Sénégal: une école privée catholique interdit le port du foulard
Une école privée catholique de Dakar, au Sénégal, a créé une vive polémique dans le pays, en annonçant l’interdiction, à la rentrée prochaine 2019-2020, du port du foulard islamique par les élèves de l’établissement.
L’Institut Sainte-Jeanne-d’Arc (ISJD), propriété de la congrégation des sœurs de saint-Joseph de Cluny et membre du réseau des universités catholiques d’Afrique de l’ouest, l’a souligné dans une note aux parents d’élèves. Il ne mentionne pas spécifiquement le port du foulard islamique par les filles.
«(…) Dans le cadre actuel de la relecture générale de sa mission et du projet éducatif, la congrégation a décidé de statuer sur la tenue autorisée pour les élèves de l’ISJA. Cette tenue sera désormais composée de l’uniforme habituel, avec une tête découverte, aussi bien pour les filles que les garçons», a indiqué la direction de l’ISJD dans sa note aux parents d’élèves.
Conforme aux 57 écoles de la Congrégation
Elle rappelé que l’institut «demeure un lieu d’éducation rigoureuse, accueillant des personnes de toutes origines, cultures et croyances, sans exclusion». Elle a précisé que la nouvelle mesure a été prise pour conformer l’ISJD «à ce qui a toujours été observé dans l’ensemble des 57 établissements de la Congrégation à travers le monde, en particulier dans la province de l’Afrique de l’ouest composée du Sénégal, du Burkina Faso, du Niger et du Togo».
Dans un pays où l’islamisme monte en puissance, cette mesure est mal perçue par l’opinion publique. Dans les médias, elle est considérée entre autres, comme une atteinte à l’Islam, à la laïcité, une intolérance religieuse.
Pour l’économiste et homme politique sénégalais, Ibrahima Sène, la tournure donnée à la décision de l’ISDJ est «grave». «Vouloir en faire une guerre entre Islam et Christianisme, relève d’un projet machiavélique destructeur de la République démocratique et laïque qui a garanti la convivialité de nos concitoyens célébrée dans tous les pays et dans toutes les langues du monde», a-t-il observé
«Vous voulez mettre la Loi sur l’éducation nationale au-dessus de la Constitution du Sénégal qui dispose en son article 24, que la liberté de conscience, les libertés et les pratiques religieuses ou cultuelles, la profession d’éducateur religieux sont garanties à tous sous réserve de l’ordre public», a-t-il indiqué à l’endroit des nombreuses critiques de la décision. Il a ajouté que conformément à la Constitution, «les institutions et les communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave. Elles sont dégagées de la tutelle de l’Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome».
«J’ai froid dans le dos en vous voyant entraver ce droit constitutionnel de l’école privée catholique pour défendre, non pas l’Islam, mais bien un comportement ostentatoire radical, qui partout dans les pays de majorité musulmane, se comporte en ennemi irréductible contre les musulmans non salafistes. Vos reproches faites à cette école catholique participent à développer une culture salafiste dans notre pays».
Vassalisation
«Vous cautionnez le comportement provocateur de certains parents salafistes, au nom de votre refus à la discrimination à l’école, qu’elle soit publique, privée ou confessionnelle. Mais vous acceptez que les écoles privées fassent de la discrimination par l’argent au point d’exclure même les enfants dont les parents ne peuvent plus payer leurs frais de scolarité même en cours d’année scolaire», a encore écrit Ibrahima Sène, dénonçant une «attitude de vassalisation qui enlève toute légitimité de crier à la discrimination d’enfants par une école privée catholique, qui n’use que de ses droits constitutionnels».
De son côté Alassane Diawara, journaliste au quotidien nationale, Le Soleil, a estimé qu’on ne peut pas parler de «tolérance religieuse» musulmane au Sénégal. «Nous ne sommes dans un pays où nous avons à tolérer les catholiques. Ils sont citoyens à part entière et doivent être reconnus et respectés dans ce qu’Ils sont», a-t-il indiqué dans un post sur Facebook.
Selon lui, il faut placer la polémique autour de la décision de l’ISDJ dans le contexte d’extrémisme religieux «qui frappe aux portes du Sénégal». «Le problème va plus loin que le simple port du voile et pourrait aller plus loin. Si (ceux qui contestent la décision de l’ISDJ) sont aussi imbus de leur foi musulmane, ils n’ont rien à faire dans un privé catholique. Avec 95% de musulmans dans le pays, les contestataires doivent pouvoir avoir «assez d’espace pour s’épanouir», a-t-il conclu.
Pas conforme à la Constitution
Dans une prise de position officielle du gouvernement, le nouveau ministre de l’Education nationale, Mamadou Talla, a déclaré que la décision de l’ISJD «n’est pas conforme à la Constitution, qui dispose en son article premier, que la République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle respecte toutes le croyances». En outre, la loi de 1991 sur l’éducation précise en son article 4, que l’éducation nationale est «laïque, respecte et garantie à tous les niveaux, la liberté de conscience des citoyens».
Dans un communiqué, il s’est engagé à prendre «toutes les mesures pour mettre un terme à cette situation en veillant à une application stricte des lois et règlement en vigueurs».
Située au cœur de la capitale sénégalaise, à proximité de la cathédrale du Souvenir africain, l’ISJD a été fondée en 1904, en pleine époque coloniale française. Mais, pour des raisons administratives, il n’a ouvert ses portes qu’en novembre 1939.
Le nom d’école Saint-Jeanne-d’Arc a été choisi, afin «d’insuffler audace et courage aux jeunes élèves», a rappelé la direction son le site internet. Il accueille des élèves de la maternelle au post-bac, répartis dans 25 salles de classes, de plusieurs nationalités africaines, européennes, américaines et asiatiques. (cath.ch/ibc/bh)