De la Chine au Vatican

Rome: Entretien avec Pierre Morel, nouvel ambassadeur de France auprès du Saint-Siège.

Propos recueillis pur APIC à Rome par Antoine Soubrier, I.Media

Rome 24 juin 2002 (APIC) Le nouvel ambassadeur de France auprès du Saint- Siège, Pierre Morel, sera reçu le 27 juin par Jean Paul II pour lui présenter, comme le veut le protocole, ses lettres de créances. Fêtant son 58ème anniversaire le même jour, cet ancien ambassadeur de France en Chine débutera sa nouvelle mission auprès du plus petit Etat du monde.

Dans son grand bureau feutré de la Villa Bonaparte, assis sous les portraits du président français Jacques Chirac et du cardinal de Polignac, cet homme d’allure imposante et sympathique a accepté de présenter son travail à l’APIC.

APIC: De la Chine au Saint-Siège, votre mission d’ambassadeur de France va prendre une nouvelle forme ?

Pierre Morel: La mission d’ambassadeur auprès du Saint-Siège est en effet très différente de celle auprès d’une nation «normale». Dans un grand pays, une ambassade est une machine complexe, où vous arrivent des centaines de dossiers, où vous devez vous charger de négociations économiques et sociales. Ici, l’équipe est plus restreinte et l’organisation matérielle est moins pesante. Les outils de travail sont ainsi différents, mais les perspectives restent les mêmes. Même si l’on n’aborde pas directement des questions de politique, on les inclut et on les déborde. Au moment de quitter la Chine, mes amis étaient intrigués de me voir partir pour Rome : du plus grand Etat au monde, je passais en effet au plus petit ! Mais je leur rappelais que l’Eglise catholique a quand même la charge de plus d’un milliard d’âmes, donc quasiment autant que les habitants de la Chine ! Ce nouveau travail est donc très stimulant et j’en suis heureux.

APIC: Qu’est-ce qui fait du Saint-Siège un Etat «différent» des autres, selon vous ?

P.M.: Ce qui me frappe avant tout, c’est la dimension de la personne humaine, que l’on retrouve dans tous les bureaux de la curie romaine. Je l’ai découvert ces derniers jours en prenant contact avec les autorités vaticanes. Une grande partie de mon travail consistera en échanges et en rencontres. Les visites d’arrivée sont d’ailleurs ici, je l’avoue, plus intéressantes qu’ailleurs.

Un autre aspect caractéristique du Saint-Siège, est qu’il se fonde sur la tradition de l’Eglise, qui est elle-même propagatrice d’une parole. Elle s’appuie donc sur des textes qui se réfèrent souvent eux-mêmes à d’autres documents d’une époque précédente. Cette partie du travail est fascinante ! Enfin, sur le plan mondial, cette institution est un ensemble extraordinairement multinational, voire même transnational. C’est un endroit où se croisent toutes les civilisations et qui constitue un pôle de la vie internationale. Paul VI avait raison lorsqu’il qualifiait l’Eglise «d’experte en humanité» !

APIC: Avez-vous déjà eu l’occasion de connaître la diplomatie du Saint- Siège lors de vos précédents postes ?

P.M.: Mon premier contact avec les diplomates du Saint-Siège a eu lieu en 1973 à Helsinki, à l’occasion de la Conférence sur la sécurité européenne (la future OSCE, ndlr). Dès le départ, le Saint-Siège était là et j’ai rapidement compris que l’Eglise avait pris conscience de l’importance de cette rencontre historique, et qu’elle voulait faire part de sa position, par l’intermédiaire de son représentant, à l’époque Mgr Achille Silvestrini. L’arrivée d’un pape originaire d’Europe de l’Est, quelques années plus tard, et les conséquences qui en ont découlé, ont confirmé le rôle de l’Eglise dans les transformations de l’Europe.

En 1990, alors que je représentais la France au comité préparatoire du sommet de Paris de la CSCE, le Saint-Siège était toujours présent. J’ai alors eu l’occasion de travailler quotidiennement avec la délégation vaticane, constatant à nouveau sur le terrain que l’Eglise avait son approche spécifique. J’ai eu d’autres occasions de rencontrer ces représentants du Saint-Siège.

A la fin des années 80, au moment où j’étais ambassadeur de France pour les négociations sur le désarmement chimique à Genève, j’ai souhaité rencontrer le cardinal Agostino Casaroli, en mesurant bien que les implications de cette Convention étaient très techniques. Mais j’estimais qu’elles méritaient d’être bien comprises par le Saint-Siège qui pouvait nous être d’un grand soutien.

La dernière mission du Vatican que j’ai eu l’occasion d’observer de près, a été celle du cardinal Roger Etchegaray, en Chine, en septembre 2000. Je l’avais rencontré à plusieurs reprises et j’ai été heureux de le revoir à Pékin.

APIC: Vous avez travaillé à deux reprises en Russie, la première fois en tant que conseiller d’ambassade en URSS, de 1976 à 1979, puis comme ambassadeur en Russie, de 1992 à 1994. Comment voyez-vous la situation actuelle des relations entre Rome et Moscou ?

P.M.: Je sais à quel point le pape met en valeur les deux grandes traditions spirituelles de l’Europe et combien il voudrait que soient surmontées les divisions. Je ne peux pas en dire plus pour le moment, mais je sais que j’aurai l’occasion d’aborder ce sujet ici.

APIC: Quels sont vos prochains objectifs comme ambassadeur de France près le Saint-Siège ?

P.M.: Ceux que me donnent mes autorités ! C’est-à-dire suivre attentivement toutes les initiatives de l’Eglise et veiller au bon développement des relations entre la République française et le Saint-Siège pour avancer dans la voie d’un échange le plus ouvert et le plus fructueux possible. C’est un besoin ressenti par les deux parties. L’enracinement dans le passé est en effet très profond, mais l’essentiel du travail est bien prospectif ! La rencontre du 12 février dernier à Paris entre les autorités religieuses et le premier ministre, a montré les attentes et l’ambition des Français. Mon travail va donc consister à saisir toutes les occasions de coopérations actives, que ce soit sur le mode classique ou selon les problèmes nouveaux de nos sociétés comme l’environnement, l’immigration ou la bioéthique.

L’ambassade de France près le Saint-Siège est également chargée de soutenir la présence culturelle de notre pays à Rome. Pour cela, nous gérons le centre Saint-Louis de France, établi par Jacques Maritain de façon très vivante et qui s’est développé au cours des années, de manières diverses, bien sûr, mais ayant toujours pour objectif de s’ouvrir à toutes les formes de réflexion et d’expression.

Il me revient enfin de gérer la Congrégation des Pieux établissements de la France à Rome et à Lorette, qui comprend en particulier cinq églises françaises et quelques immeubles. Je viens d’inaugurer une magnifique exposition sur le 5ème centenaire de la Trinité des Monts, l’une des plus célèbres et pourtant méconnue. C’est pourquoi j’encourage vivement les Français qui viendront cet été à Rome à la visiter ! (sh)

Encadré

Biographie succincte de Pierre Morel

Né le 27 juin 1944 dans la Drôme, en France, Pierre Morel est aujourd’hui marié et père de trois enfants. Après avoir été diplômé de l’Institut d’études politiques, il est entré à l’Ecole nationale d’administration, en 1969. Il commence alors sa carrière de diplomate au ministère des Affaires étrangères. En 1976, il est envoyé comme premier secrétaire puis comme deuxième conseiller d’ambassade en URSS, où il restera trois ans. Revenu en France en 1979, il est chargé de mission au cabinet du président de la République, de 1981 à 1985. Il enchaîne avec une carrière d’ambassadeur, envoyé notamment en Russie, en Géorgie et en Chine. (sh)

Encadré

La Trinité des Monts, 500 ans d’histoire de la présence française à Rome

«Trinité des Monts, redécouverte» est le programme de l’exposition qui se déroule tout l’été dans l’un des monuments symboliques de la présence française à Rome, le couvent de la Trinité des Monts, fondé par les rois de France au début du 16ème siècle. L’occasion de «découvrir» des trésors cachés du couvent habité successivement par les Minimes, des artistes et, depuis le début du 19ème siècle, par les religieuses du Sacré-Coeur, toujours présentes aujourd’hui.

C’est sur la colline du Pincio, sur les hauteurs de la Ville éternelle, que l’ermite saint François de Paule, appelé au chevet du roi Louis XI, obtint de pouvoir construire un monastère pour l’ordre des Minimes en remerciement. C’est alors que va surgir, dès 1502, l’église gothique, tout d’abord, puis le couvent, coeurs d’une vie spirituelle, artistique et scientifique intense.

En témoignent une série de peintures murales : la galerie des portraits des rois de France peinte dans le cloître, une fantastique horloge solaire, un réfectoire en ’trompe-l’oeil’ ­ décoré par le jésuite Andréa Pozzo -, la «chambre des ruines» ­ peinte par Clérisseau -, ou encore la plus grande anamorphose au monde.

Longue de 18 mètres, celle-ci a été peinte sur le mur d’un couloir conduisant aux cellules. Elle représente, vu de face, le détroit de Messine avec maints détails de paysage. Mais au fur et à mesure que le visiteur s’éloigne en direction d’une des deux extrémités du chef-d’oeuvre, il découvre une représentation grandeur nature de saint François de Paule priant sous un arbre. «Derrière les apparences, se cachent souvent un message spirituel», explique Yves Bruley, commissaire de l’exposition. «En proposant aux visiteurs de découvrir l’histoire de la Trinité-des-Monts, on veut leur faire vivre l’histoire hors du commun de ces frères Minimes».

A la Révolution, le couvent est mis à sac et les Minimes sont dispersés. Le complexe religieux voisin de la célèbre Villa Médicis va alors être occupé par des artistes, parmi lesquels Ingres, Granet et Pinelli. Quelques années plus tard, en 1828, ce sont les religieuses du Sacré-Coeur, Congrégation fondée par sainte Madeleine-Sophie Barat, qui sont choisies pour occuper les lieux. Elles s’attachent alors à leur principale mission : l’éducation des jeunes filles. Aujourd’hui, elles sont toujours là, ayant la charge d’une maternelle et d’un collège mixtes, ainsi que d’un centre d’accueil pour les pèlerins français.

L’exposition, qui présente au total une centaine d’oeuvres retraçant la riche histoire de ce monastère royal français à Rome, est ouverte jusqu’au 8 septembre 2002 (apic/imedia/sh)

24 juin 2002 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 7 min.
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