Au Tchad, musulmans et chrétiens s'allient contre le fondamentalisme
A Mongo, au nord du Tchad, la coexistence entre chrétiens et musulmans a été compliquée par un fondamentalisme islamique venu des pays arabes. Mais grâce à des activités interreligieuses promues par l’Eglise catholique, l’islam radical perd du terrain.
«Au Tchad, dans les années 1970, les relations entre chrétiens et musulmans étaient excellentes», raconte le Père Franco Martellozzo sur le site spécialisé Vatican Insider, le 13 décembre 2017. Ce jésuite italien âgé de 79 ans est arrivé dans ce pays d’Afrique du Nord en 1963. Il s’est établi à Mongo, aux confins du Sahel et du Sahara. Sur le territoire immense de son diocèse, seulement 7 prêtres sont actuellement actifs, dont trois jésuites. La majorité de la population y est musulmane et les chrétiens ne constituent que 3% des habitants.
Les prédicateurs étrangers sèment la division
Le Père Franco se souvient qu’à l’époque de son arrivée, les fidèles musulmans étaient très ouverts au dialogue et mettaient leurs enfants dans des écoles catholiques. Les mariages mixtes étaient très répandus et tous travaillaient ensemble en paix.
Mais un jour, ce climat serein a été compromis par l’intervention de pays arabes dans la guerre civile, en 1979. Ensuite, ces dernières années, des prédicateurs d’Arabie saoudite et des pays du Golfe sont arrivés dans le nord du Tchad. Il s’agit de fondamentalistes, qui prêchent un islam fermé et veulent semer la division dans la population, affirme le jésuite. Ils empêchent les mariages mixtes et toute forme de collaboration entre les musulmans et les chrétiens qu’ils qualifient «d’impurs».
Leurs prêches ont eu des effets assez différents. Dans certains villages, les communautés chrétiennes et musulmanes se sont séparées et ont, par exemple, cessé de célébrer ensemble leurs cérémonies religieuses respectives. Mais dans beaucoup d’endroits, les musulmans eux-mêmes ont chassé les émissaires arabes après avoir exprimé leur intention de continuer à vivre avec les chrétiens. Le prêtre italien se rappelle un épisode emblématique: des envoyés de pays du Golfe ont exhorté les musulmans d’une petite ville à éviter les contacts avec les chrétiens. Les fidèles ont répliqué que les chrétiens étaient de bons amis, desquels ils avaient reçu, alors qu’ils étaient dans le besoin, une aide décisive et désintéressée. Ils ont dit: «Là où il y a un geste d’aide gratuit, il y a Dieu!» Et ils ont chassé les fondamentalistes.
Islamistes en recul
Le Père Franco assure que «ces prédicateurs étrangers sont en train de perdre du terrain». Il est convaincu que cela est dû en grande partie à l’impressionnant réseau d’activités impliquant l’entier de la population, que l’Eglise catholique a mis en place ces dernières décennies. «La coexistence pacifique et sereine entre chrétiens et musulmans ne se crée pas en discutant de théologie autour d’une table», martèle le jésuite. «Cela se construit en affrontant et en résolvant les problèmes au jour le jour, et en s’occupant des besoins de base des personnes: l’eau, la nourriture, l’éducation, la santé». «La peur ne résout rien, souligne le prêtre, en se référant à la situation actuelle en Europe. Si nous, les missionnaires, avec nos petites communautés, avions eu peur des musulmans, nous serions restés enfermés dans nos petits mondes. Au lieu de cela, en choisissant d’approcher tout le monde avec bonne volonté, nous avons bâti un nouvel horizon qui permet à la population de vivre pacifiquement».
Banques de céréales
Lorsque le Père Franco est arrivé dans ce territoire, il a découvert que de nombreux habitants, durant les périodes de sévère sécheresse, se tournaient vers des usuriers pour pouvoir acheter de la nourriture. Ils s’endettaient ainsi sévèrement et finissaient par travailler comme des quasi-esclaves dans les champs de leurs créanciers. Afin de résoudre ce problème, le jésuite a créé avec un confrère espagnol, une «banque céréalière». Selon ce système simple, la banque accueille et stocke des sacs de céréales (principalement du millet). Et durant les périodes de sécheresse, les agriculteurs peuvent demander du grain contre l’engagement à rembourser l’emprunt après la prochaine récolte. De cette façon les travailleurs ne s’endettent pas auprès des usuriers, qui tendent même à disparaître. Il y a actuellement 350 banques céréalières (une dans chaque village), directement gérées par des habitants chrétiens et musulmans. Plus de 600’000 personnes en bénéficient.
Afin d’assurer que les familles soient auto-suffisantes au niveau de l’alimentation, le Père Franco et son équipe promeuvent aussi des jardins communautaires, tenus conjointement par des chrétiennes et des musulmanes. Dans chaque village, les femmes se sont organisées elles-mêmes pour créer un jardin. L’équipe du Père Franco donne de l’argent (environ 5’000 euros) pour la construction d’un puits en ciment, que les habitants construisent eux-mêmes. 150 potagers ont ainsi été établis et la demande pour des puits est en constante augmentation. Les femmes sont également engagées dans la construction d’installations d’irrigation.
Lutte commune contre le désert
Dans cette région du Tchad, où les écoles publique sont rares, le Père Franco et ses collaborateurs ont aussi fondé des écoles de communautés, aujourd’hui au nombre de 40. Dans les villages, les parents musulmans et chrétiens qui veulent une éducation pour leurs enfants doivent créer une coopérative et soumettre une demande à l’Eglise catholique, qui fournit le matériel de construction. Les membres de la coopérative bâtissent ensuite eux-mêmes l’école, recrutent et paient les enseignants, qui sont formés par l’Eglise.
Le jésuite explique que ces activités ont trois objectifs: renforcer l’autonomie de la population, encourager les familles à rester dans leurs localités, afin d’éviter un émigration problématique, et promouvoir une alliance active entre chrétiens et musulmans.
Il espère même renforcer cette relation grâce à un nouveau projet, qui inclut les enfants musulmans et chrétiens des écoles de communautés. Les élèves sont périodiquement invités à planter des dizaines d’arbres afin de contrer la désertification.
Le prêtre assure finalement que les chefs de villages musulmans sont très contents de ces activités de l’Eglise, parce qu’ils se sentent aidés dans leurs efforts de résistance à la pression des prédicateurs étrangers. «Même les autorités civiles, qui ont une grande estime pour l’Eglise catholique, sont de notre côté. Le Tchad se considère en effet comme un Etat laïc. Toute forme de prédication agressive, qui menace l’unité de la nation, est vue d’un mauvais œil», affirme le Père Franco. (cath.ch/vi/rz)