Une famille fuit la ville d'Alep, le 29 novembre, après avoir emporté quelques affaires | DR
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Syrie: les djihadistes ont pris Alep, «les habitants ont la trouille»

Au soir du 29 novembre 2024, les djihadistes du Mouvement de libération de Damas ( HTS, anciennement Front al-Nosra) contrôlaient toute la ville d’Alep, au nord-ouest de la Syrie, qu’ils ont prise sans tirer un coup de feu. «Les Alépins ont la trouille» confie à cath.ch un habitant de la ville. Il craint pour son avenir et celui des communautés chrétiennes présentes à Alep.

«Les djihadistes ont pris Alep en quelques heures, sans tirer un coup de feu. Les forces armées syriennes présentes dans la ville avaient fui», témoigne ce médecin alépin habitant un quartier à l’ouest de la ville. Il pensait comme tous les habitants que les forces gouvernementales arrêteraient leur progression éclair débutée le 27 novembre. «Malgré les bombardements des aviations syrienne et russe, ils ont réussi à passer.»

Un nuage de fumée s’élève au-dessus d’un bâtiment municipal bombardé par les djihadistes | DR

Le matin du 29 novembre, ils étaient aux portes de la ville. Dans la soirée, 30’000 hommes du Mouvement de libération de Damas ( Hayat Tahrir Sham – HTS, anciennement le Front al-Nosra) avaient pris possession de tous les quartiers les uns après les autres. Equipés de jeeps blindées, d’artillerie et de fantassins, ils ont investi les infrastructures militaires et administratives et les hôpitaux abandonnés par les autorités, la police et l’armée syrienne. Des blindés stationneraient à l’extérieur de la ville.

Instauration d’un couvre-feu

«Ils ont décrété un couvre-feu de 23h à 8h le samedi matin», poursuit le médecin qui précise que la nuit, à part quelques tirs sporadiques, a été calme. Au réveil, samedi matin, des soldats étaient postés à tous les carrefours de la ville. Personne ne s’est aventuré en ville avant 11h, puis Alep a connu une petite activité, ajoute-t-il.

«Nous sommes venus vous libérer! Quelle que soit votre confession, n’ayez pas peur!», ont lancé les hommes de la milice aux habitants sortis de chez eux pour s’approvisionner. Selon les témoignages des Alépins, les forces djihadistes sont composées principalement de Saoudiens, de Tchétchènes, de Pakistanais et de Russes musulmans. Ils ont eu jusque-là une attitude correcte selon les mêmes témoins. En fait, «La population d’Alep a la trouille. Nous avons vu ce qu’ils ont fait aux chrétiens à Idlib. Bien que nous ne sommes pas dans le cas de figure où ils avaient donné 24 heures aux chrétiens pour quitter la ville en abandonnant tout derrière eux, personne n’est rassuré».

Messes du dimanche matin annulées

Selon les témoins sur place, les miliciens du HTS n’ont pas manifesté d’hostilité envers les chrétiens et n’ont pas touché aux églises. Les évêques communiquent via les réseaux sociaux et tentent d’apaiser les craintes des fidèles en les appelant ‘au calme et à ne pas paniquer’. En raison du couvre-feu de 24 heures qui a pris effet à 17h ce samedi, les messes du dimanche matin sont annulées. «Nous avons reprogrammé la messe à 18h, en espérant qu’elle aura lieu.»

Alep, «presque morte», retient son souffle. Les restaurants et les commerces sont fermés. Seules quelques épiceries avaient ouvert dans la journée de samedi, permettant aux Alépins de faire des provisions.

Embouteillages monstres

L’autoroute étant contrôlée par les djihadistes, beaucoup d’habitants, parmi lesquels des nombreux chrétiens, ont fui par la route secondaire de Khanasser, à l’est d’Alep, qui permet de rejoindre Homs, puis de gagner Damas. «Il y a un embouteillage monstre. Il faut 13 heures pour gagner Homs, contre deux heures habituellement». Le médecin ne compte pas quitter la ville et ses malades. A 75 ans, il pratique toujours. «90% de mes patients sont musulmans».

Malgré sa voix calme, il ne cache pas son pessimisme pour la suite. «Si le gouvernement syrien envoie des troupes pour libérer Alep, les combats de rue et les bombardements engendreront un carnage. Si rien n’est fait, nous resterons sous le joug des djihadistes. Ce ne sera pas mieux.

«Nous grelotons»

Ceux qui sont restés tentent de rassurer les proches et de donner des nouvelles aux amis. D’ordinaire rationnée, l’électricité disponible deux à quatre heures par jour est coupée. «Habituellement, nous pouvons nous brancher sur des générateurs de quartier moyennant un abonnement, mais avec le couvre-feu, on ne peut plus les faire tourner, donc nous devons nous passer de chauffage électrique. La nuit, la température tombe à 0°. «Et comme le fuel et l’essence sont rationnés, nous ne pouvons pas nous chauffer. Nous grelotons.»

Au téléphone, l’homme semble serein, il décrit la situation calmement. «La résilience est la richesse des Alépins. Nous avons vécu tellement de moments difficiles depuis le début de la guerre! Les privations, la violence, la faim. Nous nous sommes endurcis et nous faisons confiance à la providence»

Au début du conflit en 2011, les 2 millions de chrétiens représentaient 10% de la population syrienne. Ils sont aujourd’hui à peine 500’000 alors que la Syrie ne compte plus que 13 millions d’habitants. Environ 7 millions ont fui le pays et la guerre a fait 500’000 morts. (cath.ch/bh)

Chrétiens syriens, qui sont-ils?
Les chrétiens Syriens se répartissent en 11 confessions; les Grecs-orthodoxes sont les plus nombreux: 169’000 fidèles. Puis viennent les Arméniens-orthodoxes avec 110’000 membres. Les Grecs-catholiques ou Melkites: 55’000, les Syriaques-orthodoxes: 51’300, les Syriaques-catholiques, les Arméniens-catholiques. Les Maronites, les Chaldéens, les Nestoriens, les Latins, et les Protestants forment le reste de la communauté (Etant donné la situation du pays, ces chiffres ne sont que des estimations). LBA

Une famille fuit la ville d'Alep, le 29 novembre, après avoir emporté quelques affaires | DR
30 novembre 2024 | 19:04
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 4  min.
Alep (45), chrétiens (90), djihadistes (91), Guerre civile (79), Syrie (439)
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