence des Père jésuites de Homs. Dans le conflit en cours, les Jésuites de Syrie ont su garder leur neutralité envers le régime et la rébellion et tentent toujours de favoriser les contacts entre les différentes communautés religieuses.

Atteint par téléphone entre deux bombardements mercredi 28 mars à Homs, le religieux hollandais précise qu’il veut à tout prix continuer à vivre en Syrie, sa deuxième patrie depuis 1966. Le Père Frans est originaire de La Haye et a vécu sa jeunesse à Amsterdam. Arabophone, le Jésuite a une formation de psychothérapeute. Il a également travaillé en Syrie dans le développement rural, tant en faveur des familles musulmanes que chrétiennes. Il se refuse à décrire en noir et blanc la situation que traverse en ce moment le pays. «Il ne faut pas diaboliser le régime syrien pas plus qu’il ne faut angéliser les insurgés de l’Armée syrienne libre (ASL)», insiste-t-il.

#Les chrétiens ont fui les bombardements

A Homs, cité de plus d’un million d’habitants, quelque 100’000 chrétiens ont fui les quartiers d’al-Hamidiyeh et de Bustan al-Diwan, où se trouve la maison des Jésuites. Les religieux desservent trois paroisses dans la ville: Bustan al-Diwan, BabSba et al-Nouzha. «Il reste moins de 10% des chrétiens dans la ville, les autres ont fui par peur, à cause des affrontements, ils n’ont pas été chassés par les miliciens sunnites. Cela, il faut le souligner! L’armée syrienne a d’abord été repoussée du quartier par l’ASL, et c’est maintenant l’ASL qui est bombardée».

Les chrétiens ont cherché refuge essentiellement dans le Wadi Al-Nassara (la Vallée des Chrétiens), à Marmarita, Safita, Al-Hosn… D’autres sont partis s’installer à Damas ou à Alep, ayant tout perdu dans les bombardements de Homs. «Les maisons se sont vidées, et les miliciens de l’ASL en ont occupées certaines. Les chrétiens qui sont revenus ont pu récupérer leur demeure».

#Les rebelles n’ont pas le soutien de la majorité

Le Jésuite précise que les combats entre communautés existent bel et bien. Ils opposent les sunnites aux alaouites. Ces derniers sont au pouvoir depuis quatre décennies après avoir longtemps été exploités par les musulmans sunnites, qui ne le considèrent pas comme de vrais musulmans, quand ils ne les traitent pas d’hérétiques. Il souligne que si les sunnites représentent plus de 70% de la population, tous ne sont pas avec les insurgés. «Il y a aussi des sunnites pro-Bachar al-Assad, et les rebelles n’ont pas le soutien de la majorité».

Pour le Père Frans, l’opinion publique internationale est mal informée sur ce qui se passe vraiment en Syrie. «Les chaînes de télévision saoudienne Al-Arabiya et qatarie Al-Jazira prennent très clairement partie en faveur de l’opposition et ne disent jamais rien de bon sur le régime en place. L’information est loin d’être objective et équilibrée».

Les Saoudiens prônent en effet un islam wahhabite, et comme le Qatar, ils font la promotion de l’empire sunnite contre les chiites. Les chrétiens, comme d’autres minorités, ne savent pas vraiment où se situer. Ils préfèrent cependant dans leur majorité le système actuel, garantissant la laïcité, craignant l’arrivée au pouvoir d’un régime islamiste qui les marginaliserait.

#Des églises endommagées par les bombardements

Ce mercredi, le Père Frans a vu sa voiture détruite lorsqu’un missile ou un obus est tombé juste à côté de la Résidence des Jésuites. «L’armée vise un restaurant non loin de chez nous, où l’ASL a son quartier général… Il y a une église grecque-orthodoxe juste à côté, qui a également été touchée». Dans ce quartier de petite dimension, qui n’a que deux grandes rues et un réseau de ruelles, cinq églises sont concentrées dans un espace restreint: l’église grecque-catholique, l’église latine, l’église syro-orthodoxe, l’église grecque-orthodoxe et l’église protestante. Les bombardements des positions rebelles ont causé des dommages à plusieurs églises et de nombreuses maisons sont détruites.

La communauté du Père Frans, qui compte trois Jésuites, accueille en ce moment 36 réfugiés – sept familles musulmanes et une famille chrétienne – dont les maisons ont été détruites dans les bombardements. «Ce sont des gens magnifiques, dit-il, nous devons tout faire pour que nous puissions vivre ensemble. Je ne sais pas ce qui va nous arriver, mais nous devons vivre l’Evangile, de façon modeste, sans supériorité. Il est certain que la vie ne va pas reprendre comme avant».

Actuellement, les chrétiens vivant en Syrie sont entre 5 et 6% de la population, soit un peu plus d’un million sur 23 millions d’habitants. «Les chrétiens qui resteront, parce qu’ils ne pourront pas partir, devront s’ouvrir aux musulmans, approfondir leurs convictions, renaître dans leur façon d’être chrétiens, insiste-t-il. Mais c’est vrai, il y a le risque que les fanatiques l’emportent. Pour nous, les chrétiens, l’important est de ne pas être fanatiques avec les fanatiques!» (apic/be)

28 mars 2012 | 17:55
par webmaster@kath.ch
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