Syrie: la petite minorité chrétienne entre crainte et espoir
La minorité chrétienne en Syrie fait face à l’instabilité et l’insécurité qui règne dans le pays suscite des inquiétudes, tout comme la volonté du nouveau pouvoir de demander des comptes aux membres de la communauté qui ont soutenu le régime brutal d’Assad.
Plus d’une dizaine de bars et restaurants dans les quartiers chrétiens de la vieille ville de Damas, ont été fermés «faute de licence» pour vendre de l’alcool, une décision qui a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux.
Le journal Enab Baladi a indiqué avoir consulté un document officiel ordonnant la fermeture de restaurants dans des quartiers chrétiens de la capitale sous prétexte qu’ils ne se seraient pas conformés aux licences qui leur ont été accordées pour servir des boissons alcoolisées et des narguilés.
La décision concernait environ 250 restaurants des quartiers chrétiens animés de Qassaa, Bab Touma et Bab Charqi, selon le journal. Ces établissements étaient pourtant restés ouverts aux clients pendant tout le mois de jeûne musulman du Ramadan. Un décret a, par la suite, ordonné la «réouverture immédiate des établissements», selon Enab Baladi.
Influence croissante des normes islamiques
Dans les rues d’Alep, des jeunes Syriennes décrivent une réalité toujours davantage marquée par l’influence croissante des normes islamiques. Des affiches à Homs recommandent aux étudiantes de porter le voile intégral et d’éviter de se parfumer, tandis que des affiches apposées sur des bus incitent les femmes à s’asseoir à l’arrière, loin des hommes.
«Nous pourrions résumer le climat que nous respirons aujourd’hui en Syrie par le mot incertitude», explique le Père Bahjat Karakach, curé latin d’Alep, cité par Marinella Bandini, de la Custodie de Terre Sainte à Jérusalem.
«Nous traversons une phase très difficile»
«La chute du régime n’est pas devenue automatiquement synonyme de ›bonne situation’. Nous traversons une phase très difficile: les anciennes certitudes ont disparu et nous ne savons pas à quoi ressemblera l’avenir. Nous devons encourager la population syrienne et lui apporter un message d’espérance».
Depuis le 6 mars, le pays est secoué par une vague de violence, avec des affrontements entre les groupes fidèles à Assad (alaouites) et les forces de sécurité de la nouvelle administration, qui a fait plus de 1’300 victimes à Banias, Lattaquié et Tartous, essentiellement des civils. Des familles entières ont été massacrées par des djihadistes en partie venus d’Idlib, mais aussi par les forces de sécurité envoyées dans la zone côtière par président Al Charaa.
«Ces affrontements sont une honte», déclare le Frère Hanna Jallouf, vicaire apostolique des Latins d’Alep. «Heureusement, nos frères et les chrétiens de Damas, d’Alep et des villages environnants, ainsi que ceux de Lattaquié, sont en sécurité. Dans cette situation, notre mission de pacificateurs prend toute son importance».
Les chrétiens continuent de partir
«La première réaction face aux difficultés est de fuir, et cela vaut également pour les chrétiens», raconte le Frère Bahjat. L’émigration des chrétiens, qui étaient 10% de la population syrienne avant le début du conflit qui a déchiré le pays depuis 2011 n’a pas diminué après la chute du régime de Bachar Al-Assad. «Nous avons besoin de voir des signes concrets de développement, mais jusqu’à présent, c’est tout le contraire: le marché est au point mort, le taux de chômage ne cesse d’augmenter…»
Au cours de ces trois derniers mois, les responsables des Églises ont participé aux débats sur la nouvelle Constitution: «Nous avons pris part à un congrès national où nous avons débattu de la Constitution et de l’avenir de la Syrie. La délégation chrétienne était nombreuse et nous avons pu exposer notre point de vue», déclare Mgr Jallouf.
La communauté chrétienne appelée à être un «pont de paix»
«Nous avons immédiatement proposé notre collaboration aux nouveaux dirigeants, afin d’assurer la paix et la sécurité de la population et la stabilisation du pays. Dans le même temps, nous exhortons nos jeunes à s’intégrer dans la vie politique et sociale pour être ›la lumière du monde et le sel de la terre’. Telle est notre mission, donner du goût à la vie en Syrie».
Le Père Bahjat est d’avis que, dans le contexte actuel, la communauté chrétienne est appelée avant tout à être un «pont de paix». «La communauté chrétienne n’a jamais fait de la violence un moyen d’atteindre ses objectifs, c’est pourquoi elle jouit d’une bonne réputation auprès des Syriens. Cela nous aide à être un pont de paix et de dialogue entre les différentes factions. Nous devons investir dans ce domaine et mettre toutes nos forces au service de ce travail de médiation et de paix au sein du peuple syrien».
Le 13 mars dernier, le président Ahmed al-Sharaa (Al-Jolani), ancien chef de la faction islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), a signé une Constitution provisoire valable pour cinq ans. Le texte garantit – en principe – la liberté d’opinion et d’expression, ainsi que la liberté de culte. Cependant, la loi islamique reste la principale source législative.
Frère Bahjat relativise les inquiétudes qui se sont manifestées à ce sujet, y compris parmi les chrétiens. «En Syrie, cela a toujours été ainsi, je n’accorderais pas trop d’importance à la question en soi. Le problème est de savoir comment certaines expressions seront interprétées et mises en œuvre».
Punir toute incitation à la haine et à la discrimination
«En tant que franciscains, explique-t-il, nous avons demandé une loi qui punisse toute incitation à la haine et à la discrimination, sur la base du septième point de la Constitution provisoire. Il y a matière à travailler dans un sens positif, pour construire une société vraiment tolérante et ouverte à tous». Quant à la possibilité réelle d’évangéliser dans une société régie par un pouvoir musulman qui s’inspire de la charia, le curé franciscain n’a aucun doute: «Nous devons être créatifs, sortir des schémas rigides d’évangélisation et trouver de nouvelles voies. Comme nous l’a enseigné saint François, évangéliser signifie avant tout vivre l’Évangile et être un signe pour ceux qui nous entourent». (cath.ch/cts/orj/be)