Sœurs de St-Augustin: l’Afrique au cœur
«Qu’est-ce que l’Afrique peut apporter à l’Europe?»: la conférence-débat organisée le 3 novembre 2017 au Collège de Saint-Maurice par la communauté des Sœurs de Saint-Augustin n’a pas déçu. Une soirée vive qui a appelé à l’instauration de nouveaux rapports de confiance et de dignité entre les deux continents.
«Qu’est-ce que l’Afrique peut apporter à l’Europe?»: le thème choisi par les Sœurs de Saint-Augustin pour clore leur chapitre, ce 3 novembre, avait un côté provocateur. La soirée commença en avance mais se termina au-delà de l’heure prévue. Près de trois heures de débats, d’interpellations, de «palabres», au sens noble que lui donnent les Africains, devant une centaine de personnes.
Car le sujet fut «porteur de sens», comme le répète le slogan de Saint-Augustin. Témoignages de vie, dont l’expérience d’un électricien valaisan œuvrant au Congo-Brazzavile, réflexions profondes, visées stratégiques, la palette des interventions fut riche. Pour ouvrir la soirée, Sœur Franzisca Huber a partagé son vécu de quelques années, «les plus belles de sa vie», au Togo. Elle en a tiré bien des enseignements: la notion de la famille élargie, la capacité de dialogue, le respect des aînés. La religieuse d’origine suisse alémanique a aussi admiré le sens de la patience africaine et l’exercice du palabre.
2,6 milliards d’habitants en 2050
Pierre-Alain Cardinaux, vice-président du Conseil d’administration de Saint-Augustin, s’est demandé quel sens l’Afrique pouvait donner à cet avenir. En pointant l’essor de la classe moyenne, «le prochain eldorado de la mondialisation», il a indiqué que la croissance de la population fera passer l’Afrique de 1,3 à 2,6 milliards d’habitants en 2050. Le continent, objet de toutes les convoitises, compte déjà 500 millions de téléphones portables, soit aux mains de près d’un Africain sur deux.
«L’Afrique est le prochain eldorado de la mondialisation»
Même souci du développement auprès de Gianfranco Albertalla, fournisseur de stations électriques alimentées par le soleil, notamment dans les camps gérés par le Haut-Commissariat aux réfugiés. Il plaide pour l’installation de panneaux sur tout le continent, pour passer «du rien au solaire». Car l’électricité est un vecteur de progrès économique et social. Elle permet de pomper l’eau, d’éclairer, de recharger son téléphone. Et d’éviter , comme aujourd’hui, à un Africain sur deux de marcher 10 kilomètres pour chercher de l’eau.
«La coopération plutôt que la conspiration»
La forte présence africaine dans la salle du Collège de Saint-Maurice a permis un dialogue fructueux. «Les Européens feraient mieux de se demander ce qu’ils doivent à l’Afrique», a lancé le père Janvier Yameogo, du Secrétariat pour la Communication au Vatican. Prenant le risque d’un «afro-centrisme impudique», le prêtre burkinabé a listé les produits en provenance d’Afrique: le café, les fèves de cacao pour le chocolat, le beurre de karité des cosmétiques, le cobalt et le coltan des ordinateurs, tout comme les diamants extraits de mines.
«La pauvreté heureuse s’oppose à l’imposture du matérialisme»
Et son propos s’élargit à l’art et à la musique venue d’Afrique qui irrigue le jazz, le blues ou la salsa. Et même les religieuses et religieux ont, dit-il, apporté à l’Europe qui les fait venir «une mystique du quotidien et de la précarité», «un don de la pauvreté heureuse qui s’oppose à l’imposture du matérialisme».
L’Afrique vient au secours de l’Occident, insiste le délégué du Saint-Siège, et son dernier don, c’est «celui de la conversion pour transformer l’humanité». Car l’Afrique, «continent des damnés de la terre», «saignée par l’esclavage et la colonisation», lance un «appel à un développement solidaire de l’humanité, un développement fondé sur la coopération plutôt que sur la conspiration». Et le père Yameogo a conclu en chantant «Mon Papa Yahvé», repris par les religieuses togolaises présentes.
«L’Afrique a déjà tout donné»
Max Lobe, écrivain camerounais installé à Genève, dépasse la vision d’une Afrique heureuse. «L’Afrique n’a plus rien à apporter, dit-il, car elle a déjà tout donné, volontairement ou involontairement avec la complicité de nos gouvernants». Voilà pourquoi la Méditerranée est devenue un cimetière… Les peuples africains savent ce qui se passe en Europe et affluent en masse. «Le PIB de nos pays est en croissance, mais on ne le voit pas», dit Max Lobe, en faisant référence à la pauvreté de la population camerounaise. Il en appelle à un respect mutuel entre Européens et Africains: «Chez nous les gens sont prêts à quitter leurs terres arides. Réveillez-vous, lance-t-il, c’est urgent, car cela risque d’éclater».
«L’aide apportée au continent noir peut créer du paternalisme»
Le débat conduit par Serge Michel, rédacteur en chef du Monde Afrique, a permis d’entendre Christine von Garnier: «Si on veut le changement en Afrique, c’est dans les parlements européens et africains que ça se passe», indique la journaliste membre du Réseau Foi et Justice Afrique-Europe et lobbyiste. L’environnement sain et les conditions sociales justes devraient être inscrits dans la Constitution suisse pour les marchés passés par nos entreprises avec l’Afrique.
Pour un monde plus juste
L’aide apportée au continent noir peut créer du paternalisme, car elle maintient une forme de domination empêchant la créativité, a plaidé le Père Yameogo. Et de défendre «une culture de la dignité». Max Lobe, de son côté, pointe les aberrations que vit l’Afrique sur le plan agricole. Des surfaces considérables sont consacrées à l’huile de palme par exemple, forme moderne de pillage des terres par l’Occident.
Alors que peut apporter l’Afrique à l’Europe? Chacun y aura trouvé des éléments de réponse, entre les relents de colonialisme, les espoirs d’un continent en pleine croissance et le plaidoyer pour un monde plus juste.
Lors de son chapitre tenu à Saint-Maurice, les Sœurs de Saint-Augustin ont réélu Sœur Marie-Reine Amouzou comme supérieure générale. La communauté fondée en 1905 par le chanoine Louis-Augustin Cergneux a revivifié en Afrique son charisme, lié à la presse et à la communication. En cette enrichissante soirée, le pont entre Lomé et Saint-Maurice et, plus largement, entre l’Afrique et la Suisse, s’est solidifié. Pour un avenir «porteur de sens». (cath.ch/bl)