Série Apic : Les artistes dans les couvents en Suisse

Soeur Caritas Müller, de Cazis, dans les Grisons – céramique d’art et peinture à l’huile «Ma Soeur, vous avez là une mission!»

Ora et labora. Dans les couvents, on travaille et on prie. Mais pas seulement. Dans de nombreux monastères en Suisse, des religieux expriment leur recherche de Dieu de façon artistique. Travail ou vocation? L’agence de presse Apic/Kipa a visité «les artistes qui se donnent à Dieu» et a déjà diffusé six portraits au cours de l’année 2009. Elle complète maintenant la série avec la présentation de cinq autres religieuses ou religieux.

Cazis GR, 8 mars 2010 (Apic) Soeur Caritas Müller est occupée à réaliser une grosse commande. La religieuse dominicaine prépare, pour les soeurs de Baldegg, un «chemin de la vie», à savoir dix sculptures de taille humaine. Ses instruments: la céramique et la peinture à l’huile. Et de lancer: «Mon travail, je le comprends comme une annonce de l’Evangile».

Soeur Caritas Müller a grandi dans la localité argovienne d’Ennetbaden. Elle n’avait pas tout à fait vingt ans quand elle est entrée en 1961 au couvent des dominicaines des Saints-Pierre-et-Paul à Cazis, où elle vit désormais.

Alors qu’elle était jeune, elle bricolait volontiers, se souvient-elle. Un orienteur professionnel lui avait alors conseillé ou bien de travailler chez le célèbre marchand de jouets Franz Carl Weber ou bien d’essayer de se lancer dans la céramique. Elle s’est décidée pour cette deuxième option et s’est alors inscrite à l’Ecole professionnelle de céramique à Berne. Pendant sa troisième année d’apprentissage, elle s’est décidée «quasiment sans réfléchir» à entrer au couvent.

C’est venu comme cela: la jeune femme habitait au domicile d’une femme de pasteur. Elle serait volontiers allée à la messe matinale dans le temps de Carême et de l’Avent, mais ce n’était pas possible pour diverses raisons. Ayant changé de lieu d’habitation, il se trouva que sa nouvelle chambre était située près d’une église. C’est dans cette église que naquit et que se conforta l’idée d’entrer au couvent.

Durant les quatorze premières années passées au couvent de Cazis, rien ne passa au niveau de la céramique. La jeune dominicaine faisait des travaux de secrétariat pour la Mère supérieure. Elle fréquenta par ailleurs le cours de proposition de la foi et de catéchèse avant d’enseigner le catéchisme à Cazis, à quelque 25 km de Coire, sur la route du col du San-Bernardino, et dans les villages de montagne environnants.

Le cadeau de Noël de 1975

Le tournant décisif eut lieu au couvent de Fahr, près de Zurich: lors d’une session, la prieure de Cazis put admirer des travaux en céramique de Soeur Matthäa. EIle incita sa «secrétaire» d’aller voir ces œuvres. Et de décider finalement sans trop de détours qu’elle devait se procurer un four céramique. C’est à Noël 1975 que Soeur Caritas reçut son cadeau.

Son premier travail fut un tableau mural: la femme de Samarie au puits de Jacob. Puis vint le premier chemin de croix pour la chapelle du couvent. C’est en 1976 que le «Zürcher Heimatwerk», qui écoule de l’artisanat suisse, a demandé à tous les couvents de femmes du pays de participer à une exposition de travaux artisanaux.

Soeur Caritas Müller put y présenter des oeuvres en 1977. Résultat: les commandes commencèrent à affluer. «Je n’ai jamais eu besoin de faire de la publicité, la Providence m’organise tout», confie la religieuse.

La croix et le chemin de croix

L’archevêque de Dublin fut tout particulièrement touché par les travaux de la religieuse dominicaine. Mais, par malheur, les œuvres qu’il avait commandées étaient brisées en morceaux à l’arrivée. Lors d’un second envoi, pas de chance non plus: les douaniers interceptèrent la livraison. Heureusement, l’évêque fit alors une sage proposition: la sœur devrait venir en Irlande pour six mois, ce qui serait plus simple et moins cher!

Sœur Caritas resta en fait un mois sur l’île et créa pendant ce temps un chemin de croix pour une paroisse irlandaise. Aujourd’hui, ce sont plus de 20 chemins de croix qui sont nés de ses mains d’artiste.

Le dernier de ces chemins de croix est placé dans la chapelle rénovée du couvent. On peut y découvrir une partie du message que la religieuse arrive à faire passer dans son travail. Ce qui est particulier, dans ce chemin de croix, c’est que les personnages transmettent leur mouvement d’une station à une autre. Les figures ne sont pas rigides, mais ont un certain élan. L’observateur a le sentiment que les personnages indiquent quelque chose qui doit encore venir.

La religieuse réfléchit déjà au façonnage d’un autre chemin de croix qui va trouver sa place dans le cloître du couvent de la Maigrauge à Fribourg. Soeur Caritas ne crée pas seulement des chemins de croix. Son œuvre la plus connue est certainement «la Trinité miséricordieuse». On en trouve désormais la reproduction sur tous les continents. Pour elle, c’est simple: «Dieu m’a utilisée comme une spatule à modeler.»

La grosse commande de Baldegg

Les soeurs de Baldegg ont commandé une oeuvre importante. Dans les locaux de l’ancien couvent de Baldegg, la maison St-Joseph, dans le canton de Lucerne, une «auberge de couvent» a déjà été réalisée, tandis qu’un «escalier de vie» doit s’élever dans les diverses cours intérieures. Soeur Caritas réalise ce mandat en créant dix sculptures de hauteur d’homme.

La première station commence avec un nourrisson, placé sur une plaque triangulaire. A la dernière station, on pourra voir un mourant, dont les pieds sont également sur une plaque du même type. Ce triangle symbolise la Trinité. Par ce biais, la religieuse veut signifier que «nous venons de Dieu et nous retournons à Dieu.» Elle découpe ces stations de vie de l’Homme dans du polystyrène expansé. Quand les modèles travaillés sont achevés, ils sont amenés à la fonderie et coulés en bronze.

Le couvent se transforme avec l’oeuvre

La rénovation du couvent de Cazis a permis à la religieuse dominicaine de décorer les lieux de ses œuvres d’art. Ainsi on peut admirer dans la salle à manger des hôtes une grande oeuvre murale, qui reproduit trois scènes bibliques: les noces de Cana, le Christ ressuscité et la multiplication des pains.

Dans une salle d’accueil est suspendue l’»Horologium sapientiae», l’Horloge de la Sagesse, comme l’a appelé spontanément un visiteur en allusion à un ouvrage du dominicain Henri Suso, au XIVe siècle.

Cette «Horloge» est un assemblage particulier de mesures du temps – avec justement une horloge placée au centre du relief en céramique – et toute une foule de célébrités dominicaines. Ces personnages vaquent à leurs affaires dans de petites cellules de moines – priant, travaillant, débattant. Se pourrait-il que cette horloge rappelle aux saints la mesure du temps sur terre ? L’oeuvre peut être interprétée de diverses manières, relève l’artiste.

Faire sortir l’observateur de sa réserve

Cela l’amuse, pour autant que l’on puisse utiliser l’expression, d’intégrer dans son oeuvre des pierres, du verre ou des miroirs. Mais la soeur ajoute aussitôt de façon déterminée: «Pour moi, tout doit avoir un sens. Je veux annoncer l’Evangile, les dominicains sont des prêcheurs!» Les figures cachent beaucoup de symbolique. L’observateur doit la «déchiffrer».

La religieuse s’inquiète du fait qu’aujourd’hui, nombre de contemporains ne connaissent plus la Bible et les symboles chrétiens. Mais ce n’est pas une raison pour se résigner! Soeur Caritas veut faire sortir l’observateur de sa réserve et l’encourage à se plonger dans les Ecritures saintes. Lors d’une visite du couvent par un groupe de jeunes, l’accompagnatrice a dit à la religieuse interloquée par leur méconnaissance des sujets religieux: «Ma Soeur, vous avez là une mission!»

Nomen est omen

Une partie des ouvrages en céramique est laissée en couleur naturelle, d’autres céramiques sont vernissées. «La glaçure est une science en soi», estime l’artiste. «Au début, j’avais l’impression que les personnages n’étaient pas habillés, parce qu’ils n’étaient pas vernis. Cela a changé avec le temps, avant tout quand j’ai commencé à travailler avec un couteau de cuisine plutôt qu’avec la spatule à modeler.» Il arrive que Soeur Caritas peigne ses créations à l’aide d’oxydes, ce qui permet de mieux mettre en valeur les dégradés.

Les travaux de Soeur Caritas – qui comprennent outre les grosses commandes également de nombreuses pièces isolées – doivent porter un nom précis. Car ce dernier doit assurer la relation avec le message religieux et en même temps pousser à regarder de plus près et susciter une réflexion plus profonde. C’est pour cela que la religieuse dominicaine, qui travaille aussi avec la peinture à l’huile, affirme: «L’art est pour moi l’annonce de l’Evangile.»

Des photos de ce reportage peuvent être commandées à l’adresse kipa@kipa-apic.ch. La 1ère photo est au prix de CHF 80. –, et à partir de la deuxième photo pour illustrer le même reportage, de CHF 60. –. (apic/gs/be)

Soeur Caritas Müller devant l’autel de la chapelle du couvent de Cazis (Photo: Georges Scherrer)

8 mars 2010 | 09:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
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