Rome veut 'désamorcer' la bombe du chemin synodal allemand
A Rome, on parle «désamorcer la bombe» du chemin synodal allemand: rarement une rencontre de haut niveau au Vatican n’a été aussi bien protégée que celle de fin juillet 2023 entre une délégation des évêques allemands et des représentants de la Curie romaine. Un tournant dans le débat se dessine-t-il?
Ludwig Ring-Eifel, cic / traduction adaptation Maurice Page
Le 26 juillet, cinq évêques allemands, sous la direction de leur président Georg Bätzing, et cinq représentants de la Curie ont discuté pendant environ trois heures de questions théologiques et de droit canonique controversées, sans être accompagnés par les médias, les facultés de théologie ou les groupes d’intérêt de l’Église.
Mise en œuvre des idées de réforme en accord avec l’Église universelle
La discussion s’est déroulée dans le cadre relativement intime de la «Sala Bologna» au Vatican. Un espace propice à une dispute académique et courtoise – contrairement à l’amphithéâtre de l’université des Augustins à côté du Vatican. Lors de la dernière visite ad limina des évêques allemands à Rome en novembre 2022, les dirigeants de la Curie y étaient assis en hauteur et de manière frontale. Ils s’étaient alors adressés en quelque sorte ex cathedra à la soixantaine d’évêques allemands rassemblés, qui avaient pris place dans l’amphithéâtre comme des étudiants.
Le dialogue dans ce nouveau format beaucoup plus réduit «cinq face à cinq» a permis de traiter de manière plus objective des points qui ne pouvaient pas être abordés dans un grand groupe. Il s’agissait notamment de questions liturgiques telles que la recherche de nouveaux formulaires de bénédiction ou de baptême, ainsi que de questions relatives à la formation des prêtres.
Les sujets brûlants comme l’ordination des femmes ou la création d’un conseil synodal national n’ont pas été abordés. L’essentiel était apparemment de savoir comment mettre en œuvre certaines idées de réforme allemandes de manière à ce qu’elles soient compatibles avec les règles de l’Église universelle.
Robert Prevost à la place de Marc Ouellet
Le changement de personnes à la tête de deux dicastère importants de la Curie était un autre élément remarquable de la rencontre. Ainsi le cardinal canadien Marc Ouellet, ancien préfet du Dicastère pour les évêques n’était plus là. En novembre, il avait encore provoqué un durcissement avec sa proposition de «moratoire» sur le chemin synodal ainsi qu’avec quelques formules assez acerbes. Le cardinal Ouellet percevait la large ouverture aux changements de la doctrine ecclésiale exigés par le chemin synodal comme une aberration de la part d’anciens compagnons de route spirituels tels que Mgr Bätzing, Mgr Ackermann ou Mgr Genn.
Son successeur, Mgr Robert Prevost, de l’ordre des Augustins, un Américain polyglotte avec des racines franco-italiennes et une grande expérience de l’Amérique latine, n’a jusqu’à présent, que peu de connaissances et de contacts de la théologie et la politique ecclésiale allemandes. Les participants l’ont décrit comme ouvert et sans préjugés.
Impartialité envers les Allemands
Le cardinal Luis Ladaria, préfet sortant du Dicastère pour la Doctrine de la foi, l’autre grand inquiet de novembre, était certes à nouveau présent, mais il n’a pas joué de rôle majeur. Son successeur nommé, l’Argentin Victor Fernandez, pourrait aborder d’une autre manière les demandes de réforme allemandes.
Car contrairement au jésuite Ladaria, qui a notamment étudié à Francfort, Victor Fernandez n’a eu jusqu’à présent que peu de points de contact avec la théologie allemande. Dans divers interviews, il a souligné qu’il voulait d’abord connaître les exigences du chemin synodal.
Découvrir le chemin synodal
De nouvelle occasions de dialogue devraient se présenter dans les mois à venir. Au Vatican, on n’exclut pas qu’une délégation de l’organisation faîtière des laïcs allemands ZdK vienne à Rome en septembre. Et lors du synode en octobre, Mgr Fernandez pourrait faire plus ample connaissance avec Thomas Söding, vice-président du ZdK, l’un des penseurs théologiques du chemin synodal. Thomas Söding participera en effet à la rencontre en tant qu’expert théologique officiel.
Le déroulement du synode pourrait fournir également des informations importantes sur la disposition au changement et la capacité de réforme d’autres parties de l’Eglise catholique mondiale et sur les limites de la tension entre les progressistes et les conservateurs.
La position à «l’extrême gauche» présente des avantages tactiques
Pour les réformateurs modérés autour de Mgr Fernandez et du pape François, le fait qu’il existe avec le chemin synodal allemand une position clairement visible à «l’extrême gauche» semble plutôt un avantage tactique. Comme ce chemin n’est pas susceptible de réunir une majorité au sein de l’Eglise universelle, Rome peut rejeter les revendications allant trop loin, comme l’ordination des femmes ou la démocratisation de l’élection des évêques. Tout en promouvant des compromis acceptables par les modérés des deux camps. Ainsi les exigences du chemin synodal allemand, même si elles ne sont pas explicitement nommées, joueront toujours un rôle lors du synode.
Les lettres des catholiques conservateurs ont un impact au Vatican
L’attention portée aux affaires allemandes ne s’explique pas uniquement par de telles considérations tactiques. Au Vatican, on est profondément inquiet face aux développements en Allemagne. Plus encore que la vague de départs de l’Eglise du quart de million de personnes qui cessent chaque année de payer leurs impôts ecclésiastiques, les réactions des catholiques conservateurs qui parviennent à Rome via la nonciature à Berlin provoquent l’inquiétude. Ces fidèles se plaignent de ne plus se sentir chez eux dans une Église qui, dans le sillage du chemin synodal, veut jeter par-dessus bord une partie de la morale et de la foi catholiques transmises de générations en générations.
Peur d’une division de l’Église en Allemagne
La crainte de voir apparaître des divisions non seulement entre les tenants du chemin synodal et le Vatican, mais aussi au sein-même de l’Eglise en Allemagne, est manifestement grande. Sentant ce danger, le pape François aurait donc ordonné d’intensifier le dialogue avec les évêques allemands afin de «désamorcer cette bombe». C’est du moins ce que l’on pouvait lire récemment dans le quotidien romain Il Messaggero. (cath.ch/cic/mp)