Soudan du Sud: «Le sang de la tribu est plus dense que l’eau du baptême»
«Le sang de la tribu est plus dense que l’eau du baptême», déplore Mgr Santo Loku Pio Doggale, à propos du Soudan du Sud, pays ravagé par une guerre fratricide. L’évêque auxiliaire de Juba, la capitale, a adressé de vives critiques au gouvernement du président Salva Kiir, «principal responsable des souffrances de la guerre».
«Le gouvernement est le promoteur de la guerre et la population souffre de ses horribles conséquences», déclare Mgr Santo Loku Pio Doggale, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire américain National Catholic Reporter du 21 août 2017.
«Les civils sont brutalement maltraités et ceux qui sont victimes de la violence ne peuvent avoir recours à la justice», lance-t-il en parlant de cette immense catastrophe humanitaire, qui a déjà provoqué le déplacement de 2,5 millions de personnes, selon diverses ONG.
Instrumentalisation des divisions ethniques
La guerre civile, qui a éclaté en décembre 2013 entre le président Salva Kiir et son ancien vice-président, Riek Machar, a provoqué des dizaines de milliers de victimes et la fuite de près de 2,5 millions de personnes. Le conflit a pris une dimension ethnique, instrumentalisé par les chefs de guerre. Les deux adversaires ont fait appel à leurs groupes ethniques respectifs, à savoir les Dinkas pour Salva Kiir et les Nouers pour Riek Machar.
Cette âpre lutte pour le pouvoir entre Salva Kiir, un catholique, et Riek Machar, qui appartient à l’Eglise évangélique presbytérienne du Soudan du Sud, s’est rapidement transformée en une cruelle guerre tribale.
«Ils vont pourtant à la messe…»
Certes, «notre gouvernement est catholique, admet Mgr Doggale. Ils lisent pourtant la Bible, ils vont à la messe. Mais combien sont-ils à mettre en pratique les enseignements évangéliques ?»
Bien que ses critiques du gouvernement puissent lui attirer de graves ennuis, Mgr Doggale affirme ne pas avoir peur. «Ma vie importe peu. J’ai également souffert, j’ai perdu des membres de ma famille. Mais quand la brutalité est à l’ordre du jour, quelqu’un doit élever la voix, spécialement quand vous voyez que le peuple vit dans la peur. Cela me met en colère!»
Pas question de se taire face aux atrocités
La position en flèche de l’évêque auxiliaire de Juba représente un secteur de l’Eglise du Soudan du Sud qui estime que l’Eglise doit adopter des positions prophétiques non seulement pour la cause de la paix dans le pays, mais aussi en interpellant les autorités en place. Ils sont plus d’un au Soudan du Sud à considérer que le gouvernement de Salva Kiir a mené des politiques et des actions qui sont la cause du conflit actuel.
La voix de l’Eglise est cruciale dans ce pays ravagé et appauvri par la guerre civile, étant donné qu’elle est devenue la seule institution crédible, jouant un rôle indispensable dans les domaines de l’éducation, des services sociaux, et même pour les nécessités basiques comme la fourniture de nourriture à la population. La famine est omniprésente et 6 millions de personnes, sur une population de 12 millions, souffrent de l’insécurité alimentaire et des difficultés à accéder à la nourriture.
Déception après le report de la visite du pape
Appuyés par des diocèses, des paroisses, des congrégations religieuses, notamment les Sœurs comboniennes, et des œuvres d’entraide comme Caritas International ou le Catholic Relief Service (CRS), des groupes de base ont mis sur pied des programmes pour améliorer la situation au plan humanitaire et développer des projets agricoles. Après que le Vatican eût annoncé, en mai dernier, le report de la visite du pape, Rome a fait part du versement d’un montant de quelque 500’000 dollars destiné à des projets d’assistance humanitaire de l’Eglise au Soudan du Sud.
Sur place, prêtres, religieux et fidèles ont été très déçus ce printemps à l’annonce que le pape François, qui avait prévu de se rendre en 2017 au Soudan du Sud, reportait sa visite sine die en raison de l’insécurité.
Le pape au Sud Soudan courant 2018 ?
De nombreux prêtres et religieuses ont laissé entendre que cette visite leur aurait donné à eux et à leurs paroisses le réconfort tant attendu dans ce pays ruiné par la guerre. Ils ont été quelque peu rassurés d’apprendre, il y a une dizaine de jours, que Mgr Eduardo Hiiboro Kussala, président de la Conférence épiscopale du Soudan et du Soudan du Sud, avait abordé la question avec la Secrétairerie du Vatican. Le pape François pourrait tout de même venir en visite pastorale au cours de l’année prochaine.
«Quatre ans après le début de la crise, d’horribles crimes continuent d’être commis, déplaçant des millions de personnes et obligeant des centaines de milliers d’autres à affronter une famine d’origine humaine», a déclaré le 1er août dernier Kenneth Roth, directeur exécutif de l’ONG Human Rights Watch. «Il est plus que temps d’envoyer un message fort aux détenteurs du pouvoir sur l’obligation de rendre des comptes pour ces atrocités, notamment des meurtres, des viols et des déplacements forcés».
Salva Kiir et Riek Machar dans le collimateur
Un rapport de 52 pages publié le 1er août 2017, intitulé «Soldiers Assume We Are Rebels: Escalating Violence and Abuses in South Sudan’s Equatorias» (Les soldats nous prennent pour des rebelles: l’escalade de la violence et des abus dans les provinces des Equatorias du Soudan du Sud), documente la violence et les graves abus commis contre les civils dans ces provinces.
Neuf individus – dont le président Salva Kiir, l’ancien vice-président Riek Machar, l’ancien chef d’état-major de l’armée Paul Malong et six autres commandants – «devraient être soumis à des sanctions en raison des preuves de plus en plus claires de leurs responsabilités respectives dans la commission de violations graves pendant le conflit», souligne Human Rights Watch. «Le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’Union européenne et divers Etats devraient imposer des sanctions à l’encontre de ces neuf hommes, et le Conseil de sécurité devrait également décider d’un embargo complet sur les armes vers le Soudan du Sud». (cath.ch/ncr/hrw/be)