Suisse: un groupe d'intellectuels congolais se mobilise contre Kabila
Alors que le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya se trouve au centre d’une campagne diffamatoire de la part du régime de Joseph Kabila, un groupe d’intellectuels de la République démocratique du Congo (RDC) basé en Suisse souhaite que l’archevêque de Kinshasa prenne la tête d’une autorité provisoire. Faute d’autre leader d’envergure nationale.
«Il s’agit d’une période de régence spéciale de neuf mois dotée d’une présidence provisoire, le temps d’organiser des élections, mais Kabila et les oligarques dont il s’est entouré doivent dégager immédiatement, car nous risquons à nouveau de tomber dans un bain de sang!», lance Lansana Kangafu Vingi. Ce consultant retraité de l’UNESCO vivant à Lucerne considère que l’Eglise catholique en RDC est désormais «la seule institution crédible au niveau de tout le pays» dans la période de crise profonde que traverse la RDC.
Vide politique
En effet, «pour le moment, nous n’avons aucun autre leader de l’opposition qui ont l’envergure de l’ancien Premier ministre Etienne Tshisekedi wa Mulumba», décédé le 1er février 2017 à Bruxelles.
Lansana Kangafu Vingi est à la tête de la plateforme «LeCongoLibre Groupe», regroupant une vingtaine de membres. L’intellectuel congolais dirige également l’Institut «Eur’Afer», actif dans la pédagogie interculturelle en Suisse alémanique.
Son groupe lance un appel aux compatriotes congolais afin qu’ils se mobilisent contre le «principat stalinien en déroute» de Kabila, «qui asphyxie la nation dans l’illégalité généralisée». Lansana Kangafu rappelle que les assemblées – que ce soit la chambre haute, la chambre basse et les chambres provinciales – se maintiennent au pouvoir sans mandat démocratique. «Kabila a mis ses hommes partout. Il a tout sous contrôle et dispose de relais dans toutes les institutions. En face, il manque de personnalités ayant un vaste soutien populaire et les partis politiques sont éparpillés. Le tribalisme, le népotisme, le clientélisme, la corruption règnent en maîtres dans le pays! ”
L’Eglise en RDC, une force de progrès
L’opposant congolais affirme que l’Eglise en RDC est une force de progrès, et que le cardinal Monsengwo avait déjà joué un rôle politique dans le pays à l’époque du régime de Mobutu: en 1991, il fut président du Bureau de la Conférence nationale souveraine puis, de 1992 à 1996, du Haut conseil de la République, érigé en Parlement de transition en 1994.
«Plus de 70% des Congolais sont catholiques, et l’Eglise est la seule institution crédible qui peut mener la transition. Le cardinal Monsengwo et l’Eglise ont une masse derrière eux, dans toute la République. C’est la seule institution qui est à la base, auprès des gens dans la rue, dans les villages, attentive aux besoins et aux attentes de la population».
L’Accord de la Saint-Sylvestre bafoué
Lansana Kangafu rappelle que l’Accord de la Saint-Sylvestre, entre l’opposition et le pouvoir, signé le 31 décembre 2016 sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), n’a pas été respecté.
«Nous sommes à la fin du mandat du président Kabila depuis le 19 décembre 2016, et nous sommes face à la non tenue des élections, principalement la présidentielle, dans le délai constitutionnel… Mais de plus Kabila ne veut pas quitter le pouvoir, qu’il occupe depuis l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, le 16 janvier 2001. Il a ainsi déclaré dans une interview accordée en juin dernier au magazine allemand «Der Spiegel» qu’il n’avait jamais promis des élections en RDC!» Sous la contrainte, Kabila a dû tolérer des «parodies d’élection», mais ce qu’il fait en réalité, c’est «un putsch ininterrompu!»
«LeCongoLibre Groupe» a l’intention d’envoyer son projet de «Convention du peuple souverain» au secrétariat de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO). Il y détaille l’organisation du pays après l’expulsion de Kabila et de son entourage, qui devraient être déférés à la Cour Pénale Internationale de la Haye pour leurs crimes, en même temps que ceux qui, à Kigali, ont été instigateurs et alliés dans les deux effroyables guerres qui ont ravagé le pays. (cath.ch/be)
«LeCongoLibre Groupe» vient de faire paraître «Congo, RD – Le casino des pouvoirs», édité par © CONGOLIA GAZETTE
Mgr Monsengwo: «Je n’envie pas le pouvoir politique»
En 2004, alors qu’il est élu président de la Conférence épiscopale nationale du Congo, face aux rumeurs l’annonçant candidat à l’élection présidentielle, Mgr Laurent Monsengwo Pasinya déclarait lors d’un point presse: «Je n’envie pas le pouvoir politique… Si je le voulais, je l’aurais pris en 1997, avec la chute de Mobutu, mais je ne l’ai pas fait, car mon pouvoir ecclésiastique est mille fois supérieur au pouvoir politique». JB
Pas de divisions des chrétiens
La tentative d’opposer l’Eglise catholique aux autres communautés chrétiennes dans le cadre de la vive confrontation entre la Conférence épiscopale nationale du Congo et Joseph Kabila a échoué, note l’agence d’information vaticane Fides. «C’est ce qui a pu être vérifié le 16 janvier, en l’anniversaire de la mort du père de l’actuel président, Laurent Désiré Kabila, tué dans des conditions jamais éclaircies le 16 janvier 2001. La commémoration à la mémoire du chef de l’Etat assassiné a eu lieu en la cathédrale du Centenaire de l’Eglise du Christ au Congo (ECC), une dénomination protestante.
Le pasteur François-David Ekofo a, dans ce cadre, adressé des paroles très dures à l’actuelle direction du pays, paroles qui rappelaient les avertissements lancés par le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, archevêque de Kinshasa, qui se trouve au centre d’une campagne diffamatoire de la part du régime».
«Nous devons laisser à nos enfants un Etat qui existe réellement – a déclaré le pasteur Ekofo dans son sermon. Je le dis parce que l’on a l’impression que l’Etat n’existe pas réellement (…) Dieu demandera compte aux Congolais. Nous devons remettre à nos enfants un pays uni – a-t-il insisté. Il n’est pas admissible d’importer de la nourriture pour les congolais quand le pays est riche en pétrole, en diamants, en coltan, produits qui sont parmi les plus recherchés du monde».
Les hommes politiques médiocres doivent s’en aller
La sévère prise de position d’un si haut représentant d’une autre confession chrétienne mine les espoirs du clan présidentiel visant à tenter d’opposer les autres confessions chrétiennes à l’Eglise catholique, dont le plus haut représentant en RDC, le cardinal Monsengwo Pasinya, a été accusé par le gouvernement d’avoir commis, par ses récentes déclarations, des ‘tentatives de subversion’ contre les intérêts nationaux».
Le cardinal avait durement condamné la répression de la marche pacifique organisée par les catholiques congolais afin de demander l’application de la partie des Accords de la Saint Sylvestre prévoyant la liberté de la presse et la libération des prisonniers politiques. Il avait déclaré expressément que les hommes politiques «médiocres devaient s’en aller».
Notons que la marche de protestation des laïcs catholiques sur l’ensemble du territoire national, le 21 janvier 2018, est largement soutenue par les laïcs protestants. JB