L’Histoire de l’élection des papes

Rome: Quelles sont les modalités pratiques de l’élection du pape?

Rome, 8 avril 2005 2005 (Apic) A l’heure des funérailles du pape Jean Paul II, vendredi, devant un parterre représentatif du monde entier, devant aussi des millions de pèlerins venus à Rome, sous les yeux aussi des centaines de millions de téléspectateurs de la planète, se pose déjà la succession de Jean Paul II. Avec quelles modalités pour l’élection? Celles- ci ont été décrites avec précision dans la constitution apostolique «Universi dominici gregis», promulguée par Jean Paul II le 22 février 1996.

Le matin du jour fixé pour le début de l’élection, entre quinze et vingt jours après la mort de Jean Paul II, les cardinaux vont se rassembler dans la basilique Saint-Pierre pour une messe solennelle célébrée à l’intention du conclave. Dans l’après-midi, ils revêtiront leurs habits de choeur et se rendront en procession dans la chapelle Sixtine en chantant en latin la prière du «Veni Creator». Ils seront accompagnés alors de quelques ecclésiastiques, parmi lesquels le secrétaire du collège des cardinaux qui est aussi secrétaire de la Congrégation pour les évêques, l’archevêque italien Mgr Francesco Monterisi -, deux cérémoniaires pontificaux, et le Maître des célébrations liturgiques pontificales, Mgr Piero Marini.

Dans la chapelle Sixtine, le doyen du collège, le cardinal allemand Joseph Ratzinger, lira à haute voix la formule du serment que tous les cardinaux doivent prêter et par lequel ils s’engagent à garder le secret total sur l’élection, à empêcher toute ingérence extérieure dans le processus et, s’ils sont élus, à exercer fidèlement la charge de «pasteur de l’Eglise universelle», s’ils l’acceptent. Les cardinaux ratifieront ensuite solennellement ce serment, la main posée sur l’Evangile, l’un après l’autre, selon l’ordre de préséance. Les cérémoniaires pontificaux leur distribueront alors deux ou trois bulletins de vote, papiers rectangulaires portant les mots imprimés: Eligo in Summum Pontificem suivis d’un espace blanc pour qu’ils puissent y inscrire le nom de leur choix. Enfin, en présence seulement du Maître des célébrations liturgiques, un ecclésiastique choisi à l’avance proposera aux cardinaux une méditation sur la gravité et la portée de l’élection. Puis il sortira à son tour avec Mgr Marini.

Portes fermées

Une fois les portes de la chapelle Sixtine fermées par le dernier des ’cardinaux diacres’ électeurs, les cardinaux commenceront par tirer au sort neuf d’entre eux, pour désigner trois scrutateurs, puis trois délégués – les ’infirmarii’, chargés d’aller recueillir les votes des éventuels cardinaux malades restés dans leur chambre -, et enfin trois réviseurs, chargés de vérifier le travail des scrutateurs, responsables quant à eux du dépouillement des bulletins de vote. Ces derniers se placeront près de l’autel de la chapelle, sous la fresque du Jugement Dernier de Michel-Ange.

Tous les cardinaux écriront alors à la main le nom de celui pour qui ils veulent voter, en prenant soin d’éviter que l’on puisse reconnaître leur écriture. Pliant et repliant leurs bulletins rectangulaires, ils iront ensuite un par un jusqu’à l’autel la main levée, toujours selon l’ordre de préséance. «Je prends à témoin le Christ Seigneur qui me jugera que je donne ma voix à celui que, selon Dieu, je juge devoir être élu», diront-ils alors à haute voix. Puis ils feront glisser leur bulletin, à l’aide d’un plateau, dans l’urne placée sur l’autel, avant de s’incliner devant l’autel et de regagner leur place. S’il y a des cardinaux retenus dans leur chambre par la maladie, les trois ’infirmarii’, qui auront voté parmi les premiers, se rendront auprès d’eux avec quelques bulletins et une boîte vide fermée à clef et munie d’une fente, pour recueillir leurs votes. A leur retour, la boîte sera ouverte par les scrutateurs, qui mettront dans l’urne les bulletins qu’elle contient.

Quand tous les cardinaux auront voté, l’un des scrutateurs agitera l’urne plusieurs fois pour mélanger les papiers, et un autre entreprendra d’en faire le compte, prenant ostensiblement chacun des bulletins pour les déposer dans un vase vide préparé à cet effet. Assis à une table placée devant l’autel, les trois scrutateurs se feront alors passer chaque bulletin, le troisième étant chargé de lire les noms à haute voix et de les noter au fur et à mesure. En même temps, il perforera les bulletins avec une aiguille et du fil, les enfilant les uns à la suite des autres pour qu’aucun ne se perde. A l’issue du dépouillement, les scrutateurs feront le compte des voix obtenues et en noteront les résultats sur une feuille séparée, puis les cardinaux réviseurs viendront vérifier tant les bulletins que les relevés des suffrages.

Le troisième jour

Les deux-tiers des voix des cardinaux présents au conclave sont nécessaires pour élire le pape, avec une voix supplémentaire dans le cas où leur nombre ne serait pas divisible par trois. Si tous les 117 cardinaux actuellement âgés de moins de 80 ans sont présents, c’est donc 78 voix qui seront exigées pour l’élection. Tant que ce ’score’ ne sera pas atteint, les cardinaux se réuniront deux fois par jour pour procéder chaque fois à deux scrutins. A la fin de chaque demi-journée, avant qu’ils ne quittent la chapelle Sixtine, les bulletins et leurs notes éventuelles seront brûlées sur place par les scrutateurs, avec l’aide du secrétaire du collège des cardinaux et des cérémoniaires, rappelés entre-temps. Et la fumée du feu qui les consumera, noircie grâce à une substance chimique particulière, indiquera aux observateurs extérieurs que le pape n’a pas encore été élu.

La coutume a été conservée pour impliquer symboliquement les Romains dans le processus de l’élection, en souvenir du temps ancien, avant le 11e siècle, où ils participaient au choix de leur évêque.

Dans la constitution Universi Dominici gregis, Jean Paul II a prévu, qu’après trois jours de votes sans résultat, une journée soit consacrée à la prière et à de libres échanges entre les électeurs. Les cardinaux voteront ensuite encore sept fois, avant une nouvelle interruption. Toutefois, après trois pauses de ce type, et donc environ douze jours de conclave, si les sept derniers scrutins ne donnent toujours aucun résultat décisif, les cardinaux devront alors décider à la majorité absolue de changer la manière de procéder. Près d’un mois après la mort de Jean Paul II, deux solutions se présenteront alors à eux : opter pour un vote à la majorité absolue des suffrages, ou bien prendre le parti de voter sur deux noms seulement, les deux ayant obtenu le plus de voix au scrutin précédent.

Quand le pape sera finalement élu, le dernier des cardinaux diacres appellera dans la chapelle Sixtine le secrétaire du collège des cardinaux et le Maître des célébrations liturgiques pontificales. Le cardinal Ratzinger, au nom de tout le collège, demandera officiellement au cardinal élu s’il accepte sa charge et quel nom il choisit. Après la réponse de ce dernier, les derniers bulletins brûlés produiront cette fois une fumée blanche, indiquant la clôture du conclave. Pendant que la foule se rassemblera sur la place Saint-Pierre, le nouveau pape revêtira les ornements pontificaux, trois habits blancs de tailles différentes ayant été préparés dans la sacristie de la chapelle Sixtine. Les cardinaux rendront alors hommage un par un au nouveau pontife, tout en lui promettant obéissance. Puis le premier des «cardinaux diacres», le cardinal chilien Jorge Arturo Estévez Medina, se rendra sur la loggia centrale de la basilique vaticane, et annoncera à tous, en latin, le nom du nouveau pape : Habemus papam dominum cardinalem…, qui sibi nomen imposuit…, avant que celui-ci n’apparaisse à son tour pour donner sa première bénédiction apostolique ’Urbi et Orbi’.

Qu’est-ce qu’un cardinal diacre, prêtre et évêque ?

Jusqu’au 11e siècle, ce sont les membres du clergé de Rome et les fidèles du diocèse qui intervenaient dans la nomination du pape. Le mot latin ’cardo, cardinis’ – qui signifie ’pivot’ ou ’gond’ – était donné aux membres du clergé romain qui, occupant un poste fixe, servaient en quelque sorte de pivot à la vie de leur diocèse. On distinguait ainsi les cardinaux- diacres et les cardinaux-prêtres. Au 8e siècle, les évêques des sept diocèses entourant Rome vinrent se joindre à eux pour l’élection du pape, et prirent alors le titre de cardinaux-évêques. Depuis 1059, les cardinaux sont les électeurs exclusifs du pape. Celui-ci, lorsqu’il nomme un cardinal, le nomme toujours titulaire soit de l’un des diocèses de la périphérie de Rome, soit de l’une des anciennes paroisses ou diaconie. Les cardinaux restent donc répartis en trois ordres, cardinaux-évêques, cardinaux-prêtres, et cardinaux-diacres, et ces titres honorifiques permettent d’établir entre eux un ordre de préséance.

D’un conclave italien à une élection internationale

Tout au long du siècle dernier, l’analyse du collège des cardinaux est aussi passée par l’appartenance géographique et nationale des électeurs. Pendant longtemps, la classification s’est faite entre cardinaux italiens et cardinaux «étrangers». Mais ces derniers n’ont pas toujours pu exprimer leur vote, à une époque où les transports internationaux étaient encore longs. Ceci donnait encore plus de poids aux représentants de la vieille Europe. Aujourd’hui, le Sacré collège s’est largement internationalisé et tous les cardinaux peuvent être à Rome en quelques heures. Les 117 électeurs (ou peut-être moins si certains venaient à se désister) qui vont entrer en conclave pour élire le nouveau pape proviennent des cinq continents et sont originaires de 53 pays différents.

En 1903, le Sacré collège comptait 64 cardinaux, tous électeurs – la règle des 80 ans fixant la limite d’âge au droit de vote au conclave a été fixée en 1974 par Paul VI – dont 39 Italiens. Mais ils ne sont que 62 à prendre part à l’élection. Le cardinal australien Patrick Francis Moran, archevêque de Sydney, n’avait pas pu arriver à temps pour prendre part à l’élection de Giuseppe Sarto, patriarche de Venise, qui prit le nom de Pie X.

Pour le conclave qui élit lu pape Benoît XV en 1914, les cardinaux étaient au nombre de 65, dont 34 Italiens. Mais là encore, seul 57 d’entre eux purent voter. Les cardinaux archevêques de Boston, Baltimore et Québec arrivèrent trop tard à Rome et cinq autre cardinaux étaient malades dont l’archevêque de Chambéry, Virgile Dubillard et le cardinal Giuseppe Prisco, archevêque de Naples.

Lors du conclave suivant en 1922, le sacré collège comptait 61 cardinaux. Mais l’archevêque de Tolède mourut le 23 janvier, jour de la fermeture du conclave. Une nouvelle fois les cardinaux nord-américains arrivèrent trop tard dans la Ville éternelle, ainsi que le cardinal Herrera y de la Iglesia, archevêque de Rio de Janeiro. Ils seront donc 53 à voter, dont 31 Italiens. Ils élirent le cardinal archevêque de Milan, Achille Ratti, qui prit le nom de Pie XI.

Pour l’élection de Pie XII en 1939, sur 62 cardinaux on comptait 34 Italiens et sept cardinaux non-européens. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, 9 % des électeurs du pape étaient originaires d’Amérique latine et 4 % d’Océanie. Cette fois, tout les cardinaux d’Amérique du Nord entrèrent au conclave, ainsi que les cardinaux de Buenos Aires et de Rio de Janeiro. C’est aussi la première fois que l’Eglise maronite était présente au sacré collège, avec le patriarche d’Antioche des syriens, le cardinal Ignace-Gabriel I Tappouni.

C’est sous Pie XII que les Italiens ont perdu la majorité absolue lors d’une élection pontificale. Ainsi en 1958 pour l’élection de Jean XXIII, sur 55 cardinaux, les Italiens étaient 17 et 15 cardinaux n’étaient pas européens, dont deux Argentins, trois Brésiliens, un Equatorien, un Colombien et pour la première fois un représentant du Mozambique, de Cuba, l’archevêque de Pékin, le cardinal Thomas Tien-Ken-Sin, et le cardinal archevêque de Bombay en Inde.

Le premier cardinal noir en conclave

Mais en pleine guerre froide, le cardinal archevêque de Esztergom en Hongrie, Jozsef Mindszenty ne put se rendre à Rome. Suite à la persécution du régime communiste, il s’était réfugié à l’ambassade américaine à Budapest. De même, le maréchal Tito avait mis le cardinal archevêque de Zagreb, Alojzije Stepinac, en résidence surveillée. Enfin, deux décès brutaux au cours de la vacance du siège apostolique, celle du cardinal italien Celso Costantini, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et celle du cardinal Edward Mooney, archevêque de Detroit, trois heures avant la fermeture du conclave, firent que les cardinaux qui prirent part au vote étaient 51.

Il a fallu attendre 1963 pour qu’un cardinal noir rentre en conclave. Le Tanzanien, Laurean Rugambwa avait été créé cardinal par Jean XXIII en 1960. Les cardinaux non européens représentaient alors 21 % des 82 cardinaux du Sacré collège. Mais une nouvelle fois, ils n’ont été que 80 à prendre part à l’élection de Paul VI. L’archevêque de Quito en Equateur, âgé de 90 ans, n’avait pas pu effectuer le voyage et l’archevêque de Esztergom en Hongrie demeurait sous la protection de l’ambassade américaine.

C’est justement sous le pape Montini que les Italiens ne représentèrent plus le 1/3 du sacré collège nécessaire au contrôle de toute élection. Lors du premier conclave de 1978, pour la première fois, la règle des 80 ans écartaient 15 cardinaux de l’élection. Le mauvais état de santé de trois autres et la mort du cardinal Paul Yü Pin, archevêque de Nankin en Chine, avant le début du conclave fait qu’ils ont été 111 à voter. Parmi les cardinaux électeurs 12 étaient africains, 17 représentaient l’Amérique latine, 12 étaient asiatiques et 6 océaniens. Les non-européens représentaient alors 37 % du corps électoral. Pour la première fois un représentant de l’Eglise copte d’Egypte, le patriarche d’Alexandrie Stéphanos I Sidarouss participait à l’élection du pape.

Au second conclave de 1978, les Européens représentaient encore 45,8 % du corps électoral du sacré collège. A la mort de Jean-Paul Ier, il y avait 112 cardinaux susceptibles d’entrer en conclave. La mort du cardinal polonais Boleslaw Filipiak le 14 octobre 1978 fit qu’ils furent 111 cardinaux à voter et 109 à élire Karol Wojtyla.

Pour Magali

Et même un non cardinal

Les cardinaux-électeurs de moins de 80 ans en conclave pour élire le successeur du pape Jean Paul II pourraient effectivement désigner pape un cardinal non présent. Chose tout à fait envisageable, avec un cardinal âgé de plus de 80 ans, donc absent du conclave pour raison d’âge. Cette démarche semble pourtant bien improbable. Une telle élection pourrait aussi être envisagée pour un cardinal-électeur absent du conclave pour raison de santé par exemple. Tout aussi possible pourrait être une élection pour un «simple» évêque, un moine ou autre. Hypothèse inimaginable aujourd’hui, certes, mais qui fut pourtant bien réelle avec l’élection de Grégoire le Grand, moine bénédictin, élu 64e pape entre 534 à 604, avec aussi Celestin V, de son nom Pietro Morrone, ermite italien élu pape en 1284. Il demeurera cinq mois sur le trône de Pierre, d’août à décembre. (apic/hy/ar/ami/pr)

8 avril 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 10  min.
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