Rencontre avec Mgr Borys Gudziak, évêque des gréco-catholiques de Paris

«Depuis sa sortie des catacombes, l’Eglise gréco-catholique en Ukraine vit une véritable résurrection»

Fribourg, 6 novembre 2013 (Apic) «L’Eglise gréco-catholique ukrainienne compte à nouveau près de 3’000 prêtres et quelque 800 séminaristes, pour 5 ou six millions de fidèles, qui vivent pour la plupart en Ukraine occidentale… Depuis sa re-légalisation en 1989, notre Eglise, interdite sur ordre de Staline en 1946, vit une véritable résurrection», témoigne Mgr Borys Gudziak.

Premier éparque (évêque) de l’éparchie Saint Vladimir-le-Grand de Paris des Byzantins-Ukrainiens, Mgr Borys Gudziak a été ordonné évêque le 26 août 2012 par Mgr Sviatoslav Schevchuk, archevêque majeur de Kiev des gréco-catholiques. Il est également délégué pour la Belgique, les Pays-Bas, le Grand-Duché de Luxembourg et la Suisse. L’Apic l’a interviewé lors de son passage à Fribourg le 31 octobre 2013, où il rencontrait notamment Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg.

Alors que l’Ukraine s’acheminait vers son indépendance, proclamée en août 1991 suite à la dissolution de l’Union soviétique, l’Eglise gréco-catholique ukrainienne (EGCU) sortait des catacombes après des décennies de persécution. Lors de sa reconnaissance légale en 1989, elle ne comptait plus que 300 prêtres, soit dix fois moins qu’en 1939. Elle avait été intégrée de force dans l’Eglise orthodoxe du Patriarcat de Moscou en 1946, lors du pseudo «Synode de Lvov».

Une Eglise officiellement «liquidée» sur ordre de Staline

Si elle était officiellement «liquidée» après l’envoi au goulag de toute la hiérarchie ecclésiale et de ceux des prêtres qui avaient refusé la «conversion» obligatoire à l’Eglise orthodoxe russe, l’EGCU allait cependant subsister dans la clandestinité durant plus de 40 ans, témoigne Mgr Gudziak. Nommé en 2012 exarque apostolique pour les Ukrainiens catholiques de rite byzantin de France, il est depuis 2013 évêque du diocèse de Paris pour les fidèles gréco-catholiques ukrainiens.

En Ukraine, l’Eglise gréco-catholique (que dans le passé on appelait «uniate», du fait que cette Eglise de rite byzantin s’est unie à Rome par l’Union de Brest en 1596) a été l’un des maillons les plus forts de la résistance contre le régime soviétique. Elle lutte encore aujourd’hui pour éradiquer la mentalité de «l’homo sovieticus» qui persiste dans certains secteurs de la société ukrainienne. Finalement, le rétablissement de la liberté religieuse en URSS aboutira à la légalisation de l’EGCU le 1er décembre 1989.

Américain d’origine ukrainienne

L’évêque d’origine ukrainienne âgé de 53 ans, né à Syracuse, dans l’Etat de New York, s’est installé en Ukraine en 1992. Il a fondé à Lviv, capitale de la Galicie, un Institut d’histoire de l’Eglise, qui a recueilli de nombreux témoignages de survivants du goulag. Il a participé en 1994 à la réouverture de l’Académie de théologie de Lviv.

Cette Académie de théologie gréco-catholique fondée en 1928-1929 par le métropolite Andrej Sheptytskyj et dirigée alors par le Père Josyf Slipyj, premier recteur de l’Académie, avait dû fermer ses portes en 1944.

Mgr Gudziak, ordonné prêtre en 1998, devient en l’an 2000 le nouveau recteur de l’Académie de théologie. Deux ans plus tard, selon le vœu du patriarche Slipyj, fondateur de l’Université catholique ukrainienne à Rome en 1963, il transforme l’Académie en Université catholique d’Ukraine (UCU), dont il a été recteur jusqu’en 2012. Depuis sa renaissance officielle le 26 juin 2002, l’UCU est la seule université catholique sur tout le territoire de l’ex-URSS.

S’exprimant de préférence en anglais – car il ne maîtrise pas encore parfaitement le français – cet ancien doctorant d’Harvard, spécialisé en études slaves et byzantines, reconnaît que l’Université catholique d’Ukraine, avec ses 1’600 étudiants, n’est qu’un îlot au milieu du monde académique de l’Ukraine, qui compte près de 180 universités et autant d’académies et d’instituts.

Contribuer à humaniser la société et à élaborer une nouvelle synthèse chrétienne

«Ouverte aux non catholiques, stimulant le dialogue oecuménique en Ukraine, l’importance de l’UCU est davantage spirituelle que quantitative. Nous entamons actuellement une nouvelle étape du christianisme, après les temps de persécution féroce que nous avons vécus et la période de la modernité. Nous vivons désormais dans un monde postmoderne. Dans cette étape de l’histoire, nous devons contribuer, grâce au travail de notre Université, à humaniser la société et à élaborer une nouvelle synthèse chrétienne. Il s’agit de repenser ce que doit être l’Université du XXIe siècle!».

Mgr Borys Gudziak, qui reste président de l’UCU, se rend chaque mois en Ukraine, où il est également membre du Synode permanent de l’Eglise gréco-catholique ukrainienne, qui compte 5 évêques. Son Eglise, qui ordonne prêtres des hommes mariés, dispose en Ukraine d’un clergé jeune, dont l’âge moyen ne dépasse pas 40 ans. Un certain nombre d’entre eux se mettent au service de la diaspora ukrainienne dans le monde, qui manque de prêtres.

Cet évêque né aux Etats-Unis, qui ne cache pas ses sympathies pour la «Révolution orange» – dont il relève qu’elle est loin d’être morte – redoute de nouvelles pressions contre les libertés civiles et contre son Eglise. Ces pressions se sont intensifiées sous le gouvernement de Viktor Ianoukovitch, l’actuel président ukrainien réputé prorusse. «De son côté, Moscou considère toujours que la question de l”uniatisme’ reste toujours un gros problème, parlant même d”anomalie historique’…» JB

Encadré

Un Américain à Paris

Mgr Borys Gudziak a été nommé en 2013 premier éparque (évêque) de l’éparchie Saint Vladimir-le-Grand de Paris des Byzantins-Ukrainiens, du nom du Prince de Kiev qui a accueilli le christianisme en 988. L’Eglise catholique ukrainienne de rite byzantin est devenue ainsi la troisième éparchie pour les Eglises orientales présentes en France, après les éparchies pour les Arméniens catholiques et pour les Maronites.

L’EGCU compte en Ukraine neuf éparchies (diocèses) rassemblant cinq à six millions de fidèles. Pour le million d’autres vivant en diaspora à travers le monde, elle dispose de diocèses au Canada, Etats-Unis, Brésil, Argentine, Pologne, France, Grande-Bretagne et Australie. Elle est surtout implantée en Ukraine occidentale (en Galicie, notamment dans les villes principales de Lviv, Ivano-Frankivsk et Ternopil). Cette région de l’Ukraine était sous domination polonaise dans l’entre-deux-guerres. Depuis le Concile de Vatican II, la langue liturgique de l’EGCU est l’ukrainien, bien que l’ancien slavon ait survécu dans certains chants.

Elle partage la tradition byzantine avec les Eglises orthodoxes (rite, vénération des icônes, des saints et des Pères de l’Eglise d’Orient, chant liturgique byzantin, calendrier liturgique décalé de 13 jours par rapport au calendrier latin).

Bien qu’ayant un grand degré d’autonomie depuis l’Union de Brest-Litovsk en 1596, l’Eglise catholique ukrainienne de rite byzantin constitue une partie intégrante de l’Eglise catholique universelle, pleinement en communion avec le siège apostolique de Rome. JB

Encadré

Une Eglise presque anéantie sous Staline, forcée à la clandestinité

En 1946, le clergé grec-catholique a été intégré de force à l’Eglise orthodoxe du Patriarcat de Moscou. Cette Eglise catholique de rite byzantin, présente essentiellement en Ukraine occidentale, était unie à Rome depuis 1596. Quelque 200 prêtres se rallièrent alors à l’Eglise orthodoxe russe lors du pseudo «Synode de Lvov», tandis que la hiérarchie ecclésiale et les prêtres refusant la «conversion» obligatoire à l’orthodoxie furent déportés et internés au goulag. L’Eglise grecque-catholique continua sa vie dans la clandestinité et fut relégalisée à la chute du communisme dans l’ancienne Union soviétique.

Encadré

Chrétiens d’Ukraine partagés entre orthodoxes, catholiques et protestants

Plus de 97% des communautés religieuses actuellement enregistrées en Ukraine sont des communautés chrétiennes. Environ la moitié de ces communautés sont de tradition orthodoxe. L’autre moitié est répartie entre catholiques et protestants.

Il existe trois grandes juridictions orthodoxes en Ukraine:

– Eglise orthodoxe d’Ukraine (Patriarcat de Kiev)

– Eglise orthodoxe d’Ukraine (Patriarcat de Moscou)

– Eglise orthodoxe autocéphale ukrainienne

Trois églises catholiques sont présentes en Ukraine:

– Eglise gréco-catholique ukrainienne

– Eglise catholique romaine

– Eglise catholique arménienne

L’Eglise apostolique arménienne est également présente en Ukraine, ainsi que plusieurs Eglises protestantes. En Ukraine vivent également des communautés juives et musulmanes. Les mouvements religieux non traditionnels et les nouveaux mouvements religieux, comme les Témoins de Jéhovah, la Fraternité Blanche, les Mormons, le bouddhisme, et les communautés néo-païennes, sont en constante augmentation. (apic/be)

6 novembre 2013 | 14:54
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
Partagez!