85e Journée des malades en Suisse: «Renforcer la confiance»
La Suisse célèbre le 3 mars 2024 la 85e journée des malades. Une quarantaine d’organisations, dont les Eglises et le Conseil fédéral, s’associent pour marquer cette journée de solidarité placée cette année sous le thème ‘renforcer la confiance’. Mgr Rémy Berchier, aumônier d’hôpital et directeur du pèlerinage de Lourdes revient sur le sens de cette célébration.
De son côté, l’Eglise catholique universelle, célèbre sa propre journée du malade le 11 février en la fête de Notre-Dame de Lourdes. Le pape Jean Paul II a instauré cette célébration en 1992. Depuis les papes adressent chaque année un message aux malades. Pour 2024, le pape François l’a placé sous le thème: «Il n’est pas bon que l’homme soit seul».
Au nom de la Conférence des évêques suisses, Mgr Markus Büchel, évêque de St-Gall, a adressé un message pour la Journée suisse du malade.
Rémy Berchier: Le thème suisse ‘renforcer la confiance’ et le thème romain ‘,il n’est pas bon que l’homme soit seul’ se recoupent largement. Il s’agit de la confiance en soi, en Dieu, dans les autres et dans le personnel soignant.
De son côté le message du pape François a cette phrase forte: «Le premier soin dont nous avons besoin dans la maladie est une proximité pleine de compassion et de tendresse. Prendre soin de la personne malade signifie donc avant tout prendre soin de ses relations.»
Vous avez vous-mêmes vécu la maladie, les opérations et les longues hospitalisations.
Mon expérience comme malade est que quand on se trouve en milieu hospitalier, on entre dans un tout autre monde. Pour moi qui suis de nature impatiente devenir un ‘patient’ dans les deux sens du terme n’a pas été facile. Tu sens la frénésie du monde, mais tu as tout le temps pour réfléchir, pour ruminer le diagnostic de ta maladie. Il faut laisser le temps à la guérison qui peut être parfois très longue. Tu vis une situation de solitude, mais aussi une période privilégiée de retour sur soi, de spiritualité.
«Tout est là: Dieu est avec nous dans ce chemin de souffrance, de patience»
On entend souvent des gens dire: «Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter cela?»
Comme aumônier, je ne fais que répondre: «Mais vous n’avez rien fait au Bon Dieu et lui ne vous a rien fait». Face au mystère de la souffrance, la phrase de Paul Claudel m’a beaucoup nourri: «Jésus n’est pas venu expliquer ou supprimer la souffrance, mais l’habiter de sa présence.» Tout est là: Dieu est avec nous dans ce chemin de souffrance, de patience.
Il nous porte quand nous n’en pouvons plus. J’ai vécu des moments où j’étais incapable de prier. J’étais alors accompagné par la prière d’abandon de Charles de Foucauld: «Je m’abandonne à toi, fais de moi ce qu’il te plaira. Quoi que tu fasses de moi, je te remercie.» Ce n’est pas évident.
La maladie reste une épreuve difficile.
Dans ce moment de la maladie, comme remise en cause personnelle, on peut aussi perdre pied. Il s’agit alors de renforcer la confiance en soi et dans les autres. Dans mes temps d’hospitalisation, j’ai toujours rencontré un personnel soignant extraordinaire. Au delà du stress et de la charge administrative, ces personnes lorsqu’elle viennent vers toi, te montrent que tu es unique pour elles. Le moment qu’elles passent ton chevet est insolite.
Comment les bien-portants peuvent-ils renforcer la confiance du malade?
Il y a un tas de beaux discours: «Courage, ça ira, c’est pas si grave.» Mais tu n’en as rien à faire! Ces gens-là veulent incontestablement bien faire, mais ils sont en fait démunis. Si, comme aumônier, je visite un malade qui me dit: «Je suis trop mal, je ne peux pas parler», je repasserai à un autre moment. Les visites peuvent aussi se faire en silence, peut-être en prenant la main.
Le fait d’avoir subi la maladie et d’être à mobilité réduite change-t-il le rapport avec les malades?
Cela me donne une carte d’entrée géniale. Certains me demandent: «Ah, vous êtes aussi hospitalisé?» On se sent immédiatement de la même ‘corporation’.
Dans son message, le pape François dit aussi: «N’ayez pas honte. Ne pensez pas que vous êtes un fardeau!»
Je suis arrivé dans ma maladie à une phase où je n’avais plus aucune force, je ne pouvais même plus manger seul. On devait me nourrir. Et le pire était la toilette intime. Le personnel était d’une douceur d’une tendresse d’une pudeur extraordinaires. Vraiment j’admire ce personnel soignant qui renforce la confiance et qui aide ainsi à la guérison.
Le sentiment d’être un fardeau s’exprime probablement plus dans le EMS et chez les personnes âgées quand les soins doivent s’installer dans la durée.
«Vous avez le droit d’être révoltés, même contre Dieu. Mais que va-t-on faire de cette révolte? Comment la porter ensemble?»
Dans l’autre sens le malade peut-il apporter quelque chose aux bien-portants?
Un malade croyant peut apporter un témoignage de foi au personnel soignant et aux visiteurs. Parfois, je visite des patients qui ont sur leur table de nuit tout un ‘attirail’ de crucifix, de statuettes, d’images de chapelets… Le personnel est très respectueux de ce témoignage. Un autre aspect gratifiant pour le personnel est de constater les progrès réalisés par le malade. La joie de vivre de certains malades est parfois surprenante. Ils rient, font de blagues, amusent le personnel.
J’ai enterré au mois de décembre une personne qui avait été infirmière chef à l’hôpital de Riaz et qui était brancardière de Lourdes. Elle nous a parlé de l’amour de Dieu jusqu’à son dernier souffle. Ces malades-là marquent leur entourage.
D’autres malades sont en révolte.
Je leur dis: «Vous avez le droit d’être révoltés, même contre Dieu. Mais que va-t-on faire de cette révolte? Comment la porter ensemble?» C’est le mystère de Job qui passe de la révolte à la crainte et à la grâce. Dans leur message, les évêques suisses rappellent que: «Dieu nous portera et nous soutiendra: cela signifie qu’aucun être humain ne peut tomber si bas que Dieu ne puisse le relever.»
Il s’agit aussi d’éviter réduire la personne à sa maladie.
Nous devons tenir compte de la personne dans sa globalité. Pour une personne âgée, il faudra par exemple valoriser ce qu’elle a apporté dans sa vie active.
Lors de ma maladie, j’ai passé d’assez longues périodes en fauteuil roulant. Les gens lorsqu’ils te parlent sont alors toujours dans une position supérieure, mais le personnel soignant fait l’effort de mettre un genou à terre pour être à ta hauteur.
Parfois la maladie ouvre la perspective de la mort prochaine.
La personne a-t-elle alors conscience de la fin vers laquelle elle va? Pour moi c’est le critère. L’infirmière décédée dont j’ai parlé tout à l’heure me disait: «De toute façon je vais vers la Vie que ce soit en Dieu ou encore ici bas.» Je suis libéré quand la personne m’en parle librement. A ce moment là, la présence est essentielle. Le plus souvent je reste en silence. Il y a eu des moments terribles pendant le covid où beaucoup de gens sont morts seuls.
En tant qu’aumônier, vous êtes aussi souvent appelé pour donner le sacrement des malades. Dans l’opinion populaire, ce rituel reste celui de l’extrême onction donnée à l’article de la mort.
J’ai encore eu le cas de médecins qui ont dit à des patients: ‘Je ne peux plus rien faire pour vous. Appelez l’aumônier.’ C’est terrible. L’onction des malades devrait arriver avant que la personne ne soit plus consciente. Lorsque quelqu’un me dit: «Je viens de recevoir un diagnostic grave», c’est là que je lui propose le sacrement des malades.
«L’onction de l’huile parfumée matérialise les dons de l’Esprit-Saint déjà reçus au baptême et à la confirmation»
Le rituel présente plusieurs aspects.
On devrait dire en effet les sacrements des malades car il y en a trois qui sont regroupés: le pardon, l’onction et la communion. Ces sacrements se rattachent aux injonctions de la lettre de saint Jacques dans le Nouveau Testament. (5, 13-15).
Le pardon, c’est Dieu qui le donne ›par dessus’ selon son sens étymologique, pour toute la vie. L’onction de l’huile parfumée matérialise les dons de l’Esprit-Saint déjà reçus au baptême et à la confirmation, en particulier la paix et la force. Enfin la communion que l’on appelait autrefois viatique est la nourriture pour la route.
Les aumôniers laïques qui ont accompagné la personne depuis longtemps sont parfois frustrés de ne pas pouvoir donner l’onction des malades.
Je peux le comprendre. Mais il faut rappeler que ce n’est pas un ‘passeport’ pour l’éternité et qu’il existe d’autres formes de prières possibles. Lorsque je suis appelé pour le sacrement des malades, je laisse le plus de place possible aux accompagnateurs, pour les prières, les lectures, les intentions, les chants, la distribution de la communion etc. Nous célébrons ces sacrements ensemble avec les personnes présentes.
Le sacrement des malades se donne aussi dans les EMS ou lors des pèlerinages.
Lors du pèlerinage de Lourdes, le tiers des pèlerins reçoit le sacrement des malades lors d’une célébration de la parole spécifique. On commence par une heure de préparation durant laquelle on explique le sens de ce sacrement. Lors de la célébration chaque personne recevra individuellement l’onction. Les sacrements du pardon et de la communion seront donnés à d’autres moments du pèlerinage. Dans les EMS ou les paroisses on procède de manière analogue. (cath.ch/mp)
100e Pèlerinage de la Suisse romande à Lourdes
Rémy Berchier a aussi la charge de directeur du pèlerinage interdiocésain de la Suisse romande à Lourdes qui se rend cette année pour la 100e fois dans la cité mariale des Pyrénées, du 19 au 25 mai. Il sera présidé par Mgr Jean-Marie Lovey, évêque de Sion.
Le message de Lourdes est celui de la conversion, non pas tant en regardant en arrière, mais en avant, pour un pas qui nous rapproche de Dieu, explique Rémy Berchier. La Vierge Marie ordonne à Bernardette d’aller se laver et boire à la source qui coule au fond d’une grotte boueuse où se tenaient les cochons. Au début l’eau est trouble, Bernadette doit gratter la boue pour trouver de l’eau claire. C’est ce qui se passe dans nos cœurs, en creusant nous allons trouver de l’eau pure qui pourra jaillir. La source c’est la Parole de Dieu, c’est-à-dire le Christ.
Une dévotion populaire fortement ancrée
Dans les années entre le cinquantenaire et le centenaire des apparitions de 1858, la dévotion de Notre Dame de Lourdes s’est fortement diffusée dans nos contrées. Presque chaque paroisse avait sa grotte ou sa chapelle de Lourdes. Beaucoup subsistent aujourd’hui. C’est dire l’attachement des fidèles. Peut-être parce que le message de la Vierge est simple mais très impressionnant. «Elle m’a parlé comme à une personne» dira Bernadette.
Ce qui attire à Lourdes ne se dit pas, cela se vit. Les malades sont au cœur du sanctuaire. «Les pauvres sont nos maîtres» disait saint Vincent de Paul. Les malades les hospitaliers, les pèlerins viennent chaque année à Lourdes pour charger leurs batteries, relève le directeur.
Pour cette année du 100e pèlerinage interdiocésain de la Suisse romande (il y a eu quelques interruptions lors des deux guerres mondiales, NDLR) les organisateurs ont fait un effort d’information et sur les prix pour permettre à tous d’y participer. «Nous attendons environ 2’000 personnes», se félicite Rémy Berchier. Outre les avions, les trains, les cars, des pèlerins viendront également à moto, à vélo et même à pied.
Une messe radio en chemin
Le 19 mai 2024, une messe d’ouverture sera proposée en direct de l’église Ste-Bernadette, ‘côté grotte’, à Lourdes, en audio sur Espace 2 et en vidéo live streaming sur cath.ch. Cette messe de Pentecôte sera présidée par Mgr Rémy Berchier, directeur du pèlerinage. L’homélie sera prononcée par Don Anne-Guillaume Vernaeckt, chapelain du Sanctuaire de Lourdes. Les chants de la liturgie seront assurés par la Chorale du pèlerinage, dirigée par Emmanuel Pittet et accompagnée à l’orgue par Edmond Voeffray. Les pèlerins et les malades pourront vivre cette célébration par internet et sur les ondes pendant leur trajet en train ou en bus. MP