Saint Irénée: l’unité des chrétiens sans uniformité
Le dominicain Sylvain Detoc, enseignant à l’Institut catholique de Toulouse, a rappelé, lors d’une conférence à Genève, la fécondité de la conception irénéenne de l’unité pour aujourd’hui. Saint Irénée, le deuxième évêque de Lyon, est reconnu pour avoir établi au IIe siècle un pont spirituel et théologique entre l’Orient et l’Occident. L’année dernière, en pleine semaine de prière pour l’unité des chrétiens, le pape François a posé un geste œcuménique fort en le proclamant «docteur de l’unité».
Myriam Bettens pour cath.ch
L’orateur a retiré bonnet et écharpe, il sourit à l’assemblée avant de s’emparer de son téléphone: «Demain (le 21 janvier, ndlr), cela fera un an que le pape François a proclamé saint Irénée docteur de l’Église avec pour titre celui de ‘docteur de l’unité’». Paradoxalement, «le dernier docteur de l’Église, et donc le plus jeune, est en réalité le plus ancien d’entre tous», affirme encore Sylvain Detoc, docteur en théologie et enseignant à l’Institut catholique de Toulouse. En visite à Genève le 20 janvier, c’est à la Paroisse Saint-Paul que ce spécialiste de saint Irénée a partagé quelques-unes de ses connaissances lors d’une conférence.
Des communautés persécutées
«Chez Irénée, évêque de Lyon à la fin du IIe siècle, la question de l’unité se pose avec une grande acuité». Une intensité encore décuplée par l’adversité, comme nous l’indique l’orateur en évoquant le martyre de la communauté de Lyon en 177. En effet, d’une part, le rapide essor de ces structures ecclésiales nées, tout comme Irénée, en Asie Mineure et qui se diffusent ensuite dans le reste de l’Occident font face à de nombreuses persécutions. D’autre part, ces communautés nouvelles puisent leurs racines dans la diversité culturelle et religieuse, ce qui provoque déjà au IIe siècle des querelles dont nous trouvons un bon exemple dans la lettre d’Irénée à Victor, évêque de Rome.
«Ce dernier menace d’excommunier les églises qui continuent de fêter Pâques avec les juifs, comme le faisaient encore les chrétiens d’Asie Mineure, alors que les communautés de l’Ouest avaient déjà fixé la fête de Pâques au dimanche suivant le 14 Nisan». Pour l’évêque, cette différence calendaire pose un vrai problème pour l’unité de l’Eglise. Saint Irénée, au contraire, n’en voit aucun. «Pour lui, le calendrier liturgique n’engage pas la foi, ce n’est qu’une histoire de cuisine interne.»
Pâques avec les juifs
Il est d’ailleurs bien placé pour faire la leçon à Victor: «A Smyrne, son lieu d’origine, il fêtait Pâques avec les juifs. A Lyon, très vraisemblablement comme les communautés locales». Dans ce contexte encore extrêmement fragile, «Irénée a su développer une sorte de mode d’emploi de la foi chrétienne transmise par les apôtres, par des méthodes d’interprétation, de lecture et de compréhension afin de ne pas se laisser tromper par cette impression de fracture et de division que l’on peut parfois avoir».
Aux disputes s’ajoutent, le danger du gnosticisme qui gagne du terrain. En ardent «zélateur de l’Alliance du Christ», il devient urgent de penser théologiquement l’unité en évitant soigneusement les conceptions fermées et exclusives. Saint Irénée a donc proposé une réflexion qui pose les fondements pour sa communauté, puis pour l’Église universelle. «Pour les Grecs, la notion de symphonie, autrement dit lorsque cela résonne bien ensemble, est un critère de vérité. Irénée transpose cette idée de symphonie pour nous faire entrevoir l’unité de plusieurs réalités qui, elles aussi, existent dans la foi catholique».
Également fidèle à une compréhension de l’Homme marqué par la liberté, mais aussi la croissance, il conçoit moins l’unité comme un état de fait, ou un résultat que comme un état d’esprit. En d’autres termes, le «disciple» de Polycarpe formée en Orient, devenu ensuite évêque en Occident, n’a jamais pensé l’unité en termes figés, mais en tant que dynamique. «On comprend à l’école d’Irénée, que l’unité n’est de loin pas l’uniformité, mais plutôt l’art de saisir l’harmonie, la cohérence et la beauté de l’ensemble tout en étant capable de reconnaître les particularités et les singularités de chacune des parties qui forment cet ensemble». (cath.ch/mb)
Ces «bons à rien» de cathos
Volontiers piquant, voire même impertinent, le frère Detoc a profité de son séjour genevois pour présenter et dédicacer son dernier livre à la librairie La Procure, nouvellement installée dans la Cité de Calvin. Intitulé La gloire des bons à rien (Ed. du Cerf), cet ouvrage se veut «un petit guide à l’usage des cathos découragés».
Le Dominicain y questionne avec humour la vision que nous avons de nos héros bibliques. En effet, «et si les grandes figures bibliques elles-mêmes étaient plus proches des «sous-doués» que des héros de péplum? Et si Dieu était en fait un très mauvais DRH?
Abraham et Sara? Trop vieux. Moïse? Jérémie? Trop bègues. On n’en finirait pas de relever les défauts que font valoir les amis de Dieu pour s’interdire d’être choisis. Et dans le Nouveau Testament, le recrutement n’est guère plus brillant. Pierre? Un lâche. Paul? Un fanatique. Sans parler de Marie-Madeleine! Pourtant, ce sont ces frères et sœurs en humanité que Dieu a engagés au service de la mission la plus incroyable de tous les temps: annoncer l’Évangile. Cessons donc de vouloir à toute force nous défaire de notre pâte humaine! Cette glaise a beau nous paraître lourde, Dieu l’appelle à partager sa gloire » De quoi nous redonner foi en notre humanité! MB
Irénée de Lyon
On connait peu de chose de la vie d’Irénée, dont la chronologie est mal établie. Irénée est né en Asie Mineure, vraisemblablement à Smyrne, entre 130 et 140. Il témoigne avoir connu saint Polycarpe, qui lui-même avait connu l’apôtre Jean. Arrivé en Gaule vers 157, il s’associa aux travaux de Pothin, premier évêque de Lyon. Quand Pothin périt victime d’une persécution de Marc Aurèle, en 177, Irénée est choisi pour le remplacer.
Son épiscopat est marqué par une forte expansion missionnaire: un grand nombre de diocèses furent fondés par des missionnaires envoyés par Irénée. C’est le cas de Besançon et Valence qui doivent à l’évêque de Lyon leurs premiers pasteurs. Soucieux de l’unité de l’Église, il met en valeur son nom d’homme de paix. C’est ainsi qu’il intervient auprès du pape lors de la querelle autour de la date de Pâques.
Il est le deuxième évêque de Lyon, au IIe siècle entre 177 et 202. Il est un des Pères de l’Église. Il est le premier occidental à réaliser une œuvre de théologien systématique. Il rédige ses œuvres afin de présenter la doctrine catholique contre les thèses gnostiques. Il meurt à Lyon en 202 après la publication d’un édit de persécution par Septime Sévère. D’après les témoignages tardifs de Jérôme, au Ve siècle, et de Grégoire de Tours, au VIe siècle, il serait mort martyr à cette occasion. BH