Saint Paul et les femmes: en finir avec les clichés!
Saint Paul, un phallocrate, réactionnaire et misogyne? Des clichés que l’exégète Chantal Reynier bat en brèche dans son dernier livre Les femmes de saint Paul (éditions du Cerf). L’ouvrage rend hommage à ces «collaboratrices» quelque peu méconnues de l’apôtre, qui ont joué un rôle central dans la diffusion de la foi.
Prisca, Phoibé, Chloé, Lydie… autant de prénoms féminins entendus d’une oreille distraite lors de messes ou de lectures reprenant les récits de saint Paul. Des figures vite reléguées dans les esprits comme des «détails», dans un corpus paulinien si riche et profond. Des femmes «détails» qui en disent pourtant beaucoup sur ce «monde nouveau» que l’Apôtre est en train de faire éclore dans le bassin méditerranéen au premier siècle.
Il le fait tout d’abord rien qu’en les «nommant». Une démarche tout sauf évidente dans ce monde antique où les femmes sont en retrait de la vie publique et le plus souvent non considérées. «Les sociétés juive, grecque ou romaine de l’époque, sont totalement asymétriques, souligne Chantal Reynier à cath.ch. Il n’y a pas d’égalité entre les catégories, qu’il s’agisse des hommes libres, des esclaves, des femmes…».
Une nouvelle liberté
L’enseignement de saint Paul constitue un bouleversement complet de ce mode de pensée. «C’est un message révolutionnaire qu’il transmet, assure Chantal Reynier. A la lumière du Christ, il montre que nous sommes tous des enfants d’un même Père et donne aux femmes, autant qu’aux autres catégories sociales, une dignité égale». Une conception exprimée en particulier dans Galates 3, 28: «Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus».
Pour l’exégète, cela introduit les femmes dans une nouvelle liberté. Une liberté d’ordre spirituel, qui ne débouche toutefois pas sur une volonté de changer par la violence et immédiatement l’ordre social . «Les femmes échappent ainsi à leur conditionnement. Il ne s’agit pas d’une révolution visible, mais d’un changement de posture». Pour Chantal Reynier, Paul est ainsi bien «un émancipateur» de la condition féminine.
Parole ou silence?
Mais quid des quelques déclarations de l’apôtre qui semblent au contraire placer les femmes dans un rôle subalterne? Par exemple lorsqu’il intime aux femmes de se taire pendant les assemblées, qu’il les exhorte à porter les cheveux longs, ou demande qu’elles se soumettent à leur mari?
Des «contradictions» qui pour la spécialiste de la Bible, effectivement nous interpellent. Elle souligne tout d’abord qu’il faut replacer ces textes dans leur contexte culturel. «Personne ne pense en dehors du monde dans lequel il vit. La mission de Paul est de déployer les conséquences de la Résurrection pour l’humanité. Il y répond en utilisant des catégories qui proviennent de sa double culture, juive et grecque».
Pour Chantal Reynier, si certains éléments du texte nous paraissent contradictoires, c’est principalement parce que nous y projetons notre culture et notre monde. «Le témoignage est toujours fait en fonction d’un temps donné. L’Evangile nous demande d’utiliser notre intelligence pour le comprendre, et il faut pour cela un minimum de connaissances».
Ainsi, lorsque Paul demande aux femmes de se taire pendant les assemblées, il le fait vraisemblablement pour éviter les bavardages inutiles, le verbiage. Il a à cœur que l’on ne confonde pas l’assemblée chrétienne avec les rassemblements païens, qui donnent lieu à des manifestations extatiques.
Une recommandation de silence est également faite aux hommes, puisque Paul le demande aux prophètes (ceux qui parlent au nom du Seigneur), dans le cas où il n’y a pas d’interprète. «Si un autre qui est assis a une révélation, que le premier se taise» (1 Co 14, 30).
Des femmes qui enseignent
L’exhortation aux femmes de porter les cheveux longs (et non pas le voile, comme il est parfois faussement interprété) va également dans le sens d’une lisibilité sociale. Les femmes ayant les cheveux courts étaient en effet habituellement celles «de mauvaise vie». Il est bien compréhensible que ce petit groupe religieux aux idées novatrices veuille ne pas trop se faire remarquer.
«Les collaboratrices de Paul exercent des fonctions centrales au sein des communautés chrétiennes»
Concernant l’appel à la soumission des femmes à leur mari, Paul pense les relations de l’époux et de l’épouse en fonction des relations entre le Christ et l’Église, remarque Chantal Reynier. Le mari n’est donc pas supérieur à sa femme par nature. Il doit aimer sa femme du même amour avec dont le Christ aime l’Église.
Nombre d’éléments dans les textes pauliniens indiquent au contraire que non seulement l’Apôtre n’empêche pas les femmes de s’exprimer, mais qu’il les encourage à le faire. Et qu’elles sont même amenées à enseigner. Dans Les Actes, il est ainsi expliqué que le dénommé Apollos , un intellectuel alexandrin brillant, reçoit des compléments de formation du couple formé par Prisca et Aquilas, les fabricants de tentes de Corinthe. Et, fait notable, Prisca est mentionnée en premier. Paul lui confère ainsi une place unique en reconnaissant la qualité de son enseignement.
Des diacres et des apôtres
Il est remarquable que beaucoup de collaboratrices de Paul exercent au sein des communautés des fonctions centrales, au même titre que les hommes . Elles président même des assemblées chrétiennes. Certaines participent à la diffusion du christianisme à travers leur activité professionnelle ou leur assise sociale. Elles peuvent, par exemple, posséder une maison assez grande pour héberger des visiteurs et abriter une ekklesia (communauté). C’est le cas de Lydie, marchande de pourpre de Philippes (Grèce), qui est certainement financièrement aisée. Son réseau professionnel et familial contribue ainsi à la transmission de la Bonne nouvelle.
«Ce n’est que récemment que les spécialistes de la Bible se sont accordés sur le fait que Junia était bien une femme»
Les capacités et positions de ces femmes sont mises à profit par Paul pour faire connaître l’Evangile dans le pourtour méditerranéen. Phoibé est emblématique de cette démarche. Femme de Cenchrées (Grèce) à la tête d’une entreprise import-export , elle est choisie par l’Apôtre des Gentils pour porter la Lettre aux Romains, son texte le plus long et peut-être le plus important, dont elle est chargée de donner la lecture aux chrétiens de Rome.
Phoibé est également qualifiée de «diakonos» (serviteur, en grec) qui donnera en français le mot «diacre». Chantal Reynier remarque que c’est l’appellation avec laquelle Paul se présente lui-même , pour signifier que le service doit être vécu à la manière du Christ-serviteur. Ce qui confirme son importance.
Junia, a également fait couler beaucoup d’encre. Principalement parce qu’elle est désignée comme «apôtre». On a longtemps pensé qu’il s’agissait d’un homme. Ce n’est que récemment que les spécialistes de la Bible se sont accordés sur le fait que Junia était bien une femme. Cette masculinisation, qui s’est imposée pendant des siècles est, selon Chantal Reynier, emblématique. Elle illustre une exégèse qui a obéi très longtemps aux impératifs culturels de prédominance masculine en minimisant le rôle des femmes dans le Nouveau Testament.
Hommage aux «oubliées»
Autant d’éléments qui pourraient justifier l’accès des femmes au diaconat et au sacerdoce? Chantal Reynier n’entend pas partir sur ce terrain. «Le texte biblique ne doit pas être un espace de revendication, que ce soit dans un sens ou dans l’autre», estime-t-elle. Son ouvrage n’est certes pas une «pancarte» exigeant des diaconesses ou des femmes-prêtres. «Mon principal but était de rappeler que la diffusion de la foi chrétienne s’est faite grâce à des personnes bien ancrées dans leur culture, dont certaines femmes, souvent quelque peu oubliées par l’Église». (cath.ch/rz)
Chantal Reynier est une exégète française, spécialiste reconnue de saint Paul. Elle a écrit de nombreux ouvrages sur le christianisme du 1er siècle. Elle a mené sa carrière universitaire comme exégète biblique au Centre Sèvres facultés jésuites de Paris. Elle dirige également aux éditions du Cerf, la collection «Mon ABC de la Bible». Elle est en outre membre de la Fraternité O.A.S.I.S (Œuvre pour un apostolat spirituel, intellectuel et social).
Elle a écrit notamment:
Vie et mort de Paul à Rome, Paris, éd. du Cerf, 2016.
Comment l’Evangile a changé le monde, Paris, éd. du Cerf, 2018.
Les femmes de saint Paul, Paris, éd. du Cerf, 2020
RZ