Saint-Sauveur-in-Chora transformée en mosquée: indignation orthodoxe
La décision du président turc Recep Tayyip Erdogan de transformer en mosquée la fameuse église-musée byzantine de Saint-Sauveur-in-Chora à Istanbul, patrimoine mondial de l’UNESCO, suscite l’indignation au-delà même des milieux orthodoxes.
Le ministère grec des Affaires étrangères a vivement condamné la décision prise par les autorités turques, qui «constitue encore une provocation à l’encontre des fidèles partout dans le monde et de la communauté internationale qui respecte les monuments de la civilisation humaine».
Une provocation à l’encontre des fidèles partout dans le monde
«Cet acte qui intervient après la reconversion de Sainte-Sophie [en mosquée, ndlr] et malgré les réactions internationales que celle-ci a suscitées, porte brutalement atteinte au caractère d’un autre monument figurant sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO et se trouvant sur le territoire de la Turquie», déplore le gouvernement grec.
Athènes souligne que malgré ses déclarations de temps à autre en faveur du respect des droits des minorités et du caractère multiconfessionnel de sa société, «la Turquie ne respecte pas ses obligations internationales à l’égard des monuments du patrimoine culturel mondial qui se trouvent sur son territoire». Et d’inviter le gouvernement turc «à retourner au 21e siècle, siècle marqué par le respect mutuel, le dialogue et la compréhension entre les civilisations».
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, «numéro deux» du Patriarcat de Moscou, s’est dit à son tour «affligé» par la décision des autorités turques, prise le 20 août 2020, de rendre le statut de mosquée – après la basilique Sainte-Sophie – à une autre église orthodoxe d’Istanbul, Saint-Sauveur-in-Chora (mosquée Kariye).
Mépris ostensible pour les sentiments religieux des chrétiens»
Depuis 1945, l’église Saint-Sauveur-in-Chora avait le statut de musée… De même que la basilique Sainte-Sophie, l’église Saint-Sauveur-in-Chora, qui fait partie d’un ensemble de bâtiments monastiques, est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est l’église byzantine d’Istanbul qui a le mieux conservé son aspect originel. Ses extraordinaires mosaïques et ses fresques sont un remarquable exemple de l’art de la renaissance paléologienne».
Le métropolite russe craint qu’elles ne soient plus à l’avenir accessibles aux regards, comme les mosaïques de Sainte-Sophie, bien que les autorités turques aient assuré qu’elles resteraient visibles pour les visiteurs en dehors des heures de prière musulmane.
Des faits «affligeants»
«Il est malheureux d’observer le mépris ostensible des actuelles autorités turques pour les sentiments religieux des chrétiens du monde entier, mépris qu’aucun argument rationnel ne peut justifier. Fouler aux pieds l’inestimable patrimoine culturel byzantin ne peut guère profiter à l’Etat turc», martèle le hiérarque orthodoxe russe. «Quant à améliorer la bonne réputation internationale de la Turquie et à consolider la concorde interreligieuse dans le pays et dans le reste du monde, ce ne sont pas des mesures comme celles-ci qui vont y contribuer».
La culture et l’histoire russes s’inscrivent dans la continuité du glorieux passé de l’Empire romain d’Orient, et nous ne pouvons donc rester indifférents à des faits aussi affligeants, a-t-il poursuivi.
Patrimoine mondial en danger
A peine 48 heures après l’annonce d’Erdogan, Bartholomée Ier, patriarche œcuménique de Constantinople, a vivement regretté la décision de faire suivre à l’ancienne basilique de Chora le chemin de Sainte-Sophie et de la transformer de musée en mosquée.
Bartholomée 1er a célébré la Divine Liturgie dimanche 23 août 2020 dans le monastère historique de Panagia Faneromeni à Cyzicus, ancienne ville grecque située sur la côte sud de la mer de Marmara, en Turquie. Il a fait référence aux villes de Cyzicus et d’Erdek qui sont «privées de leur gloire passée».
Les orthodoxes blessés
«Il n’y a plus ici de communautés orthodoxes prospères, d’églises, de monastères, d’écoles et d’institutions sacrées», a-t-il déploré, avant de mentionner la récente transformation de Sainte-Sophie et de l’église de Chora en mosquées.
«Nous avons été blessés par la conversion de Sainte-Sophie et de l’église de Chora en mosquées. Ces deux monuments uniques de Constantinople ont été construits comme des églises chrétiennes. Ils expriment l’esprit universel de notre foi ainsi que l’amour et l’espoir de l’éternité. Les mosaïques et les icônes uniques sont ‘une nourriture pour l’âme et un spectacle remarquable pour les yeux’, comme le dirait l’écrivain et peintre grec Fotis Kontoglou. Elles font partie du patrimoine culturel mondial», a ajouté le patriarche œcuménique. «Nous prions le Dieu de l’amour, de la justice et de la paix d’éclairer l’esprit et le cœur des responsables», a-t-il conclu. (cath.ch/be)
De musée à mosquée
Un tribunal avait décidé, l’an passé, la transformation en mosquée de l’église historique du monastère de Saint-Sauveur-in-Chora, connu pour ses célèbres fresques et mosaïques. Néanmoins, cette décision n’avait pas été appliquée jusqu’à maintenant. Rappelons que le Conseil d’Etat turc, avec l’accord de Recep Tayyip Erdogan, avait déjà transformé la basilique Sainte-Sophie en mosquée par sa décision du 10 juillet 2020.
La tradition place la fondation de Saint-Sauveur-in-Chora au VIème siècle par saint Théodore, tandis que d’autres l’attribuent à Crispus, gendre de l’empereur Nicéphore Phocas (VIIème siècle). Il est maintenant prouvé que l’église actuelle a été bâtie entre 1077 et 1081 par la belle-mère de l’empereur Alexis Ier Comnène, Maria Doukaina, à la place des anciens bâtiments qui datent du VIème et IXème siècles. L’église a été fortement endommagée, probablement en raison d’un tremblement de terre, et a été restaurée en 1120 par Isaac Comnène. Théodore Métochitès a participé à la nouvelle restauration de l’édifice (1316-21) et fit ajouter l’exonarthex, la chapelle sud, ainsi que la décoration de l’église avec de remarquables mosaïques et fresques.
Le monastère a été transformé en mosquée ottomane par le grand vizir du sultan Bayezid II (1481-1512) et fut désormais connue sous le nom de Kariye Camii (mosquée Kariye). Une partie importante de la décoration de l’église a été détruite. En 1948, un programme de restauration a été mis en œuvre et, depuis 1958, l’édifice était un musée. JB