(Photo:Pixabay.com)
Vatican

'Sodoma' ou l’avalanche d’insinuations

Paru le 21 février 2019 en huit langues, Sodoma : Enquête au cœur du Vatican du journaliste français Frédéric Martel est un livre explosif en révélations sur les mœurs homosexuelles de nombreux prélats de la Curie romaine. Mais au-delà de ces accusations, l’ouvrage se révèle surtout basé sur l’insinuation.

Sodoma fera deux types de déçus. Tout d’abord, ceux – peu nombreux – qui croient encore que le Vatican est privé des habituelles intrigues des lieux de pouvoir : corruption, sexe ou encore malversations sont courants au Saint-Siège, selon le livre. L’idée d’une curie entièrement dédiée au service du Souverain pontife régnant est détruite par Frédéric Martel qui n’y voit qu’intrigues entre différents courants. Mais qui y croyait encore ? A ce constat, le Français vient ajouter une surcouche – ou plutôt une grille de lecture quasi exclusive – homosexuelle.

Deuxième type de déçus : ceux qui s’attendent à des révélations croustillantes. Certes l’ouvrage oute (révèle l’homosexualité) certains prélats en les nommant. Mais ceux-ci sont tous morts. Est-ce par respect pour les vivants ou parce que les morts ne pourront pas répondre? Au-delà de ces quelques noms, Sodoma affirme clairement que de très nombreux autres collaborateurs – cardinaux, évêques et prêtres – de la Curie romaine sont homosexuels et ont une sexualité incompatible tant avec leur vœu de chasteté qu’avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise.

L’accusation n’est pas nouvelle et la presse italienne relaye régulièrement les frasques sexuelles de tel ou tel prélat. Dans la très grande majorité des cas, il s’agit effectivement de pratiques homosexuelles. Mais Frédéric Martel va plus loin en considérant que l’homosexualité relève plus de la norme que de l’exception au sein de la Curie. Selon lui, plus un prélat s’élève dans la hiérarchie, plus la probabilité de son homosexualité – pratiquée – est importante.

Une grille de lecture quasi exclusivement homosexuelle

Comme souvent pour les secrets d’alcôves, la preuve est difficile à apporter. Le journaliste français procède donc par de longues et tortueuses insinuations, qui accusent tout en refusant de s’engager. Si le journaliste met en avant les centaines de témoignages recueillis – dont pas moins de 41 cardinaux, un exploit ! – son ouvrage semble plutôt avoir été bâti autour des récits d’une poignée de personnes nommées dans l’ouvrage (en particulier un ancien nonce français et un ancien prêtre de la Secrétairerie d’Etat).

Bienveillant envers François, assassin envers Jean Paul II, l’ouvrage est carrément insultant envers Benoît XVI sur qui Frédéric Martel multiplie les insinuations jusqu’au grotesque. L’auteur va jusqu’à s’appuyer ainsi sur les stéréotypes homosexuels pourtant dénoncés à cor et à cri par les associations LGBT. Pour le Français, la chose est entendue : un homme qui célèbre la messe avec des ornements riches en dentelles est (presque) forcément homosexuel, même s’il ne pratique pas toujours sa sexualité. Ceux qu’ils appellent les ›ratzingériens’ – le pape émérite, mais aussi les cardinaux Robert Sarah et Raymond Burke et leurs entourages – sont les premiers à en faire les frais.

Second problème de Sodoma : une lecture exclusivement homosexuelle des maux de la Curie romaine. Selon l’ouvrage, toutes les affaires concernant le Saint-Siège sont en réalité une lutte entre ›paroisses’ homosexuelles. IOR, Vatileaks et autres intrigues de cour, tout relève de l’homosexualité des uns et des autres, affirme Frédéric Martel.

Plus que par un ›lobby gay’, le Vatican serait rongé par des luttes intestines où chacun se tient par la connaissance des tendances sexuelles de l’autre. Ce qui expliquerait notamment les silences sur les cas de pédophilie pour éviter de voir ses propres tendances révélées. Si la thèse est audible, elle montre très rapidement ses limites. Les conflits d’ego, la volonté de pouvoir, les influences nationales ou encore les préférences théologico-pastorales sont un peu rapidement relégués au second plan.

Méconnaissance de la doctrine chrétienne

Troisième problème de Sodoma : une méconnaissance totale de la doctrine et pensée catholique. Le Catéchisme de l’Eglise catholique est forcément ›homophobe’ (terme jamais vraiment défini), ›réactionnaire’ ou encore ›moyenâgeux’. Quant à la dissociation entre personnes et actes, elle est absolument éludée par l’auteur. Tout comme les notions de péché, de rédemption et de progression vers l’idéal chrétien. Jamais l’auteur ne considère le combat intérieur que peuvent mener des prêtres – ou des fidèles – qui cèdent à leurs tendances homosexuelles. Ceux-là, affirme-t-il, s’enfermeront dans une homophobie virulente pour donner le change.

Si l’ouvrage se veut clairement militant de la cause LGBT – Frédéric Martel ne s’en cache pas – il n’est pas pour autant à rejeter. Il met nombre de prélats en face de leurs contradictions, ce qui – dans une optique chrétienne – peut les mener à une certaine conversion. Il révèle également le problème des séminaires, où la sexualité à force d’être tabou explose selon lui. A en croire Frédéric Martel, un séminariste homosexuel est préféré à un séminariste hétérosexuel. Affirmation généralisante, mais pas forcément fausse dans certains lieux. Plus largement, il révèle un système où la pratique de l’homosexualité dénoncée publiquement est épousée en privé. L’exemplarité de certains en prend un coup.

Enfin, l’ouvrage apprendra peut-être à certains à faire preuve de davantage de discernement. Alors qu’il est si difficile pour un journaliste vaticaniste d’obtenir un entretien avec un cardinal, comment se fait-il qu’ils soient aussi nombreux à avoir ouvert leur porte à l’auteur pour lui parler sans précaution ? Comme Frédéric Martel le dit lui-même, une simple recherche sur internet aurait permis à tous de connaître leur interlocuteur. Et peut-être donc, à réfléchir à deux fois avant de déverser leur fiel les uns sur les autres, dans un médiocre esprit de cour. D’au tant que l’auteur ne se prive pas de remarques cruelles envers ceux qui ont nourri son ouvrage. (cath.ch/imedia/xln/mp)

22 février 2019 | 14:42
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
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