Saint Nicolas de Myre: une popularité à travers les siècles
Fêté le 6 décembre dans l’Eglise catholique, saint Nicolas de Myre est un des saints les plus populaires au monde. Retour sur les étapes historiques qui ont conduit ce «natif» de l’actuelle Turquie à une notoriété qui dépasse les confessions religieuses.
A l’instar de saint Nicolas de Myre, peu de saints peuvent se vanter d’une telle popularité établie dans toute l’Europe, le Moyen-Orient, la Russie et les Amériques. Toutefois, il convient de rappeler que nous ne pouvons historiquement pas affirmer grand-chose à son sujet. «Ce qui est sûr, c’est qu’il y une grande disproportion entre ce que nous savons de sa vie – c’est-à-dire, rien – et son culte largement développé», explique le Père Paul-Bernard Hodel, professeur d’histoire de l’Eglise à l’Université de Fribourg, citant l’ouvrage Vies des saints et des bienheureux1 qui, selon l’historien, est l’une des références hagiographiques sérieuses du 20e siècle.
Un saint oriental
Ce que l’on peut avancer: saint Nicolas de Myre, né vers l’an 270 à Patare, en Lycie, dans l’actuelle Turquie, est d’abord oriental. Pour Noël Ruffieux, laïc orthodoxe, saint Nicolas est un des saints les plus populaires de l’orthodoxie. «En Orient, Nicolas est incontestablement un thaumaturge [faiseur de miracles]. Mais son culte est vécu, me semble-t-il, d’une perception moins légendaire qu’en Occident. Pour nous orthodoxes, il est avant tout un docteur de l’Eglise». En tant qu’évêque de Myre, saint Nicolas assiste sans doute au Concile de Nicée, en 325. Il aurait même combattu les erreurs théologiques d’Arius – prêtre d’Alexandrie à l’origine de l’arianisme, une hérésie chrétienne condamnée durant le Concile.
Une vie exemplaire
Noël Ruffieux reprend volontiers les premières paroles du ‘tropaire’ [chant liturgique orthodoxe] qui lui sont adressées: «La justice de tes œuvres a fait de toi pour ton troupeau une règle de foi, un modèle de douceur, un maître de tempérance».
Un modèle dès son plus jeune âge. Quand ses parents meurent de la peste et lui laissent un riche héritage, Nicolas décide de consacrer sa fortune aux bonnes œuvres. Comme évêque, on dit qu’il était un modèle pour les fidèles de son diocèse, ne mangeant pas plus qu’une fois par jour, priant et travaillant sans relâche. A tel point que lorsqu’il est jeté dans un cachot et soumis à la torture, pendant la persécution de l’empereur romain Dioclétien, entre 303-313, personne n’ose le faire mourir, par peur de la vengeance de son peuple.
«Les légendes ne naissent pas par hasard, elles sont souvent le fruit d’une vie exemplaire»
Dès sa mort, estimée en 343, son tombeau à Myre – l’actuelle Demre – devient un lieu de pèlerinage. Selon la tradition, une huile miraculeuse s’écoule du tombeau, lorsque ses reliques sont enlevées en 1087 par des marchands de Bari pour les rapporter dans leur ville des Pouilles. A cette période, la ville de Myre étant au pouvoir des Turcs seldjoukides, les marchands auraient subtilisé les reliques pour les protéger des musulmans.
«Les légendes ne naissent pas par hasard, elles sont souvent le fruit d’une vie exemplaire», poursuit Noël Ruffieux. L’histoire la plus célèbre étant la résurrection par saint Nicolas de 3 enfants, qui avaient été découpés par un boucher et placés dans un saloir.
Une légende qui s’est probablement répandue d’abord en France, au 12e siècle, alors que Nicolas, en vertu de sa jeunesse studieuse, est considéré comme le saint patron des écoliers. Ce miracle va faire de lui le patron des enfants pour le monde occidental.
Le chiffre 3
Puis au 13e siècle, la Légende dorée, de Jacques de Voragine va compiler toutes les belles histoires qui se racontent sur le saint, parmi lesquelles: le sauvetage des marins grecs, le sauvetage des 3 officiers romains et le sauvetage de 3 jeunes filles de la prostitution. Cette dernière histoire est la moins répandue en Occident, d’après Noël Ruffieux, Fribourgeois d’origine. «Sur les icônes, saint Nicolas est souvent représenté avec un livre et trois boules d’or. Ces 3 boules symbolisant les dots que Nicolas a secrètement données aux 3 jeunes filles, afin que leur père puisse les marier et leur éviter la prostitution. Le chiffre 3 rappelle certainement aussi la Trinité, que Nicolas a défendue, face à l’arianisme, durant le Concile de Nicée».
Une évolution significative
Le culte à saint Nicolas, déjà pratiqué à Rome au 7e siècle par des moines orientaux, s’est véritablement imposé en Occident à partir de 1087. De manière constante durant le deuxième millénaire, des apparitions de Nicolas et des demandes d’intercession vont se multiplier. Cinq papes, deux tsars et un roi portent son nom. Un nombre élevé d’églises lui sont dédiées, dans l’est de la France (Lorraine, Alsace), en Belgique, au Luxembourg, en Angleterre, en Suède, au Danemark, en Islande, en Suisse, en Allemagne. Même après la Réforme, des protestants hollandais continuent de fêter la ‘Sinter Klaas’ (traduction flamande de Saint-Nicolas) le 6 décembre et l’exportent, à partir de 1614, à la Nouvelle Amsterdam, qui deviendra New York en 1667.
Le ‘Sinter Klaas’ flamand devient progressivement ‘Santa Claus’ en anglais. La proximité entre la Saint-Nicolas et la fête de Noël conduisent petit à petit saint Nicolas de Myre, monté sur son âne, à se transformer en Père Noël du Pôle Nord, tiré par ses rennes, au 19e siècle. Et cette nouvelle mascotte – immortalisée au 20e siècle par une célèbre marque de soda – est rapportée en Europe par les soldats américains à l’issue de la Seconde guerre mondiale.
Un saint œcuménique
Retour à Bari, dans les Pouilles italiennes, où se trouvent encore aujourd’hui le tombeau et les reliques de saint Nicolas. Ces dernières attirent chaque année de nombreux pèlerins orthodoxes et catholiques. La ville, considérée de longue date comme un ‘pont’ entre l’Occident et l’Orient, est un lieu de développement œcuménique.
Ainsi, le 12 mars 2001, une délégation du diocèse de Bari a remis au patriarche orthodoxe russe, Alexis II, des reliques de saint Nicolas. L’Eglise latine remettant à une Eglise d’Orient des reliques, qui lui ont été confiées lors des conquêtes des Sarrasins, fut perçu par le patriarche russe de l’époque comme un signe «de bonne volonté œcuménique» de la part du Saint-Siège. A fortiori si Nicolas est un des saints patrons de la Russie, fêté le 19 décembre par l’Eglise orthodoxe.
Une expérience renouvelée en 2017, entre le pape François et le patriarche de Moscou Cyrille 1er. La châsse contenant les reliques de saint Nicolas à Bari, quitte la basilique pour la première fois depuis 930 ans, pour être vénéré en Russie, du 21 au 28 mai 2017. Elle attire de centaines de milliers de fidèles. En guise de remerciement, Cyrille 1er offre au pape François une icône du saint.
Un nouveau saint patron de l’Europe?
Bari accueille, en mai 2005, un Congrès eucharistique national italien. «Saint Nicolas aussi pourrait être un saint patron de l’Europe, et peut-être que le pape [Benoit XVI, élu depuis un mois], un jour, pourrait le proclamer comme tel. Cela pourrait aider l’Europe à dépasser les signes de fatigue et les transformer», a déclaré le cardinal Walter Kasper, président de l’époque du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, s’exprimant dans le cadre de ce Congrès, au cours d’une journée consacrée à l’œcuménisme. Peut-être que le cardinal suisse Kurt Koch sera amené à suggérer à nouveau cette proposition au pape François. GR
La Turquie souhaite-elle reprendre «ses» ossements?
En janvier 2013, la Turquie a fait savoir elle était intéressée à «récupérer» les reliques de saint Nicolas, dispersées depuis le Moyen-Age. La raison? Pouvoir les exposer à Antalya, dans un musée dédié à l’antique civilisation de la Lycie, dont une section serait dédiée aux premiers siècles chrétiens et à la vie du saint. Parmi les détenteurs notoires des reliques du saint de Myre – la basilique de Bari (Italie), la basilique Saint-Nicolas-de-Port, (Lorraine/France), le patriarcat de Moscou –, la cathédrale Saint-Nicolas à Fribourg, en Suisse, a rejeté cette demande.
«Les reliques servent à un culte, et non pas à une exposition», avait déclaré le chanoine Claude Ducarroz, prévôt de l’époque de la cathédrale, se tenant toutefois prêt à faire un geste envers les autorités turques et à leur fournir des photos du reliquaire et tous les documents nécessaires afin de comprendre ce qu’est devenu le culte de saint Nicolas à Fribourg. Mais non les ossements, car ils «représentent la source symbolique du culte» répandu dans le pays de Fribourg. Recontacté récemment, Claude Ducarroz avoue ne plus rien avoir entendu sur la question. (cath.ch/gr)
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1Vies des saints et des bienheureux selon l’ordre du calendrier avec l’historique des fêtes, par les Bénédictins de Paris. Tome XII – Décembre, éd. Letouzey & Ané, Paris, 1956.
Les jeunes fribourgeois célèbrent la Saint-Nicolas, en 1959. Cortège, discours et chants: