Suisse: Face aux musulmans, la laïcité se 'rétrécit'
Lausanne, 2 février 2015 (Apic) L’onde de choc des attentats de Paris a largement touché la Suisse romande et relancé le débat sur la laïcité. La question du vivre ensemble a été au centre des discussions de la journée annuelle des socialistes chrétiens le 31 janvier 2015 à Lausanne. Les quelque 50 participants ont plaidé pour une laïcité ouverte, face aux idées confuses qui prolifèrent sur le thème.
En Suisse, l’immense majorité des musulmans ne se situent pas dans un rapport d’opposition à l’Etat et à ses lois. Cette majorité silencieuse ne doit pas être soumise à 5% de pratiquants fondamentalistes, relève Hafid Ouardiri. «Nicolas Blancho et son Conseil central islamique de Suisse sont un pur produit médiatique pas du tout représentatif», insiste le président de la fondation pour l’entre-connaissance à Genève. Il n’en demeure pas moins que, face aux musulmans, la laïcité tend souvent à se ‘rétrécir’. Et de citer en exemple le cas à Genève de jeunes étudiantes en pharmacie qui peinent à trouver un stage parce qu’elles portent le voile. Pour Hafid Ouardiri, il est totalement injuste et contre-productif de s’en prendre à ces jeunes femmes qui précisément ont fait l’effort de sortir de leur milieu pour entreprendre des études. «On ne doit pas juger quelqu’un sur son appartenance religieuse mais sur ses compétences. Ces jeunes femmes, nées à Genève et de nationalité suisse, doivent alors négocier avec le bureau de l’intégration. C’est aberrant.»
On voit les mosquées, mais on ne voit pas les églises
Pour Benoît Gaillard, président du parti socialiste de la ville de Lausanne et titulaire d’un master en philosophie, le concept de laïcité pose une question de fond. Celle du statut des choix moraux. Sont-ils strictement privés comme l’estime une idéologie libérale voire libertaire ? Ou, au contraire, dépendent-ils de principes communs à l’ensemble de la société selon une logique communautaire ou identitaire ? Cette question ouvre celle de l’extension des règles de l’Etat avec plus ou moins d’espace de liberté pour l’individu. La laïcité dépend aussi de la conscience plus ou moins forte d’un héritage culturel et religieux commun. Pour Benoît Gaillard, on pourrait parler alors d’une ‘catho-laïcité’ «qui voit les mosquées mais ne voit pas les églises».
Il ne faut pas faire de la laïcité une sorte de religion en creux avec ses dogmes et ses cultes ‘républicains’, dénonce de son côté Olivier Delacrétaz, président de la Ligue vaudoise. La religion ne saurait être une affaire strictement individuelle. Elle est par nature collective et présente dans l’espace public. Dans la mesure où elle s’adresse à tout l’homme et à tous les hommes, elle est missionnaire qu’elle soit chrétienne ou musulmane. La question alors du choix entre la paix et la vérité peut se poser. Est-il plus important de vivre en paix avec tous ou la vérité ne doit-elle pas s’imposer à tous ? Si une religion est majoritaire, le risque est bien réel de choisir la ‘vérité’ au détriment de la paix.
Esclave d’une pensée courte
«A ceux qui se plaignaient d’un puits trop profond, mon grand-père bédouin répondait: ‘c’est parce que ta corde est trop courte’. Il ne faut pas être esclave d’une pensée trop courte», répond Hafid Ouardiri. Pour lui, la laïcité n’a jamais été un problème. Même s’il avoue avoir quitté la France pour Genève pour fuir le délit de faciès. La laïcité est ce qu’il y a de mieux, tant qu’elle ne dérive pas vers une approche restrictive et marginalisante. Et de déplorer que les musulmans eux-mêmes, bien que citoyens à part entière, restent trop souvent en marge.
«En Suisse, la laïcité n’est pas un problème, elle est une question», note Vincent Léchaire. En outre le statut des religions, qui dépend des cantons, varie d’une région à l’autre. Le président de la Fédération romande des socialistes chrétiens plaide pour un «accommodement raisonnable» dans le sens d’une laïcité ouverte basé sur quelques principes universels. Le premier est la liberté de croyance qui implique celle de changer de religion. Le respect de la dignité de la personne humaine est le deuxième. Il comprend par exemple le refus de l’excision ou des mariages forcés. La transparence qui exclut notamment l’enrichissement personnel constitue un troisième principe. Enfin plus largement, le respect du pluralisme s’impose dans une société démocratique. Ou pour le dire avec les termes de l’apôtre Paul aux Corinthiens : «Tout est permis, mais tout ne convient pas. Tout est permis, mais tout n’édifie pas. Que nul ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui.» (1 Cor. 10, 23-24).
Encadré 1
Ada Marra: «Je ne suis pas Charlie»
«Je ne suis pas Charlie», déclare Ada Marra. La conseillère nationale socialiste, présente le 31 janvier à Lausanne, souhaite faire une lecture politisée du récent attentat contre ‘Charlie Hebdo’. Le journal satirique a affirmé sa volonté de s’en prendre aux islamistes radicaux, mais de fait, en tapant sans discernement sur le prophète Mahomet, il s’en prend directement à l’ensemble des musulmans, explique-t-elle. Et en particulier à tous les citoyens musulmans français qui souffrent de discrimination religieuse, sociale et économique. En fin de compte «Charlie» tape sur les minoritaires, sur les défavorisés à qui il ne reste que la religion musulmane pour affirmer et défendre leur identité, conclut-elle.
Encadré 2
Hafid Ouardiri : ” Je ne suis pas Charlie»
Harcelé par les journalistes après les attentats parisiens, Hafid Ouardiri refuse le dogme de ‘l’irréligion absolue’ de «Charlie Hebdo» que certains voudraient imposer à l’opinion générale. «J’admets la liberté d’expression, même avec ses excès quand elle conduit à l’insulte. Je suis pour la sécurité qui nous concerne tous. Mais je suis contre l’irréligion érigée en absolu», relève-t-il.
Encadré 3
Les socialistes chrétiens romands changent de nom
Un an après avoir fêté son 100e anniversaire, la Fédération romande des socialistes chrétiens (FRSC) s’est penchée sur son nom et son identité. Le mouvement n’est plus une fédération dans la mesure où il n’y a plus de groupes régionaux. Quant au mot socialiste, il pose problème parce qu’il renvoie au parti socialiste (PS), ce qui est renforcé par son logo qui associe la croix à la rose au poing. Nombre de membres, y compris au sein du comité, ne sont pas membres du PS, mais se rattachent au socialisme au sens large du terme. Le comité a donc proposé à l’assemblée générale de changer de nom. A une large majorité, les membres ont accepté de se nommer dorénavant les Chrétiens de gauche romands (CGR). Un nouveau logo sera créé. Les statuts ont été adaptés en conséquence et la modification deviendra progressivement visible sur le site internet (www.frsc.ch) et dans le journal «L’Espoir du Monde», en fonction des contraintes techniques. (apic/mp)