Samuel Lievin a réuni Nassera Kermiche et Roseline Hamel pour son livre | © XO Editions
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Samuel Lieven: «Les propos de Nassera et de Roseline m’ont ressourcé»

Le journaliste français Samuel Lieven raconte à cath.ch la genèse de son livre Sœurs de douleurs. Il réunit dans cet ouvrage les témoignages de Roseline Hamel, la sœur du prêtre Jacques Hamel, assassiné en 2016 par un jeune djihadiste, et la mère de ce dernier, Nassera Kermiche.

Luc Balbont, à Paris, pour cath.ch

Bientôt neuf ans déjà, que dans une commune de Seine Maritime, le Père Jacques Hamel, 85 ans, était assassiné dans son église (voir encadré). Tout opposait Nassera Kermiche, la mère du meurtrier, née à Alger en 1963, et Roseline Hamel, la Normande née en 1940, sœur du vieux prêtre assassiné. Elles auront pourtant le courage de se rencontrer et de se parler. Samuel Lieven, actuel directeur de la rédaction de Pèlerin magazine, qui fut le premier lauréat du Prix Jacques Hamel donne le récit cette rencontre improbable qui l’a bouleversé.

Comment avez-vous procédé pour décider Nassera et Roseline à témoigner?
Samuel Lieven
: J’ai d’abord rencontré Roseline. C’était à Lourdes pour la remise du Prix Hamel en 2018. Une ambiance particulière. Roseline était encore physiquement diminuée par le choc de l’attentat, survenu un an et demi plus tôt. C’est la première fois qu’elle participait à ce jury et s’y impliquait corps et âme comme elle n’a cessé de le faire depuis, chaque année. Le courant est immédiatement passé entre nous. Au plan personnel, mais aussi parce que nous avons en commun la ville d’Armentières et le Nord où elle vit depuis plus de soixante ans.
Dès lors, Roseline a pris l’habitude de témoigner en public et de répondre aux sollicitations des médias. Elle avait déjà publié un premier livre en 2019 pour raconter son parcours et la vie de son frère. Au fil des ans, elle m’a peu à peu fait part de ses rencontres et de l’amitié qu’elle cultivait discrètement avec Nassera, que je n’avais encore jamais rencontrée. L’idée d’un livre à trois a commencé à germer.
Ce n’est qu’en 2022 que Nassera a fini par accepter le projet du livre. Nous avons commencé la rédaction en 2024. Elle avait le mauvais rôle. Être la mère d’un terroriste. Qu’allaient dire ses amis, ses collègues, sa famille, ses enfants, son mari, ses proches. Et puis l’entourage du Père Hamel pouvait-il pardonner? C’est en les entendant pour la première fois ensemble que j’ai compris qu’elles étaient toutes les deux victimes, minées par une même douleur.  

«Pour témoigner, si Roseline a accepté sans trop de difficulté, pour Nassera, ce fut plus long. Elle avait le mauvais rôle.» 

Qu’est-ce qui a finalement poussé Nassera à surmonter ses réticences?
Nassera a mis six ans avant de donner son accord. Elle ne s’est décidée qu’en 2022. Et nous n’avons commencé à travailler qu’au début de l’année 2024. Ce qui la taraudait, au lendemain de l’attentat, était de demander pardon. Pour son fils, pour elle-même qui n’avait pas pu empêcher le pire. La figure de Roseline, qui avait perdu son frère, lui revenait sans cesse. Mais comment la sœur du Père Jacques Hamel pourrait-elle accepter de la recevoir et de l’entendre?
Puis vint la décision de témoigner dans un livre. Nassera n’avait jamais témoigné. Il a fallu qu’elle apprenne. Ce qui a été extraordinaire, c’est toute l’aide que lui a apportée Roseline, qui avait déjà l’expérience d’avoir parlé en public, pour l’aider à transmettre son message. Elles ont fait équipe, se sont écoutées, encouragé, soutenues. Entre 2016 et 2024 Il a fallu huit ans pour que le projet aboutisse, mais le résultat montre que l’une comme l’autre ont parfaitement réussi à transmette ce qu’elles avaient à dire.  

Samuel Lieven, de La Croix reçoit le Prix Jacques Hamel, entouré du cardinal Pietro Parolin et de Roseline Hamel, la sœur de Jacques Hamel | © Pierre Pistoletti

Dans quel état d’esprit étaient-elles lors de vos premières rencontres?
Les premiers mois qui ont suivi la tragédie ont été très difficiles pour les deux femmes. Terrassées, sonnées, elles traversaient l’une et l’autre une période de grande solitude. Roseline avait été coiffeuse à domicile, puis dans une association. Jusqu’à sa retraite, elle s’occupait des femmes à la dérive et en état de pauvreté. Le fait de les rendre plus jolies, de leur redonner une apparence féminine, lui avait permis de se remettre elle-même sur pied après une période dépressive suite à son divorce. De reprendre force et volonté en mettant son talent au service des autres.

Plus tard, après le meurtre de son frère en 2016, elle restait enfermée chez elle. Croyante, elle était en conflit avec Dieu. Bouleversée, déchirée, elle était taraudée par une question: qui peut aujourd’hui souffrir plus que moi? Mère de quatre enfants, plusieurs fois grand-mère, Roseline a alors songé à la mère de l’assassin de son frère: Nassera Kermiche. Quelle serait sa douleur si Roseline avait été à la place de Nassera? Si son propre fils avait dérivé de cette manière? C’est ce qui l’a poussée à partir à sa rencontre. 

De son côté, Nassera avait travaillé durant plus de 20 ans comme animatrice sociale, puis repris une formation pour être professeure dans un lycée professionnel normand. Elle vivait dans la culpabilité. Comment n’avait-elle pas pu voir l’évolution de son fils Adel tombée dans l’extrémisme? Elle cherchait désespérément la personne à qui elle aurait pu se confier. Mais en fait, elle se cachait, croulant sous la culpabilité.  

«Si J’étais la mère de l’assassin, comment je réagirais. Je dois absolument la rencontrer.» 

Comment ont-elles réussi à se rencontrer?
C’est Roseline qui a fait le premier pas: «Si j’étais la mère de l’assassin comment je réagirais, se demandait-elle souvent. Il faut que je la rencontre». En avril 2017, la sœur du prêtre s’est rendue pour la première fois chez la mère d’Adel Kermiche l’assassin de son frère, tué par les forces de l’ordre lors de l’assaut contre l’Église de Saint-Etienne-du-Rouvray. Ce lundi de Pâque 2017, en ouvrant sa porte, le premier mot de Nassera à Roseline a été «Pardon». Roseline lui a répondu qu’elle était d’abord venue la rencontrer pour comprendre cette histoire et porter ensemble leur douleur. Ces premiers mots ont tout changé.  

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Cette rencontre aura été déterminante dans la vie de ces deux femmes
L’isolement est catastrophique. Le primat de la rencontre est capital dans la vie de chacun d’entre nous. Non seulement pour Roseline et Nassera mais pour l’humanité entière. Elle permet de mieux comprendre la vie, de s’ouvrir au monde, de briser les barrières, d’éviter le durcissement des cœurs et de bâtir une humanité meilleure. La douleur et la culpabilité ne s’effacent pas pour autant. Mais grâce à cette rencontre, Nassera et Roseline ont trouvé les mots justes pour expliquer à leur entourage, notamment à leurs enfants et à leurs petits-enfants, ce qui s’est passé le 26 juillet 2016 dans l’Église de Saint-Etienne-du-Rouvray.

Que ressentez-vous après une telle expérience?
Il faut du temps pour comprendre des propos aussi forts, il faut laisser monter les paroles de ces femmes en soi. Les ruminer. On attache trop souvent de l’importance à ce qui est éphémère. Le quotidien nous emporte et ne nous laisse pas le temps de méditer. Les propos de Nassera et de Roseline m’ont ressourcé. La mort tragique de ce vieux prêtre de banlieue, le témoignage de sa sœur et de la mère de son fils meurtrier ont immortalisé à jamais ce qui aurait pu n’être qu’un fait divers, spectaculaire mais finalement oublié. Au fil de l’entretien, j’ai compris pourquoi j’avais choisi de faire ce métier. (cath.ch/lbo)

Sœurs de douleurs, XO éditions, Samuel Lieven, Roseline Hamel, Nassera Kermiche. 240 p.

Deux femmes d’exception qui ont montré la voie
Le 26 juillet 2016, les 28’000 habitants de Saint-Etienne-du-Rouvray, une commune française de Seine-Maritime apprennent que leur prêtre Jacques Hamel, 85 ans, a été assassiné dans son église à l’arme blanche par un jeune djihadiste de 19 ans, assisté d’un complice. Cette tragédie, deux femmes n’auront de cesse de la porter: Nassera Kermiche la mère d’Adel, l’auteur du geste fatal, tué par les forces de l’ordre et Roseline Hamel, la sœur de la victime, afin qu’on n’oublie rien et qu’on en tire une leçon.
Si tout opposait Nassera la musulmane, et Roseline, la Normande, elles auront pourtant le courage de se parler pour découvrir qu’au fond, elles partageaient la même douleur. Un parcours étonnant où se mêlent les souvenirs douloureux, la haine parfois, mais où finalement l’envie de se réunir l’emportera pour témoigner que rien n’est figé et que l’espoir est toujours possible. LB

Samuel Lievin a réuni Nassera Kermiche et Roseline Hamel pour son livre | © XO Editions
2 mars 2025 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 6  min.
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