Paolo Impagliazzo entouré par les signataires de la Déclaration de Rome en 2020 | © Sant'Egidio
Dossier

Sant'Egidio encourage le Soudan du Sud à la paix

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En 2020, la signature de la ‘Déclaration de Rome’ entre les différentes factions a constitué une avancée tangible pour déplacer la confrontation du terrain militaire au terrain politique. C’est qu’explique à I.MEDIA Paolo Impagliazzo, secrétaire général de Sant’Egidio et artisan de la médiation pour le Soudan du Sud, qui accueillera le pape à Djouba lors de sa visite dans le pays, du 3 au 5 février prochain.

La Communauté de Sant’Egidio, connue notamment pour sa médiation dans le cadre de la guerre civile au Mozambique, s’est aussi beaucoup investie pour la paix au Soudan du Sud. Elle a cherché à ramener à la table des négociations certaines factions rebelles qui n’avaient pas été associées à l’accord de 2018 signé entre le président Salva Kiir et son principal opposant Riek Machar, redevenu vice-président. Explications de Paolo Impagliazzo.

Comment Sant’Egidio est-elle entrée en contact avec les acteurs du Soudan du Sud?
Paolo Impagliazzo: Sant’Egidio est amie du Soudan du Sud depuis une période bien antérieure à l’indépendance. La première visite du Dr John Garang (père de l’indépendance sud-soudanaise, décédé en 2005, ndlr) à Sant’Egidio a eu lieu en 1994. C’est donc une relation très longue, qui a continué au fil du temps, durant la longue guerre pour l’indépendance du Soudan du Sud. Nous étions présents le jour de l’indépendance, le 9 juillet 2011.

Plus récemment, en 2017, la Communauté a été invitée à participer à une prière pour la réconciliation et le pardon au Soudan du Sud. Puis, après la retraite spirituelle de 2019 au Vatican, nous avons voulu, avec le plein soutien du gouvernement du Soudan du Sud, ouvrir une plateforme de négociation entre le gouvernement d’union nationale et les groupes qui sont restés à l’extérieur de l’accord de paix de 2018, avec une nouvelle initiative pour soutenir l’effort du pape, de l’Église, pour la stabilisation du pays et l’inclusivité dans le processus politique. L’intention principale était de réduire la violence dans le pays, en considérant que le peuple avait déjà trop souffert. En incluant la lutte pour l’indépendance, la guerre a duré plus de 40 ans, avec beaucoup de souffrance.

«Sant’Egidio est amie du Soudan du Sud depuis une période bien antérieure à l’indépendance.»

Ce début d’année marque le troisième anniversaire de la Déclaration de Rome du 12 janvier 2020, signée sous l’égide de Sant’Egidio, et lors de laquelle les différentes factions sud-soudanaises s’étaient engagées à la paix. Ce processus de paix s’est-il concrétisé sur le terrain?
Il faut se souvenir que peu après la Déclaration de Rome, il y a eu la pandémie de Covid-19 qui a empêché la poursuite du dialogue politique. Ce processus a été «congelé» en quelque sorte. Mais après la pandémie, il y a eu beaucoup d’autres rencontres, qui ont permis de réduire la violence concernant les groupes impliqués dans ce dialogue. Les engagements n’ont pas toujours été tenus sur le plan militaire, mais il y a eu des avancées sur le plan politique, car les différentes parties ont eu l’occasion de discuter de l’agenda des discussions.

Nous avons l’espérance de pouvoir reprendre ce dialogue, mais nous devons dire que le gouvernement, à deux reprises, d’août à décembre 2021 et plus récemment en novembre 2022, a suspendu sa participation à ce dialogue, pour des motifs liés à des violations du cessez-le-feu. Malgré ces contretemps, la Déclaration de Rome a permis de faire en sorte que ceux qui n’avaient pas signé l’accord de 2018 soient reconnus comme des interlocuteurs politiques, et pas seulement comme des forces rebelles. Nous avons donc déplacé la confrontation du plan militaire au plan politique, et ceci est fondamental. Pour diminuer la violence, il faut que les parties se parlent. Nous en sommes convaincus. 

C’est le grand succès de cette initiative: passer de la confrontation militaire au débat politique. Ensuite, le cessez-le-feu n’est peut-être pas toujours respecté, mais il est important de garder une table de négociation pour trouver un moyen de réduire la violence.

«Nous avons déplacé la confrontation du plan militaire au plan politique, et ceci est fondamental.»

Sant’Egidio applique donc au Soudan du Sud la méthode qui a porté ses fruits au Mozambique?
Absolument. Nous sommes convaincus que garder ouverte la table des négociations, même s’il y a des affrontements, est l’unique façon d’arrêter la violence. Il ne s’agit pas de vaincre militairement l’adversaire, mais de maintenir ouverte la table du dialogue.

Comment s’articule votre lien avec le Saint-Siège et avec les acteurs de la diplomatie traditionnelle?
Chaque session de négociations à Rome s’est faite avec la présence d’un représentant de la secrétairerie d’État, comme témoin, et nous l’informons de nos démarches sur le terrain. Il y a eu un round de négociations au Kenya en présence du nonce local, accrédité également auprès du Soudan du Sud. 

La Communauté de Sant’Egidio est reconnue par le Saint-Siège comme association publique de laïcs, mais pour ce qui concerne le travail de médiation, elle est totalement indépendante du Vatican. Cependant, il y a un partage d’informations sur certains thèmes. Pour ce qui concerne le Soudan du Sud, des observateurs de la secrétairerie d’Etat ont participé à certaines sessions de travail, à Rome et au Kenya.

Les négociations se sont aussi tenues en présence d’envoyés spéciaux des pays de la région: Soudan, Éthiopie, Kenya, Ouganda, et des envoyés de la Troïka – États-Unis, Royaume-Uni, Norvège -, ainsi que l’Union européenne et les Nations unies. La médiation de la Communauté de Sant’Egidio a donc intégré des représentants de la communauté internationale. Il faut un effort de tous pour arriver à des résultats. 

Le retour des réfugiés est-il un sujet envisageable aujourd’hui?
On estime que les réfugiés dans les pays limitrophes et les déplacés internes représentent environ 4 millions de Sud-Soudanais sur 12 millions au total, soit un tiers de la population sud-soudanaise. 

La mobilité de la population sud-soudanaise est importante, mais parler d’un retour est prématuré. Certains vivent depuis longtemps à l’étranger, certains avant l’indépendance, d’autres depuis les combats de 2013… De nombreuses années se sont écoulées et les conditions pour revenir sont difficiles. On peut voir quelques retours, mais il est trop tôt pour envisager un retour massif.

Comment se vit la relation aujourd’hui entre le Soudan et le Soudan du Sud, qui a fait sécession en 2011?
Tout d’abord, il faut rappeler que la situation interne au Soudan est encore fragile. Récemment un accord a été signé à Khartoum entre les militaires et une partie de la société civile. Des commissions sont en train de se pencher sur cinq points clés qui n’ont pas été traités dans cet accord. Les contacts se poursuivent pour arriver à une stabilisation de la situation, ce qui n’est pas encore acquis. 

Il y a encore de nombreuses difficultés car le Soudan est un grand pays dans lequel les périphéries ont souvent été oubliées. Il faut un processus de réconciliation profond, pour que les populations, les groupes qui ont été marginalisés puissent faire entendre leurs voix. C’est un processus long, mais cet accord récemment signé va dans la bonne direction. Le Soudan est un pays complexe, avec une société civile très développée. Le débat politique est très vivant, ce qui est positif, mais avec un risque de dispersion.

«Il y a encore de nombreuses difficultés car le Soudan est un grand pays dans lequel les périphéries ont souvent été oubliées.»

Malgré ces incertitudes, les relations entre le Soudan et le Soudan du Sud sont bonnes. Récemment, le général Abdel Fattah al-Burhan, président du Conseil suprême souverain du Soudan, s’est rendu à Djouba. Les liens sont étroits. Il y a une bonne collaboration, ce qui peut sembler étonnant par rapport au passé. Par exemple, le Soudan du Sud a accueilli les «Juba Peace Talks», en 2021. C’était un processus de dialogue entre le gouvernement de Khartoum et certains groupes rebelles soudanais. Le dialogue pour le Nord se tenait donc à Djouba! Cela montre que les relations ont évolué: Djouba est devenue un lieu où les Soudanais cherchent un accord politique entre les différents groupes soudanais, pour établir un processus inclusif.

Ce «voyage impossible» du pape François, après notamment après celui mené en République centrafricaine en 2015 et en Irak en 2021, montre que des gestes forts peuvent réussir là où les méthodes de la diplomatie traditionnelle ont échoué?
Oui, vous évoquez la République centrafricaine: le choix d’ouvrir la première Porte sainte du Jubilé de la Miséricorde à Bangui a été un geste incroyable, car ce pays vivait un moment de grande difficulté. Ouvrir la Porte sainte dans les périphéries a été très symbolique, pour mettre au cœur de la vie de l’Église un pays en grande difficulté.

«Des générations entières ont grandi en ne connaissant que la guerre.»

Le voyage en Irak a aussi été incroyablement positif, notamment pour les chrétiens, et aussi pour les populations locales musulmanes. Le pape est apparu comme un symbole d’unité dans le monde. Le voyage au Soudan du Sud est chargé d’une dimension œcuménique, c’est un symbole très important, car il y a déjà un œcuménisme vécu, de caractère populaire. 

Ce peuple a du mal à sortir d’une logique de violence, mais il faut avoir conscience du fait que le pays a dû affronter 40 ans de guerre d’indépendance. Des générations entières ont grandi en ne connaissant que la guerre. La visite du pape apportera donc un encouragement pour la plus jeune nation du monde, qui a encore du mal à trouver une voie pacifique. (cath.ch/imedia/cv/bh)

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Paolo Impagliazzo entouré par les signataires de la Déclaration de Rome en 2020 | © Sant'Egidio
29 janvier 2023 | 14:49
par I.MEDIA

Le pape François effectuera son 40e déplacement à l’étranger depuis son élection en Afrique, du 31 janvier au 5 février 2023. Il visitera d’abord la République démocratique du Congo (RDC), atterrissant à Kinshasa le 31 janvier.

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