Marie-Christine Conrath et Isabelle Vernet, ici à Fribourg en septembre 2022, estiment que le DEC, "très positif et de grande qualité, laisse apparaître le besoin de changement"  | © Bernard Hallet
Suisse

Synode sur la synodalité: échos suisses sur la phase continentale

Étape intermédiaire du Synode sur la synodalité: le 5  février 2023 s’ouvre à Prague le rassemblement européen des délégués à propos du Document de travail pour l’étape continentale (DEC). Localement, ce dernier a éveillé des échos divers. Impressions dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg et celui de Sion.

Agenda 2023 serré dans l’Eglise catholique. Car les observateurs pointent déjà leur regard vers le 4 octobre, date d’ouverture au Vatican du Synode sur la synodalité. Ces termes assez mystérieux désignent le processus de réforme engagé à l’échelle du monde catholique par le pape François. On s’active donc en coulisses. 2022 a été l’année de la consultation.

Place désormais aux réflexions plus approfondies. Les échanges actuels se concentrent sur le DEC, le document intermédiaire entre le travail initial des diocèses et la session romaine. Ce travail de synthèse de 58 pages récapitule les contributions de 112 conférences épiscopales.

Besoin de changement

A la lecture du DEC, l’abbé Pierre-Yves Maillard, vicaire général du diocèse de Sion, salue «la convergence des éléments rapportés par les multiples conférences épiscopales, qui révèle l’universalité des problématiques» soulevées. Pour Marie-Christine Conrath, responsable de la pastorale de la santé au Val-de-Travers (NE) et coordinatrice du Réseau des femmes en Eglise, le DEC est très positif: «Il n’y a pas un point de vue occidental. Dans un premier temps, cela semble donner plus de consistance aux difficultés actuelles de l’Eglise. Mais dans un deuxième temps, cela fait apparaître encore plus fortement le besoin de changement».

Même enchantement chez Isabelle Vernet, responsable du Département vaudois des 15-25 ans: «J’ai été impressionnée par la qualité du Document. Les rédacteurs ont su garder la spécificité de chaque rapport au sein d’une unité. Ce tour de force est remarquable».

«On vous a entendus»

Enthousiaste, le théologien Philippe Becquart, adjoint du représentant de l’évêque dans le canton de Vaud, se dit stimulé: «Ce document révèle une force et un dynamisme. Le texte d’Isaïe 54,2 avec l’image de la tente plantée dans le désert, invite à cet élargissement. Elargis ta tente, sors de ton confort, de tes frontières. Je trouve ça génial!»

Philippe Becquart, responsable du département de la formation des adultes dans l’Église catholique de canton de Vaud | © Grégory Roth

«On a invité les catholiques à prendre la parole et désormais, on est dans la phase: ‘On vous a entendus’. On a découvert la beauté et la richesse de ces communautés chrétiennes, si proches et si différentes».

L’abbé Maillard note, toutefois, le côté fourre-tout du DEC: «Chacun peut trouver dans ce document un peu ce qu’il cherche. Nous devons nous exercer à le lire sans vouloir d’abord y trouver ce que nous souhaitons y voir, mais en y attendant ce que nous ne cherchons pas».

A partir du baptême

C’est un fait, le DEC ne peint pas l’Eglise en rose. La culture trop cléricale de l’Eglise et la passivité du peuple de Dieu sont notamment pointés. Emerge également la perception de la séparation entre les prêtres, souvent surinvestis, et le reste du peuple de Dieu.

«Nous avons à convertir notre regard car le prêtre est souvent réduit à son cléricalisme.»

Philippe Becquart

Pour Philippe Becquart, «on peut constater une évolution des prêtres, de la résistance à leur participation au processus synodal. Le Document note leur souffrance et leur incompréhension. Nous avons à convertir notre regard car le prêtre est souvent réduit à son cléricalisme. Il faut passer à une étape de guérison plutôt que de dénonciation». Car «l’idéal sacerdotal se heurte à l’expérience de la vie ministérielle. Il faut donc revaloriser le ministère sacerdotal dans un processus de miséricorde».

En coresponsabilité

Marie-Christine Conrath retient un élément présent dans l’esprit du pape François en convoquant la démarche synodale: le primat de la vocation baptismale. En insistant sur la dignité commune de tous les baptisés, le DEC dépasse la séparation entre clercs et laïcs. «Il faut repenser la théologie de l’Eglise à partir du baptême et non du sacrement de l’ordre: la sacramentalité vient vraiment de notre baptême», renchérit Philippe Becquart.

«Nous devons repenser nos communautés à partir de la vocation baptismale, stipule Marie-Christine Conrath. Il s’agit de se mettre tous ensemble en coresponsabilité. Actuellement la communauté attend souvent tout du prêtre et lui met en avant «son pouvoir». Il faut travailler à ce changement, cela demande un engagement conséquent de tous.»

Le rôle des femmes

Autre point fort du DEC, «l’importance de la voix des exclus, relève Isabelle Vernet. Il y a les pauvres, ceux qui ne sont plus dans l’Eglise et qu’il faut savoir écouter. Et il y a les jeunes et les femmes. Il faut absolument des femmes à des postes importants».

Pareillement, Marie-Christine Conrath perçoit l’invitation à élargir l’espace de sa tente «comme un appel à accueillir totalement ceux et celles qui se sentent exclus. Comme coordinatrice du Réseau des femmes en Eglise, je pense aux femmes, à leur intégration dans les instances décisionnelles de l’Eglise, leur présence dans la liturgie, notamment à travers les homélies».

En continuité de Vatican II

Pour l’abbé Maillard, «les axes fondamentaux de ce texte reprennent et rejoignent les accents majeurs du pontificat de François». Plus largement, «on est au cœur de l’ecclésiologie du concile Vatican II (1962-1965), relève Philippe Becquart. Le pape veut retrouver cette sève originale. On se situe dans la ligne de cette Eglise pentecostale que Jean XXIII a appelé de ses vœux en lançant le Concile dans les années 1960».

L’abbé Pierre-Yves Maillard en mars 2022 lorsqu’il communiquait la synthèse des réponses au questionnaire du synode pour le diocèse de Sion | © Bernard Hallet

Néanmoins, pour la suite du cheminement synodal, le DEC évoque la tentation de l’enfermement dans le conflit – Babel au lieu de la Pentecôte – tout comme celle du détachement pour se désintéresser des tensions en jeu. Et il dénonce la persistance d’obstacles structurels avec une hiérarchie qui «favorise une culture cléricale et individualiste qui isole les individus et atomise les relations entre prêtres et laïcs».

Un itinéraire spirituel

Le Sédunois Pierre-Yves Maillard voit «la diversité des positions comme des tensions positives, à l’école du discernement et de la spiritualité de communion. Et les désaccords sont à recevoir comme des éléments de croissance dans des chemins de conversion personnelle et communautaire». Avec un leitmotiv: «Nous laisser évangéliser collectivement par l’Esprit».

«La démarche synodale est une chance d’apprendre, petit à petit, à travailler en coresponsabilité.»

Marie-Chritine Conrath

Pour Marie-Christine Conrath, le DEC constitue «une chance. Il est un itinéraire spirituel à vivre avec nos communautés. La démarche prendra encore du temps, mais c’est une chance d’apprendre, petit à petit, à travailler en synodalité». (cath.ch/bl)

En Suisse romande
Le diocèse de Sion a travaillé sur le DEC, en comité épiscopal élargi, le 22 décembre 2022, indique l’abbé Pierre-Yves Maillard. La réflexion s’est approfondie le 19 janvier avant un envoi à la Conférence des évêques.
Du côté de Lausanne, Genève et Fribourg, la réflexion du Groupe synodal diocésain, sous la houlette de Bernard Sonney, vicaire général, a peaufiné son analyse du DEC le 10 janvier avant de faire parvenir ses conclusions à la CES.

> Téléchargez le document de l’étape continentale <

Marie-Christine Conrath et Isabelle Vernet, ici à Fribourg en septembre 2022, estiment que le DEC, «très positif et de grande qualité, laisse apparaître le besoin de changement» | © Bernard Hallet
3 février 2023 | 17:00
par Bernard Litzler
Temps de lecture : env. 5  min.
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