Mgr Harald Rein, évêque de l’Église catholique-chrétienne en Suisse, depuis 2009  | © Jacques Berset
Suisse

Il y a 150 ans, les prémisses de l'Eglise catholique chrétienne

Les débuts de l’Eglise catholique-chrétienne, la plus petite des trois Eglises nationales de la Suisse, reconnue par l’Etat au même titre que les Eglises catholique-romaine et protestante, font suite au Concile Vatican I de 1870. C’est en 2024 que cette Eglise, appelée aussi «vieille-catholique», marquera les 150 ans de sa constitution.

Il n’est plus le temps où les membres de l’Eglise catholique-chrétienne, qui compte actuellement quelque 13’500 membres à travers toute la Suisse, étaient excommuniés par les instances catholiques-romaines.

Des guerres de tranchées terminées

«Les guerres de tranchées sont depuis longtemps terminées, et l’on sait où cela nous a menés… Nous sommes en bonne entente avec les catholiques-romains, et si nous sommes une Eglise ouverte, nous ne faisons pas de prosélytisme», confie à cath.ch Bernard Boulens, rédacteur en chef de Présence, le mensuel des paroisses catholiques-chrétiennes de Suisse romande.

«En  juin  2019, quand la paroisse catholique-chrétienne de Lancy a accueilli les délégués de la 151e session  du  Synode national de notre Eglise, étant donné que notre église était trop petite, la messe d’ouverture a eu lieu dans l’église catholique-romaine de Notre-Dame des Grâces, au Grand-Lancy. C’est dire que nos relations sont excellentes! Une fois par an, d’entente avec le vicariat de l’Eglise catholique-romaine, nous mettons aussi à disposition nos locaux de la paroisse de Genève-St-Germain».

Le «mariage pour tous» au Synode national du 22 août

Dans l’Eglise catholique-chrétienne, on tient pour acquis ce que certains milieux progressistes  de l’Eglise catholique-romaine réclament depuis longtemps: il n’y a pas de célibat des prêtres, les femmes ont des droits égaux à tous les niveaux et peuvent exercer la prêtrise. Sur la table: la question du «mariage pour tous», qui sera débattue lors de la session extraordinaire du Synode national du 22 août 2020 en l’église des Augustins à Zurich.

«L’Eglise catholique-chrétienne de la Suisse approuve l’ouverture en droit civil du mariage pour les couples homosexuels», explique pour sa part Adrian Suter, curé de la paroisse catholique-chrétienne de Lucerne.

Bénédiction des couples de même sexe depuis 2004

Il ne s’agit pas de la question de savoir si la bénédiction des partenariats homosexuels est possible ou pas: c’est depuis longtemps acquis. En effet, depuis 2004, un rite correspondant a été approuvé. Pour l’Eglise catholique-chrétienne, il s’agit non pas de savoir s’il faut une bénédiction des couples de même sexe, mais de savoir comment cette bénédiction se présente en vue d’exprimer la compréhension catholique-chrétienne. La prise de position du Synode permettra à Harald Rein, évêque de l’Eglise catholique-chrétienne de la Suisse, de représenter avec plus de poids l’opinion suisse lors de la discussion à la Conférence Internationale des Evêques (CIE). La CIE est l’organe décisionnel de l’Union d’Utrecht, réunissant notamment les évêques des Eglises vieilles-catholiques des Pays-Bas, de Suisse et d’Allemagne.

Cheminement synodal

Pour prendre une telle décision, le cheminement synodal est suivi avec pour objectif le consensus le plus large possible. «C’est entre autres cet esprit libéral que les gens apprécient dans notre communauté», estime le curé Suter, lui-même père de deux enfants. «L’atmosphère familiale de la communauté ainsi que sa taille raisonnable contribuent à ce que les gens se sentent à l’aise avec nous», déclare-t-il dans l’édition du 17 juillet 2020 de «Christ und Welt» (le chrétien et le monde), la page religieuse hebdomadaire publiée par la Neue Luzerner Zeitung.

Le prêtre de 50 ans, membre de la Commission de dialogue des Eglises catholique-chrétienne et catholique-romaine de Suisse, affirme que «l’on s’entend très bien [avec les catholiques-romains, ndlr], «et pour certains catholiques-romains, nous sommes aussi, en quelque sorte, un modèle».

Pas question de faire du prosélytisme

Adrian Suter relève que, pour les catholiques-chrétiens, l’aspect cérémoniel est tenu en très haute estime. Et bien que son Eglise ait développé depuis 1870 sa propre forme liturgique, elle est clairement reconnaissable comme catholique et ne s’écarte de la tradition catholique-romaine que sur quelques points. «C’est pourquoi on rencontre toujours, lors de nos messes, des fidèles enracinés dans la tradition catholique-romaine».

Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle et président de la CES, avec Mgr Harald Rein, président du Conseil suisse des religions (CSR), et Gottfried Locher, ancien président de l’EERS | © Jacques Berset

Mais pour le prêtre d’origine bâloise, pas question de faire du prosélytisme et de démarcher activement des membres d’autres Eglises, par respect pour elles. Il peut cependant imaginer, par exemple, que des personnes sans confession, qui recherchent un (nouveau) foyer spirituel, puissent rejoindre son Eglise. Mais les fidèles qui sont ancrés dans leur Eglise préfèrent essayer de la changer de l’intérieur, plutôt que de rejoindre une Eglise qui connaît déjà ce qu’ils réclament au sein de la leur.

Le curé Adrian Suter pointe, outre le nombre toujours plus grand de personnes se déclarant sans confession, le vieillissement toujours plus prononcé des fidèles de son Eglise. «Malheureusement, nous avons plus de funérailles que de baptêmes», constate-t-il. Pourtant, déclarait pour sa part dans son Message du nouvel an la présidente du Conseil synodal Manuela Petraglio, «sans confession ne signifie pas automatiquement sans croyance. C’est pourquoi nous devons nous efforcer de rester ‘attractifs’ et ouverts sur la nouveauté !»  JB

Historique
L’Eglise catholique-chrétienne s’est constituée en Suisse entre 1871 et 1876 dans le contexte du Kulturkampf (»combat pour la civilisation») et de la crise qui a opposé les courants libéraux et conservateurs au sein du catholicisme en cette fin du XIXe siècle. Le point de rupture fut le Concile de Vatican I en 1870, qui a proclamé l’infaillibilité et la primauté du pape.
Une partie des catholiques, qui se désignaient eux-mêmes comme «catholiques libéraux», «catholiques nationaux», «catholiques-chrétiens» voire «vieux-catholiques» (ce qui renvoie à l’Eglise primitive structurée selon un système synodal) firent dissidence. Ils refusèrent ces nouveaux dogmes et furent excommuniés.
Les raisons du schisme en étaient aussi bien politiques que religieuses, les dissidents critiquant l’ultramontanisme, à savoir la priorité accordée à l’autorité du pape, et refusant la juridiction universelle de l’évêque de Rome. Ils souhaitèrent toutefois «rester catholiques» en se donnant comme modèle l’Eglise des premiers siècles, d’où leur nom de «vieux-catholiques». Fondée en 1871, l’Association suisse des catholiques libéraux fut la première à proposer la création d’une Eglise épiscopale et synodale échappant à la juridiction papale. JB

Trois origines
Les chrétiens vieux-catholiques se composent de trois sections: l’Eglise d’Utrecht, née en 1724 quand le chapitre de l’Eglise défendit son droit ancien d’élire l’archevêque d’Utrecht, en dépit de l’opposition de Rome; les Eglises vieilles-catholiques d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse, qui refusèrent d’accepter les dogmes de l’infaillibilité et de la primauté de juridiction universelle du pape définis par le Concile œcuménique Vatican I en 1870. Ils sont rejoints par plusieurs petits groupes d’origine slave. Des mouvements d’Eglises nationaux qui se développèrent parmi les Polonais aux Etats-Unis (1897) et parmi les Croates (1924) aboutirent à l’établissement de l’Eglise polonaise nationale en Amérique et en Pologne, et de l’Eglise vieille-catholique de Croatie.
L’Eglise polonaise nationale des Etats-Unis d’Amérique et du Canada a quitté l’Union d’Utrecht en 2003, ses évêques ayant refusé de se ranger à l’avis de la majorité des membres de la Conférence internationale des évêques, favorable à l’ouverture du ministère apostolique aux femmes. L’Eglise indépendante des Philippines a établi la communion sacramentelle avec les vieux-catholiques en 1965. JB

Base doctrinale
La base doctrinale des Eglises vieilles-catholiques est la Déclaration d’Utrecht (1889). Les vieux-catholiques reconnaissent les sept conciles œcuméniques et les doctrines acceptées par l’Eglise avant le grand schisme de 1054. Ils admettent sept sacrements et reconnaissent la succession apostolique. Ils croient aussi en la présence réelle dans l’eucharistie. Les Eglises vieilles-catholiques ont une structure épiscopale et synodale. Les évêques, comme tous les membres du clergé, ont le droit de se marier. Tous les services sont célébrés dans la langue locale. Depuis 1996, le triple ministère apostolique est ouvert aux femmes.
Depuis le début, les anglicans se sont montrés proches des vieux-catholiques. Les vieux-catholiques reconnaissent les ordinations anglicanes depuis 1925. En 1931, ils se sont déclarés en pleine communion avec l’Eglise d’Angleterre, et par la suite avec toutes les Eglises de la Communion anglicane.
Des dialogues entre vieux-catholiques et orthodoxes ont lieu depuis 1931. Un accord sur des questions théologiques et ecclésiologiques importantes a été conclu en 1987. Une commission mixte a été mise en place avec le Patriarcat œcuménique pour surveiller l’application de cet accord dans les Eglises. Depuis le Concile œcuménique Vatican II, les Eglises vieilles-catholiques sont en conversation avec l’Eglise catholique- romaine. Tant au niveau national qu’au niveau international, diverses initiatives ont été prises pour aborder les principales questions ecclésiologiques à propos desquelles les deux familles ecclésiastiques catholiques ont des opinions divergentes. JB

Mgr Harald Rein, évêque de l’Église catholique-chrétienne en Suisse, depuis 2009 | © Jacques Berset
22 juillet 2020 | 07:37
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 6  min.
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