Traité illustré de dévotion à la Sainte Vierge | © Musée gruérien
Suisse

Réformes: Et Fribourg resta catholique

Alors que la Réforme protestante avait gagné de nombreux cantons suisses, Fribourg décida de rester catholique. Le Musée gruérien, à Bulle, offre jusqu’au 17 septembre 2023 une plongée dans cette histoire passionnante au travers de livres des bibliothèques des capucins, d’oeuvres d’art et d’objets de dévotion.

La première vitrine de l’exposition du Musée gruérien présente deux ouvrages phares de la bibliothèques des capucins: le premier La mer des histoires, un incunable imprimé à Paris en 1488, présente une chronique médiévale racontant les âges du monde avec une carte dont le centre est Jérusalem. Le second La Chine illustrée datant de 1670 du jésuite hollandais Anasthasius Kircher montre une carte fort détaillée de l’empire du milieu, avec ses côtes, ses îles et ses ports. Les deux siècles qui les séparent marquent le passage au monde moderne et constituent l’âge d’or de la réforme catholique.   

Simone de Reyff a conçu l’exposition du Musée gruérien | © Maurice Page

«Nous avons tenu à mettre un ‘s’ à Réformes, dans le titre de l’exposition, car la Réforme protestante et la réforme catholique qui la suit ont, en fin de compte, un fonctionnement très similaire. Elles marquent toutes deux l’avènement du monde moderne, au sens historique du terme», relève Simone de Reyff, conceptrice de l’exposition.

Un panorama de la culture

Frontispice de «La Chine illustrée» du jésuite Anasthasius Kircher, 1671 | domaine public

Le fait que Fribourg resta catholique eut évidemment une influence majeure sur son évolution et son développement, mais l’image longtemps véhiculée d’une citadelle catholique coupée du reste du monde et végétant dans une religion désuette doit sérieusement être remise en question.

L’exposition du Musée bullois révèle un élan religieux, intellectuel, culturel et artistique remarquable. A travers les livres rassemblés dans les bibliothèques des capucins de Fribourg, Bulle et Romont, les oeuvres d’art et les objets de dévotion, le visiteur découvre un monde dont l’influence a perduré jusqu’au XXe siècle.

«En nous intéressant aux bibliothèques des capucins, nous avons un bon panorama des ouvrages qui circulaient dans la société fribourgeoise entre le XVIe et le XIXe siècle», note Simone de Reyff. En effet ces bibliothèques se sont constituées essentiellement par des dons et des legs provenant du clergé et des grandes familles. Aux livres religieux, s’ajoutent des ouvrages d’histoire de géographie, de sciences, de médecine…

Un christianisme moderne

La réforme catholique comme la protestante résultent de la même volonté des autorités ecclésiales et politiques. Elles sont l’expression d’un christianisme moderne qui apparaît avec l’émergence de la notion de l’individu. «Pour faire simple, elles vont diverger sur trois points essentiels: le rôle du pape, l’Eucharistie et le culte de la Vierge et des saints», commente Simone de Reyff.

Vierge à l’Enfant de Jean-François Reyff Musée gruérien | © Jean-Baptiste Morel

Comme l’illustre l’exposition, cette réforme catholique peut être lue comme une vaste entreprise de communication. Elle est destinée à encourager l’adhésion des populations au catholicisme, en mettant l’accent sur le secours de la Vierge et des saints. Elle utilise des techniques proches de celle la communication actuelle en faisant appel non seulement à la raison, mais aussi à l’émotion et aux sentiments.

Fribourg ne reste pas à l’écart

Au début du XVIe siècle Fribourg n’est pas du tout à l’écart du vaste courant réformateur qui secoue l’Europe. Dès 1522, un an après l’excommunication de Luther, elle impose à ses citoyens les premières professions de foi catholique qui sont lues dans les églises et auxquelles les fidèles sont tenus de jurer fidélité. Le font-ils par adhésion personnelle ou par soumission à l’autorité? La question reste ouverte.

Le prédicateur conservateur Konrad Treger, prieur des Augustins (du même ordre que Luther NDLR), aura une influence décisive au sein du Petit Conseil. Le chapitre collégial reconnu par le pape en 1512 et tenu par des membres des familles gouvernantes ne veut pas briser le lien avec Rome. Au-delà de la question religieuse, la dimension économique n’est pas non plus absente, car Fribourg n’envisage pas de renoncer au service mercenaire à l’étranger qui lui apporte de solides revenus.

Si Fribourg connaît quelques procès pour hérésie, la répression restera ‘modérée’. Elle n’ira pas jusqu’aux exécutions et aux bûchers. On se contente d’amendes, de confiscation des biens et de bannissement. Les exclus se rendront le plus souvent à Berne, passée à la Réforme en 1528. Mais les deux villes ne remettront pas en cause leur traité de combourgeoisie.

Des grandes figures

Pierre Wuilleret, La Prédication de Pierre Canisius, 1635, Collège Saint-Michel, Fribourg

Dans les années 1580, les trois figures du jésuite Pierre Canisius et des prévôts Peter Schneuwly et Sébastien Werro appliquent avec zèle les décrets du Concile de Trente (1545-1563), notamment à travers la création du collège St-Michel et la publication de catéchismes. Sous leur impulsion l’imprimerie s’installe à Fribourg. Leur rayonnement dépasse largement la cité de la Sarine. En développant un catéchisme questions-réponses en trois versions, une pour les clercs et les lettrés, une pour les adultes et une pour les enfants, Pierre Canisius use d’une pédagogie si efficace que le terme de ‘Canisius’ restera longtemps synonyme de catéchisme.

Les capucins, ordre franciscain réformé fondé en 1528, sont appelés à Fribourg en 1617 et à Bulle en 1665. Avec les jésuites, ils apporteront une contribution majeure au mouvement de la réforme catholique. Leur rôle très actif dans la prédication populaire se manifeste par la diffusion de recueils de sermons qui circulent dans tout le monde francophone et qui remplissent les étagères des bibliothèques conventuelles.  

Rendre visible l’invisible

Afin de rendre visible l’invisible, la réforme catholique remet au premier plan la pratique du pèlerinage, notamment celui de Notre-Dame de Compassion à Bulle, dont le musée gruérien est aujourd’hui le voisin direct. Le paysage se couvre d’églises, de chapelles, d’oratoires, de croix de chemins qui sacralisent l’espace. Les processions se multiplient.

Les jésuites développent la pratique du Rosaire, par le texte, mais surtout par l’image. En 1680, ils reconstruisent la chapelle de Posat dans le style d’une église urbaine et la dotent d’un grand cycle des 15 mystères du Rosaire malheureusement vendu ensuite par la paroisse mais dont le tableau de la résurrection a rejoint l’exposition gruérienne en provenance de Rottweil, en Allemagne, où il est aujourd’hui conservé.

Le culte de la Vierge et des saints, aboli par le protestantisme, représente un vecteur particulièrement efficace de la foi catholique. Leurs figures se multiplient à l’infini sur des statues, des peintures, des images imprimées, dans des livres, dans des prières et des chansons, des vies romancées ou des pièces de théâtre.

Consacrée en 1647, la chapelle de Lorette, dominant la ville est un emblème de la réforme catholique à Fribourg | © Maurice Page

Ces images créées par les meilleurs artistes de l’époque, souvent au-delà des frontières helvétiques, envahissent l’espace des églises, mais pénètrent aussi largement dans les maisons, grâce aux reproductions imprimées colorisées.

Confréries et congrégations

La multiplication des confréries et des congrégations est un autre élément-clé de la réforme catholique, rappelle Simone de Reyff. Il y en a pour tous, hommes et femmes, jeunes et vieux, ouvriers et paysans, étudiants, riches et pauvres, en suivant le modèle de la congrégation mariale fondée par Pierre Canisius. Une des vitrines présente quelques-un de leurs ‘livres de comptes’ qui recensent méticuleusement non seulement les membres mais aussi leurs bonnes actions, le nombre de messes et prières, le montant des aumônes etc. «Cette notion comptable est typique aussi de la modernité de l’époque. On veut pouvoir désormais mesurer les efforts et les résultats», souligne la conceptrice.

La procession de la Fête-Dieu à Bulle | © Musée Gruérien, Fonds Glasson

Volonté de contrôle social

On retrouve par là, comme dans le monde protestant, une volonté conjointe des autorités ecclésiales et civiles d’un contrôle social visant à éradiquer les déviances. Chez les catholiques, elle se concrétise aussi par la pratique de la confession. Un confessionnal récemment démonté dans une église fribourgeoise et exposé à Bulle conserve à côté du siège du prêtre un petit boulier lui servant à compter ses confessions! Les confesseurs s’aident de manuels de confession recensant les péchés, mais aussi de traités de casuistique chers à la tradition jésuite. Les visites pastorales de l’évêque et les missions paroissiales des capucins menées à périodicité régulière complètent le dispositif.

Si la controverse avec les protestants est bien présente, elle n’occupe pas une place majeure. D’abord assez modérée, elle se renforcera dans un ton beaucoup plus agressif aux XVIIIe et XIXe siècle remarque Simone de Reyff.

L’exposition se complète avec une sélection de photographies du fonds Glasson qui illustrent la persistance de ce modèle au moins jusqu’à la moitié du XXe siècle. (cath.ch/mp)

«La Somme des péchez et le remède d’icieux» de Jean Benedicti

Avec les amis de la Bibliothèque cantonale universitaire
L’exposition qui reflète l’histoire et la richesse culturelle du canton de Fribourg a été réalisée en étroite collaboration avec les Amis de la BCU qui avait monté une première exposition de 2021 aux cordeliers, à Fribourg. Les éléments rassemblés à l’époque ont été complétés par de nombreux objets appartenant aux fonds du Musée gruérien. Elle se complète d’une série de conférences et de visites guidées. MP

Traité illustré de dévotion à la Sainte Vierge | © Musée gruérien
1 mai 2023 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 6  min.
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