Sœur Zordan: «La prison est devenue pour nous un lieu sacré»
Ce 28 mars 2024, le pape François se rend à la prison pour femmes de Rebibbia, à Rome, pour célébrer la messe de la Cène du Seigneur. Il rencontrera à cette occasion des prisonnières. Sœur Emme Zordan, bénévole dans le quartier des hommes, témoigne de la vie dans la prison où elle anime un atelier d’écriture.
Sœur Emma Zordan travaille depuis dix ans dans un quartier de cette prison qui accueille des détenus condamnés à des peines longues. Cette membre de la Congrégation des Adorateurs du Sang du Christ, âgée de 82 ans, anime un atelier d’écriture pour les prisonniers. Elle confie à l’agence I.Média combien la proximité du pape à l’égard des prisonniers est bénéfique.
Au cours de son pontificat, le pape François a souligné l’importance de ne pas oublier les personnes aux marges de la société. Vous sentez-vous encouragée dans votre mission par les paroles du pape?
Sœur Emma Zordan: Ce sont des paroles qui encouragent, en particulier lorsqu’il nous dit à nous, bénévoles: «Vous êtes des signes d’espérance contre la culture du déchet.» C’est cette invitation permanente à faire de l’apostolat en prison un signe d’amour et de miséricorde qui fait tomber les murs de l’indifférence.
La prison est devenue pour nous un lieu sacré. Un lieu à respecter, à aimer. Un lieu où l’on trouve une humanité blessée et dévastée, mais qui a le désir de retrouver la dignité perdue à cause du crime. Elle est devenue pour moi une maison que je quitte à la fin de l’atelier d’écriture, avec regret et beaucoup de nostalgie. Car la prison n’est pas seulement faite de murs gris et ternes, mais de personnes laissées seules et abandonnées, qui ont surtout besoin d’être écoutées et accueillies. Le pape nous a demandé à plusieurs reprises, à nous bénévoles, d’être des «artisans de miséricorde», des «témoins crédibles du pardon de Dieu», et de garder à l’esprit que tout le monde fait des erreurs dans la vie.
«La prison est devenue pour nous un lieu sacré. Un lieu à respecter, à aimer.»
J’aime rappeler qu’un prisonnier a confié dans un discours: «Je ne suis plus le crime, le crime est là et demeure, mais je suis une personne transformée, même si dans ma vie j’aurai toujours devant moi le sang que j’ai fait verser». Ces mots m’ont émue et je les répète à chaque réunion.
Pensez-vous que l’attention et les paroles du pape ont un effet sur les prisonniers?
Oui. Je dirais que les mots qu’il prononce lorsqu’il entre en prison sont significatifs et rassurants pour les détenus. Il dit des choses comme: «Pourquoi eux et pas moi?» ou bien: «Je suis un pécheur comme toi. Qui suis-je pour te juger?»
Nous pouvons tous faire des erreurs. Ces mots du pape leur donnent l’espoir que rien n’est perdu. Que le Seigneur ne regardera par leur crime. Malheureusement la société, du moins celle que je rencontre, condamne, avec des paroles telles que: «Il faut qu’ils pourrissent». C’est pour moi une blessure. Il faut connaître la prison pour ne pas juger car il y a des souffrances inouïes.
Le pape s’est déjà rendu à Rebibbia le Jeudi Saint, en 2015. Quel a été, selon vous, la portée de cette visite?
Je travaille dans une section différente de celle où le pape s’est rendu, mais à cette occasion, j’ai été envoyée par la direction pour assister à la visite. Le pape François a été accueilli par une foule en liesse. Je me souviens qu’il avait invité les prisonniers à toujours regarder vers Jésus, qui ne déçoit jamais et ne se lasse jamais de nous aimer, de nous pardonner et de nous embrasser.
Ce fut un moment intense, avec des prisonniers qui serraient très fort les mains du pape lors de son passage, les embrassaient, en pleurant d’émotion. Moi aussi, je lui ai serré la main à cette occasion.
La visite du pape a eu un effet car elle a suscité beaucoup d’enthousiasme dans les différents quartiers de la prison. Les détenus sont très attachés à ses visites. C’est comme si le pape les regardait dans les yeux et leur disait personnellement: «Sois tranquille, tu vas t’en sortir, garde l’espoir, ne le perd pas.»
Sentez-vous une impatience du côté des prisonnières qui vont rencontrer le pape jeudi?
Je ne travaille pas dans le quartier des femmes où le pape viendra. Je ne le connais que par des lettres que je reçois parfois de certaines mères qui ont un membre de leur famille dans mon quartier de la prison. À l’occasion de la visite du pape, une mère m’a écrit: «Ma sœur, ici, j’ai l’impression de ne pas exister. La visite du pape, symbole le plus élevé de la spiritualité, est une grande chose pour moi. La simple possibilité de croiser son regard me libère des chaînes qui m’oppressent et m’étouffent».
Qu’est-ce qui vous touche dans vos rencontres avec les prisonniers?
Ils sont de tous âges et de toutes origines, certains très jeunes, mais aussi beaucoup de condamnés à perpétuité. Les prisonniers montrent leur humanité, leur solidarité, leur compréhension, ce que l’on trouve rarement en dehors des murs de la prison. Je suis agréablement impressionnée par leur façon d’agir.
Je suis frappée, par exemple, par leur capacité à rendre les rencontres agréables, avec des plaisanteries, leur créativité pour trouver des astuces afin d’atténuer la tristesse de certains de leurs camarades tristes ou déprimés. Ou encore, leur résilience face à tant d’injustices et de privations, leur patience face aux interdits qui semblent se multiplier.
Le plus dur dans l’exercice de cette mission en prison, c’est de voir leurs droits bafoués et de ne pouvoir rien faire. On essaie parfois, mais on est rappelé à son rôle. Combien d’avantages prévus par le règlement de la prison sont ignorés ou ne sont pas accordés, à la grande déception de nos frères, mais aussi de nous, bénévoles, qui connaissons leurs efforts et leurs engagements. L’État devrait être plus présent.
Pourquoi vous êtes-vous mise au service des prisonniers?
J’ai commencé par hasard, en répondant à l’invitation d’une religieuse qui travaillait déjà dans la prison. Par la suite, j’ai ressenti une forte vocation à faire quelque chose pour ces frères aussi.
Quand je vivais à Rome, j’y allais tous les jours, à tel point qu’on me disait: «Mais pourquoi ne prends-tu pas une cellule et ne restes-tu pas avec nous?». Depuis que ma congrégation m’a transférée à Latina il y a six ans, je n’y vais que le samedi. C’est un samedi précieux que je consacre avec enthousiasme, et j’y vais avec un grand désir de rencontrer ces frères.
Ensuite, pendant la semaine, en plus de m’occuper des choses pour ma communauté religieuse, je m’occupe des textes écrits par les prisonniers. Je dois les corriger pour les leur présenter et discuter avec eux de ce qu’ils ont écrit.
«Dans chacun, il y a une histoire, il y a un cœur, des rêves, qui ont été brisés par le crime.»
Comment est né l’atelier d’écriture que vous animez avec les détenus et comment fonctionne-t-il?
Dès mon entrée dans la prison, j’ai été frappée par la façon dont la plupart des détenus vivent leur journée, sans aucun sens, presque toujours la tête baissée. Le manque d’activités de travail et d’études m’a incité à lancer l’atelier d’écriture créative. Tous les samedis, nous nous réunissons autour d’une table et nous parlons de la vie en prison, de différents problèmes et de ce qui leur tient le plus à cœur. Les histoires me touchent, je les écoute avec beaucoup de respect, j’accueille leurs larmes.
Dans chacun, il y a une histoire, il y a un cœur, des rêves, qui ont été brisés par le crime. Il y a des discriminations, des histoires de misère et de pauvreté. Je les invite donc à mettre sur le papier leur vie, faite de tant de souffrances, de regrets, de déceptions, de colère face à ce qu’ils ont commis. Pour certains, il n’est pas facile de raconter leur histoire, ils ont beaucoup de mal à exprimer leurs émotions et leurs sentiments, d’où la nécessité de nombreux entretiens privés et d’une grande écoute. Le nombre de participants varie car ils sont parfois occupés, mais ils sont au moins une vingtaine à venir.
Que faites-vous de ces écrits?
L’an passé, nous avons produit un nouveau livre, le septième (Enfermés dans l’indifférence, Iacobellieditore, préfacé par le cardinal Matteo Maria Zuppi, ndlr). Tous ces ouvrages rassemblent les témoignages des prisonniers selon différents thèmes que nous choisissons en fonction du moment qu’ils traversent. Le pape a reçu tous les livres que nous avons publiés. J’ai eu l’occasion de lui remettre le précédent, Tout le monde ne sait pas, publié par le Vatican en 2021 après la période de la pandémie. Ma satisfaction est de voir la joie des prisonniers en voyant leurs efforts résumés dans un livre. (cath.ch/imedia/ic/bh)