Le Seigneur des anneaux et Narnia: une «conspiration» chrétienne?
Le Seigneur des anneaux et Le monde de Narnia sont parmi les œuvres les plus populaires de la culture contemporaine. On ignore cependant souvent qu’elles ont été créées par de fervents chrétiens, qui y ont laissé de nombreuses marques de leur foi.
Qu’est-ce que Frodon, le lion Aslan ou Gandalf peuvent bien avoir en commun avec Jésus ou le pape? Ces premiers sont des figures bien connues du genre littéraire appelé Heroic Fantasy (merveilleux héroïques). Elles sont nées dans l’imagination de deux «pères fondateurs» de ce genre qui prospère aujourd’hui: J.R.R. Tolkien et C.S. Lewis. On doit entre autres au premier, professeur de philologie à l’Université d’Oxford, les romans Le Seigneur des anneaux et Le Hobbit. Deux œuvres récemment popularisées par le cinéma. L’ouvrage le plus connu de C.S. Lewis, également professeur mais à l’Université de Cambridge, Le Monde de Narnia, a également fait l’objet de plusieurs transpositions cinématographiques.
Bière, foi et sagas nordiques
Le 3 janvier 2017 a marqué les 175 ans de la naissance de J.R.R. Tolkien. Cela a été l’occasion pour plusieurs médias de rappeler qu’au-delà de l’aspect «grand public» de ces œuvres, elles laissaient transparaître des valeurs fondamentales auxquelles leurs auteurs croyaient.
Ils souhaitaient faire passer «clandestinement» le message christique
J.R.R. Tolkien et C.S. Lewis se rencontrent pour la première fois en 1926, à Oxford. Entre eux ne tarde pas à naître une amitié profonde et durable. Ils partagent un goût pour le dialogue et la bière, et Tolkien invite bientôt Lewis aux réunions des Coalbiters, un club dédié à la lecture de sagas islandaises en vieux norrois. Il est connu que la conversion au christianisme de Lewis, auparavant athée, est en partie dû à l’influence de Tolkien, même si ce dernier regrette que son ami ait choisi de venir à l’anglicanisme, et non de le rejoindre au sein de la confession catholique.
Décrire le «mythe véridique» de l’Evangile
Selon Colin Duriez, auteur de l’ouvrage Tolkien et C.S. Lewis: le cadeau de l’amitié, Tolkien le catholique et Lewis l’anglican partageaient la même préoccupation de prendre à contre-courant l’hostilité au christianisme très présente dans le milieu académique de l’époque. Ils possèdent également une fascination commune pour les mythes. Ils pensent qu’à travers le mythe et la légende -des moyens utilisés par la plupart des peuples depuis des millénaires pour transmettre des vérités fondamentales- peut transparaître le «mythe véridique» de l’Evangile. Ils souhaitent ainsi faire passer «clandestinement» le message christique «au-delà des clivages et des préjugés des lecteurs sécularisés». Les deux écrivains, qui vont entretenir une collaboration littéraire et une amitié pendant plus de trente ans, «conspirent» ainsi pour intégrer la symbolique chrétienne en filigrane de leur œuvre.
Le Christ-lion
Aussi bien Le monde de Narnia que Le Seigneur des anneaux développent comme thème principal la lutte du bien contre le mal. Un schéma scénaristique classique des œuvres de fiction mais qui reflète dans ces deux ouvrages un point de vue spécifiquement chrétien.
Chez Tolkien, le mal, représenté par l’entité spectrale Sauron, a un aspect tentateur et séducteur, qui renvoie à la figure de Satan dans la Bible. Sauron domine les mortels par la fascination que confère son anneau de pouvoir, qui épuise peu à peu les forces positives de celui qui le porte.
Les Chroniques de Narnia sont imprégnées du christianisme
Dans l’ouvrage de C.S. Lewis, la vision chrétienne de l’opposition entre le bien et le mal est encore plus évidente. L’entité créatrice et bienveillante qui règne sur Narnia est incarnée par le lion Aslan. Dans la Bible, le Christ est également désigné comme le «Lion de la tribu de Judas». Selon Philippe Maxence, auteur en 2005 du Monde de Narnia décrypté, le lion Aslan, qui se sacrifie pour racheter les fautes d’Edmund, est une allégorie du Christ qui se sacrifie pour racheter les fautes des hommes. La trahison d’Edmund pour des friandises évoque la trahison de Judas pour de l’argent. Le thème du pardon chrétien est également abordé avec le retour d’Edmund. Le lion dit alors: «Ne parlons plus de ce qui est fait». Ce qui est un parallèle probable avec la rémission des péchés dans la foi chrétienne. Après avoir été martyrisé et assassiné par les sbires de la Sorcière blanche (le mal incarné), Aslan offre en outre aux héros de l’histoire le spectacle de sa résurrection.
Dans l’œuvre de C.S. Lewis, les enfants humains sont également appelés»fils d’Adam» et «filles d’Eve». Une allusion sans détour à la Bible.
De nombreux autres points du roman du professeur d’université anglican peuvent être rattachés au christianisme. Si bien que Philippe Maxence affirme: «Les Chroniques de Narnia sont imprégnées du christianisme à la manière d’une éponge, il suffit de presser pour que les reflets de la religion chrétienne étincellent».
Le pape au chapeau pointu
Contrairement à son ami, J.R.R. Tolkien n’a jamais voulu apparaître comme un auteur spécifiquement religieux. De son propre aveu, il avait plus en tête de développer les mythes nordiques que la symbolique chrétienne. Néanmoins, en tant que catholique convaincu, l’aspect religieux transparaît de façon «naturelle» dans sa littérature. Telle est en tout cas la thèse développée par l’auteur et théologien anglais Stratford Caldecott dans son article The Hidden Presence of Tolkien’s Catholicism (la présence cachée du catholicisme de Tolkien[2001]). Il souligne ainsi, à propos de Tolkien, que «sa foi et sa sensibilité catholiques pénétraient tous les aspects de sa vie- y compris ses écrits».
Tolkien craignait que les lecteurs passent à côté de la résonance chrétienne dans ses écrits
Les personnages du Seigneur des anneaux peuvent notamment souvent être assimilés à des figures religieuses ou bibliques. Dame Galadriel se rapproche par exemple clairement de la Vierge Marie. Sous les traits d’une femme d’une grande beauté, il s’agit d’une figure maternelle, bienveillante, lumineuse, qui apparaît et disparaît à sa guise. Elle guide en outre les héros dans leur quête. Certains auteurs rattachent le personnage de Gandalf le magicien à la figure du pape. Défenseur et guide des «croyants», il couronne le roi Aragorn à la fin de l’histoire, comme les pontifes le faisaient à l’époque pour des souverains.
L’une des allégories les plus évidentes, dans les livres de Tolkien, est la similarité entre l’eucharistie et le «lembas», un pain confectionné par les elfes, note l’agence d’information catholique américaine CNA, dans un article sur le sujet. Les représentants de la Communauté de l’anneau retirent de la force, aussi bien physique que spirituelle du lembas, qu’ils reçoivent des mains de Galadriel. En outre Gollum, qui est sous l’emprise de la force maléfique de Sauron, est repoussé par la simple vue de cet aliment, comme le serait un possédé par une hostie.
Des mythes de la culture contemporaine
Ce ne sont là que des exemples des nombreux éléments du christianisme qui peuvent être retrouvés chez les deux auteurs britanniques. Il est ainsi paradoxal que leurs œuvres aient été, principalement dans les années 1970, prises comme source d’inspiration pour des mouvements néo-païens. Une tendance qui a beaucoup inquiété Tolkien à la fin de sa vie. Il craignait que les lecteurs passent à côté de la résonnance chrétienne présente dans ses écrits, assure Colin Duriez.
Il est impossible de dire à quel point les deux auteurs ont gagné leur pari de populariser les idéaux chrétiens au sein de la population «sécularisée». Il est en revanche certain que leurs œuvres ont connu une diffusion qu’ils n’auraient jamais pu imaginer. Aussi bien Le Seigneur des anneaux que Le Monde de Narnia ont été vendus à des dizaines de millions d’exemplaires, dans le monde. Les films tirés de ces histoires figurent également dans le haut du classement des plus grands succès de tous les temps. Leurs personnages et leurs univers sont devenus incontournables dans l’iconographie culturelle contemporaine.
Mais l’évocation de Dame Galadriel amène-t-elle réellement au spectateur ou au lecteur une compréhension de la figure chrétienne de Marie, ou le destin du lion Aslan un éclairage sur la vie de Jésus? Cela est une autre histoire. (cath.ch/arch/cna/rz)