Stephen Brislin: un pasteur discret mais actif
«Je m’étonnais que le pape soit au courant de mon existence». C’est ce qu’a affirmé Stephen Brislin, archevêque du Cap (Afrique du Sud) après avoir appris, le 9 juillet dernier, que le pape François avait choisi de le créer cardinal.
«La position d’un cardinal n’est pas censée être un honneur», a-t-il ensuite ajouté, affirmant que cette nouvelle mission devait lui permettre de « servir les gens, servir l’Église, servir la société» et «apporter un soutien au Saint-Père». Une prise de parole mesurée et humble, qui correspond bien au cardinal Brislin. Ce pasteur discret mais dévoué est connu pour son attention aux ›derniers’ et pour être une voix active en Afrique australe sur les questions sociales et politiques.
Stephen Brislin est né le 24 septembre 1956 dans une famille d’origine écossaise et irlandaise vivant à Welkom, une ville du nord-ouest de l’Afrique du Sud. Avant d’entrer au séminaire, il a étudié la psychologie à l’université du Cap, puis a étudié à Pretoria, Londres et Louvain avant d’être ordonné prêtre pour le diocèse de Kroonstad le 19 novembre 1983, à l’âge de 27 ans. Après diverses expériences pastorales, notamment comme curé dans son diocèse d’origine, il en a ensuite été nommé évêque en 2007 par Benoît XVI. Deux ans plus tard, il a été promu archevêque du Cap par le pontife allemand.
De 2013 à 2019, il a été président de la Conférence des évêques catholiques sud-africains (SACBC) – qui regroupe les évêques d’Afrique du Sud, d’Eswatini et du Botswana – et en est aujourd’hui le porte-parole. Cette conférence est très active sur les questions sociales et politiques dans les pays qu’elle représente, prenant position sur des sujets complexes, comme en 2023, quand la SACBC a intenté un procès au nom des mineurs de charbon qui ont développé une maladie pulmonaire à cause de leur travail. L’Église est prête à «apporter son aide là où elle le peut afin que les droits des personnes vulnérables soient respecté», a alors déclaré Mgr Brislin.
En tant que président de la SACBC, Mgr Brislin a également participé au Synode sur la famille en 2014 et 2015. Dans la ligne de la pensée du pape François, Mgr Brislin a alors souligné dans une interview que la priorité de l’Église est d’être une «maison pour tous», en particulier pour ceux qui ont été blessés, et que le Synode était «à la recherche d’une vérité qui s’exprime avec la miséricorde». Cette convergence avec le pontife argentin est certainement l’une des raisons de son entrée au sein du collège cardinalice.
En ce qui concerne les unions ou mariages homosexuels, qui furent un sujet de discussion important au cours de ce Synode, Mgr Brislin a souligné que de nombreux évêques africains ne considèrent pas que les unions ou mariages homosexuels ont le même poids dans leurs pays qu’en Occident. Il a également expliqué que les pays africains n’ont pas d’opinion unique sur le sujet, soulignant par exemple que les mariages homosexuels sont légaux en Afrique du Sud. Il s’est également prononcé à plusieurs reprises contre la violence à l’égard des membres de la communauté LGBTQ+ et a déclaré qu’ils ne devraient pas faire l’objet de discriminations et devraient se sentir inclus dans l’Église.
Le futur cardinal est aussi marqué par les blessures qui affectent encore sa nation, conséquences de l’ancien régime d’apartheid abrogé en 1991, qui prônait la ségrégation raciale. Dans une interview accordée peu après sa promotion comme cardinal, Mgr Brislin a déclaré qu’il espérait voir «l’Église travailler beaucoup plus intensément à la guérison et à la réconciliation» dans son pays. Il espère notamment que les Sud-Africains «pourront surmonter le passé de l’apartheid et cesser de classer les gens comme des Noirs, des Blancs, des métis ou des Indiens » et commencer à se «considérer comme des Sud-Africains».
«La position de l’Église catholique contre l’apartheid et son courage n’ont jamais été suffisamment reconnus», a-t-il déclaré en recevant en 2023 un doctorat honorifique en leadership pastoral de l’Oblate School of Theology de San Antonio, aux États-Unis.
En Afrique du Sud, considérée comme l’une des grandes puissances montantes du continent africain sur le plan politique et économique, le catholicisme est encore très minoritaire : il ne représente que 5 % de la population, dans un pays où les Églises chrétiennes sont cependant très nombreuses et dominantes. Près de 80% de la population se dit chrétienne mais les différentes dénominations protestantes y sont majoritaires, en conséquence des colonisations néerlandaise et britannique.
Selon les statistiques de l’Annuaire pontifical, le diocèse du Cap ne compte que 5% de catholiques servis par 66 prêtres diocésains, une réalité modeste à l’échelle d’une ville de près de cinq millions d’habitants. Mgr Brislin constate d’ailleurs que le statut de minorité a habitué les dirigeants catholiques sud-africains à travailler avec les représentants des autres religions pour promouvoir des valeurs communes telles qu’une société juste et pacifique. (cath.ch/imedia)
L’Afrique du Sud face au défi persistant de la réconciliation
Sa présence dans la liste des nouveaux cardinaux qui seront créés par le pape François le 30 septembre 2023 a créé la surprise : Mgr Stephen Brislin, 67 ans, archevêque du Cap depuis 2009, représentera l’Afrique du Sud au sein du Sacré Collège. Cet évêque discret et humble, dont le diocèse ne compte qu’une soixantaine de prêtres, revient pour I.MEDIA sur le sens de son entrée au sein du collège cardinalice.
Que représente votre cardinalat pour l’Église catholique en Afrique du Sud, qui est minoritaire?
Il est assez remarquable que nous ayons maintenant deux cardinaux, car le cardinal Napier, bien qu’il ne soit plus électeur, demeure très actif. Mon cardinalat a donc été une grande surprise pour nous tous en Afrique du Sud, où notre Église est petite mais très active. C’est un signe de reconnaissance et d’attention de la part du pape François pour les catholiques sud-africains, qui ne représentent que 6,5% de la population.
Le combat contre le racisme est un sujet central dans de nombreux pays, en France aussi. Entendez-vous partager l’expérience de réconciliation spécifique vécue par l’Afrique du Sud après l’abolition de l’apartheid, pour la faire connaître aux cardinaux d’autres pays?
Oui tout à fait, l’Afrique du Sud demeure le lieu d’une expérience à mieux faire connaître car nous avons su sortir de situations terribles pour aller vers la réconciliation. Mais elle n’est pas complète. Nous avons encore de vastes efforts à faire pour avancer vers le futur.
Nous avons encore de grandes difficultés à affronter, notamment en raison des fragilités économiques qui affectent notre pays. Tellement de gens vivent encore dans une pauvreté absolue… Nous devons affronter cette question si nous voulons progresser vers une véritable réconciliation. Les gens ont besoin de vivre décemment pour construire leur avenir.
En tant que cardinal provenant d’une Église minoritaire, vous allez aussi partager votre expérience interreligieuse et œcuménique?
En effet, nous avons en Afrique du Sud l’expérience d’un très fort engagement interreligieux et œcuménique. Par exemple, l’Église catholique au Cap entretient de nombreuses relations avec la communauté musulmane, particulièrement les chiites. En termes d’œcuménisme, l’archevêque anglican du Cap sera présent au consistoire, je l’ai personnellement invité. Il y aura aussi des responsables d’autres Églises. C’est un grand signe de bonne entente et coopération entre chrétiens en Afrique du Sud.
L’Afrique du Sud est aussi un pays qui accueille de nombreux migrants provenant d’autres pays, comme le Zimbabwe ou la République démocratique du Congo. Comment votre Église accompagne-t-elle ces mouvements de population?
Absolument, l’Église joue un rôle important, notamment avec le Service jésuite des réfugiés et les pères scalabriniens qui sont très actifs dans mon diocèse, au Cap.
Je dois souligner que l’attitude de certains Sud-Africains vis-à-vis de ces migrants a vraiment été horrible, haineuse, avec de nombreuses attaques contre ces gens. Certains ont été frappés, battus, tués… C’est absolument terrible et inacceptable ! Mais nous essayons de promouvoir ce que le pape François nous dit souvent, sur l’importance d’accueillir ces gens venus d’autres pays et de les intégrer dans notre société.
L’Afrique du Sud est très exposée aux effets du réchauffement climatique, avec notamment des sécheresses et des interruptions d’accès à l’eau qui ont particulièrement affecté votre ville du Cap. Comment l’Église réagit-elle face à cette crise écologique?
Cette année, grâce à Dieu, nous n’avons pas manqué d’eau au Cap, mais il est vrai que nous avons affronté ces dernières années, notamment en 2018, des sécheresses dramatiques qui n’avaient jamais eu lieu auparavant. Ces derniers mois, d’autres villes comme Pretoria ou Johannesburg ont été plus affectées que nous. Les infrastructures sont défaillantes, et les habitants des quartiers les plus pauvres sont privés d’accès à l’eau courante. Cela alimente les divisions dans la société.Nous devons particulièrement œuvrer pour l’accès de tous à l’électricité, car des coupures fréquentes touchent une grande partie de la population. Cela affecte les écoles, les commerces, les particuliers, et notamment la chaîne du froid pour l’alimentation… C’est un grand challenge pour nous d’affronter ces problèmes d’infrastructures, pour garantir des conditions de vie dignes pour notre population. I.MEDIA
Le collège des cardinaux comptera dès le 30 septembre 2023 21 nouveaux membres dont «la provenance exprime l’universalité de l’Église qui continue à annoncer l’amour miséricordieux de Dieu à tous les hommes de la Terre», a annoncé le pape François lors de l’angélus du 9 juillet. L'agence I.MEDIA un portrait de chacun de ces hommes en rouge: