Amal lutte pour la survie de sa famille dans Alep en ruines. Son mari a été tué à la guerre |  © Alexandra Wey/Caritas Suisse
Suisse

Syrie: «Ne nous oubliez pas !»

«Ne nous oubliez pas!» Tel est l’appel lancé par les Syriens après 7 ans d’une guerre interminable. De retour d’une visite sur place, Hugo Fasel, directeur de Caritas Suisse, interpelle à nouveau la Suisse et ses autorités. «Nous pouvons et nous devons faire plus pour leur venir en aide».

Hugo Fasel, directeur de Caritas Suisse dans les ruines de Homs, en Syrie | Caritas Suisse

«Je pensais que les personnes rencontrées sur place allaient d’abord me demander de l’aide pour se nourrir, se vêtir, se loger, se chauffer, envoyer leurs enfants à l’école, mais pour elles, il y avait une chose encore plus essentielle: ‘Ne nous oubliez pas’», a raconté Hugo Fasel, le 5 avril 2018 à Berne. Le directeur de Caritas Suisse a effectué récemment une visite en Syrie, mais aussi au Liban et en Jordanie pour s’enquérir du sort des populations touchées par la guerre. «Ces gens ont besoin d’attention, d’une attention politique», insiste-t-il.

Même si l’intensité des combats s’est réduite en Syrie, la situation de la population ne s’améliore pas. «On dit par exemple que la stabilité est revenue à Homs, mais cette ville qui comptait deux millions d’habitants avant la guerre, n’en regroupe plus que 50’000 au milieu de champs de ruines. Les gens se demandent chaque jour s’ils auront à manger demain. L’eau potable est une denrée rare».

Hugo Fasel y a rencontré entre autres cette famille de sept personnes: la mère élève seule ses enfants. Son mari a été emprisonné voilà trois ans et elle n’a pas de nouvelles de lui. Trois de ses enfants ont été blessés. Son fils aîné a perdu une jambe, l’une de ses filles est aveugle et l’aînée est si traumatisée qu’elle est psychiquement absente. Toute la famille vit dans un sous-sol.

«Mais, même ainsi, les gens n’abandonnent pas. Ils luttent pour avoir un avenir, pour trouver des perspectives pour eux et leurs enfants. On ne sait d’où ils tirent la force de se battre. Leur force de vie laisse pantois.»

Après 7 ans de guerre, les pays sont épuisés

Alors que la guerre entre dans sa huitième année, les populations de Syrie et des pays voisins sont épuisées. Cinq millions de réfugiés enregistrés et un nombre indéterminé de réfugiés non enregistrés vivent actuellement au Liban, en Jordanie et en Turquie, explique Mandy Zeckra, responsable de l’aide en cas de catastrophe de Caritas Suisse.

«Bachar al-Assad est plus installé que jamais»

En Syrie même, plus de 13 millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire, plus de 11 millions n’ont pas accès aux soins de base, plus de 10 millions sont menacés de famine et plus de 4 millions n’ont pas de toit décent.

Le gouvernement syrien ne cherche pas de solution politique

Le gouvernement syrien ne cherche pas à trouver une résolution politique au conflit. Il fonde son action sur une stratégie militaire et vise, au mépris des Droits de l’homme et du droit international humanitaire, à rendre la vie des groupes d’opposition si terrible qu’ils finiront par se rendre. Bachar al-Assad est plus installé que jamais, estime Mandy Zeckra.

Caritas Suisse présente en Syrie depuis 2012

Caritas Suisse est active en Syrie et dans les pays voisins depuis 2012. A travers les partenaires locaux, en particulier les Caritas locales, l’œuvre d’entraide catholique concentre ses actions sur les besoins concrets des personnes. «Un voyage, tel que nous l’avons fait, ne permet pas d’apporter des solutions, mais il nous aide à nous poser les bonnes questions», explique Hugo Fasel.

L’aide doit dépasser les frontières géographiques de la Syrie et s’étendre aux pays voisins que sont la Jordanie et le Liban, qui accueillent un grand nombre de réfugiés.

«Il est absolument indispensable d’aider les familles  à survivre»

Caritas Suisse entend développer les projets sur trois axes : l’aide d’urgence, la formation et l’éducation ainsi que la création de revenus.

Quotidiennement, il faut continuer à fournir une aide d’urgence à 13 millions de personnes. Il est absolument indispensable d’aider les familles qui n’ont plus rien à survivre en leur fournissant eau et nourriture. La guerre a duré si longtemps que la plupart des gens n’ont plus aucune économie. La misère frappe largement.

L’éducation et la formation constituent le deuxième défi. A cause de la guerre beaucoup d’enfants (40% à 70%) ont eu une scolarité très lacunaire. L’analphabétisme se propage très vite. Il est donc primordial de soutenir les écoles et de faire en sorte que les enfants et les jeunes aient à nouveau des perspectives.

Le troisième axe est la création de revenus. Les réfugiés veulent travailler et gagner leur vie. Il est important de ne pas seulement distribuer de l’argent, mais de fournir aux réfugiés un emploi rémunéré. Le secteur de la reconstruction du pays est particulièrement important. Plusieurs grandes villes sont presque entièrement détruites. Les rebâtir prendra au moins une vingtaine d’années. Caritas Suisse entend insister particulièrement sur ce secteur dans son aide future.

La Suisse doit doubler son aide

«Si la Suisse se présente comme un pays humanitaire, elle doit le démontrer dans les faits», souligne Hugo Fasel. Depuis 2011, la Suisse verse chaque année 50 millions de francs pour l’aide humanitaire en Syrie et dans les pays voisins. A cause de l’enlisement de la situation, les besoins augmentent considérablement dans toute la région. Caritas Suisse demande que la Confédération porte sa contribution à 100 millions de francs par an.

«La Suisse ne peut pas observer cette évolution sans rien faire»

L’œuvre d’entraide attend aussi un engagement plus marqué sur le plan diplomatique. La Suisse ne peut pas observer cette évolution sans rien faire. Elle doit prendre position officiellement contre les coupes et la négligence politique des pays comme les États-Unis vis-à-vis des organisations de l’ONU, relève Martin Flügel, responsable du service Politique et affaires publiques  de Caritas Suisse. Lors de la deuxième conférence sur la Syrie qui aura lieu à Bruxelles les 24 et 25 avril, la Suisse doit s’engager de manière claire et responsable.

Intégration des réfugiés syriens en Suisse

A fin 2017, quelque 6’600 femmes, hommes et enfants syriens vivaient en Suisse avec le statut de réfugiés. 7’000 personnes étaient admises à titre provisoire et 3’000 autres dans l’attente d’une décision. Au total, moins de 17’000 Syriens vivent en Suisse. «Ces chiffres montrent que la Suisse n’est pas très active, c’est le moins que l’on puisse dire, vis-à-vis des réfugiés syriens et que leur nombre restreint ne représente à l’évidence pas une charge trop élevée, et encore moins une menace», commente Martin Flügel.

«Pourquoi la Suisse peine-t-elle à accueillir plus de 15’000 réfugiés syriens?»

Or la majorité de ces personnes n’ont pas la possibilité de retourner en Syrie. Elles n’ont pas non plus de perspectives de s’intégrer en Suisse. Caritas Suisse demande en conséquence l’octroi d’un statut de séjour qui leur offre une protection à long terme et leur permette de s’intégrer dans le marché du travail et la société suisses. L’amélioration du statut de séjour doit être accompagnée d’un renforcement des mesures d’intégration avec une priorité sur la formation et l’éducation.

«Comment dire à la ministre de l’aide sociale de la Jordanie dont le pays s’endette pour gérer un million de réfugiés que la Suisse peine à en accueillir plus de 15’000 ?» conclut Hugo Fasel. (cath.ch/mp)

Amal lutte pour la survie de sa famille dans Alep en ruines. Son mari a été tué à la guerre | © Alexandra Wey/Caritas Suisse
5 avril 2018 | 17:30
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 5  min.
Caritas Suisse (199), guerre (458), Hugo Fasel (22), Réfugiés (431), Syrie (437)
Partagez!