Rapport Sauvé: un apport important pour l’étude des abus sexuels
Si le chiffre de 330’000 victimes d’abus sexuels au sein de l’Eglise catholique en France, entre 1950 et 2020, a suscité l’effarement, il ne pourrait bien être que l’arbre qui cache la forêt. Les données du rapport de la Ciase, publié le 5 octobre 2021 dépassent en fait largement le cercle de l’Eglise en France.
Maurice Page
En parallèle à ses recherches propres, la commission Sauvé a commandé à une équipe de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) une enquête réalisée par internet auprès d’un échantillon de 28’000 personnes, à fin 2020. Cette enquête ›en population générale’ permet d’estimer le nombre de personnes ayant subi des violences sexuelles, non seulement au sein de l’Église catholique, mais dans l’ensemble de la société, familles, proches, institutions publiques et privées.
Des résultats effrayants
Les données récoltées extrapolées sur l’ensemble de la population donnent des résultats effrayants. Peu de chercheurs n’avaient jusqu’à présent envisagé une telle ampleur du phénomène des abus sexuels en France.
3,9 millions de femmes et 1,5 million d’hommes, c’est-à-dire près de 5,5 millions de personnes ont ainsi subi des agressions sexuelles pendant leur minorité, relève le rapport de la Ciase (& 0577). Le pourcentage global des victimes est extrêmement élevé:14,5% des femmes et de 6,4% des hommes.
6% des cas dans le cadre ecclésial pour 330’000 victimes
Toujours à partir des données de l’enquête,il ressort que 0,17% des femmes et 0,69% des hommes ont été agressés sexuellement pendant leur minorité par des clercs et des religieux ou religieuses catholiques. Dans l’ensemble, 6% des cas d’abus ont eu lieu dans le cadre ecclésial d’où un nombre de victimes estimé à 330’000.
La pointe émergée de l’icerberg?
Dans son rapport, la Ciase s’interroge longuement sur l’énorme écart entre les résultats de cette enquête de l’Inserm et les données récoltées par elle-même, au travers des signalements reçus, des auditions de témoins et des recherches d’archives ecclésiales et judiciaires.
Elle avance plusieurs hypothèses d’explications. Ne sont repérés dans les archives que les faits portés à la connaissance de l’Église ou de la justice, et qui ont fait l’objet d’une documentation. Il ne s’agit donc que d’une petite minorité. D’après l’enquête générale, seules 4% des victimes ont informé un représentant de l’Église des violences subies. (0570)
Tout chercheur s’intéressant aux violences sait en outre que des écarts majeurs existent entre les chiffres réels, les chiffres déclarés et les condamnations judiciaires. (0571). Forte de cette conviction, la commission s’avance avec prudence sur le terrain du dénombrement des victimes et des auteurs d’agressions sexuelles.
Pas seulement les prêtres
Les violences sexuelles dans l’Église ne sont pas, contrairement aux idées reçues, l’apanage des seuls clercs, religieux et religieuses, relève d’abord la Ciase (0586). Ils sont certes responsables de 65,4% des agressions au sein de l’Église; mais les laïcs sont, quant à eux, à l’origine de 34,6% des agressions, soit plus d’un tiers. 6,8% des enfants agressés par une personne en lien avec l’Église l’ont été par une femme. (0610)
Un nombre d’agresseurs difficile à établir
La commission se garde de se prononcer sur le point de savoir quel est, pour l’Église, le plus grave des constats: un pourcentage élevé de prêtres et de religieux ayant commis de manière occasionnelle un petit nombre d’agressions ou un pourcentage réduit de grands prédateurs qu’elle aurait, par absence de vigilance, laissé agresser un très grand nombre de victimes, par exemple plus de 100, au cours d’une carrière ecclésiastique. (0583)
La Ciase reste très prudente face à ces deux hypothèses extrêmement difficiles à étayer. Déterminer un nombre d’agresseurs en partant du nombre de victimes établies par l’enquête ›de population générale’ n’est pas fiable.
A partir de ses recherches auprès des diocèses, des congrégations et des archives judiciaires, la Ciase a établi une fourchette de 2’900 à 3’200 agresseurs. Cela signifierait que le nombre de victimes par auteur homme s’élèverait à 63. Un nombre très élevé, au regard de ce que révèlent les études médicales et psychiatriques et les enquêtes d’autres pays. On considère habituellement plutôt un ratio de 2 à 3 victimes par agresseur. (0587).
Parfois jusqu’à 150 victimes
On sait néanmoins que le nombre de victimes d’un pédocriminel peut parfois être extrêmement élevé et atteindre 150, à l’image de Bernard Preynat, à Lyon, ou de Joël Allaz, en Suisse. Ce qui rejoint l’expérience acquise par des membres de la CIASE qui ont retrouvé sur plusieurs décennies la trace des méfaits commis par un même prêtre sur de nombreux enfants, dans des lieux et des ministères différents (0588).
Le rapport présente trois hypothèses correspondant à 2,8%, 5%, et 7% d’agresseurs parmi les prêtres et religieux, ce qui donnerait respectivement 3’200, 5’800 et 8’100 auteurs environ. À chacune correspond un nombre de victimes moyen par agresseur de 63, 35 et 25. (0608)
En conclusion, la commission estime qu’un taux de 3 % de prêtres et de religieux auteurs de violences sexuelles sur mineurs constitue un plancher et une base de comparaison pertinente avec les pays étrangers. (0612)
L’Eglise plus touchée que l’école et le sport
Autre révélation importante du rapport Sauvé: après la famille et les proches, l’Église catholique est, proportionnellement, le premier milieu concerné par les violences sexuelles sur mineurs. (0616). Elle devance ainsi assez nettement l’école, le sport ou la culture.
La CIASE invalide ainsi la thèse «relativiste» selon laquelle la situation propre à l’Église catholique n’aurait été que le reflet des moeurs du temps. (0614) 1,2% des personnes ayant pratiqué des activités liées à l’Église dans l’enfance (scoutisme, mouvement de jeunesse, catéchisme, aumônerie, établissement scolaire ou internat) déclarent avoir subi une agression de la part d’une personne en lien avec l’Église. Cette proportion se réduit à 0,82% si l’on se limite aux membres du clergé.
Deux fois plus de garçons que de filles
La Ciase souligne que dans le cadre ecclésial (contrairement à celui de la famille), les garçons sont presque deux fois plus agressés que les filles. Selon l’Inserm, il y aurait là surtout un effet d’opportunité. Durant au moins la moitié de la période concernée, les institutions ecclésiales (internats, écoles, enfants de choeur, scouts) n’étaient pas mixtes et les prêtres s’occupaient surtout des garçons. La Ciase n’évoque qu’en termes excessivement prudents la question de la pédérastie ou de l’attirance homosexuelle: «on ne saurait non plus exclure que la prévalence des abus sexuels dans l’Église catholique soit liée à la présence en son sein de profils psychologiques atypiques, portés sur cette paraphilie particulière qu’est l’inclination sexuelle vers les enfants de sexe masculin.»
32% de viols
Les actes perpétrés dans un cadre ecclésial, souvent euphémisés sous les termes de «gestes déplacés» ou de «difficultés avec les enfants», ne se distinguent pas significativement de celles commises par d’autres types d’agresseurs. Dans l’enquête réalisée de l’Inserm générale, pour les personnes mineures agressées par un clerc ou un religieux, 32% des violences sexuelles sont des viols. En revanche, les agressions sexuelles commises par des clercs se distinguent en ceci qu’elles sont bien plus souvent des violences répétées que celles commises par d’autres types d’agresseurs. (0625)
La Ciase admet clairement que des travaux ultérieurs permettront de corroborer ou d’infléchir ces résultats. (cath.ch/mp)
L'Église de France ébranlée par le rapport Sauvé
Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels (Ciase) présidée par Jean-Marc Sauvé, a été publié le 5 octobre 2021, après un peu moins de trois ans d’enquête. Les chiffres font état de 3'000 prêtres ou religieux abuseurs qui auraient fait plus de 300'000 victimes en 70 ans. Les évêques disent «leur honte» et leur détermination à mettre en œuvre les orientations et les décisions nécessaires «afin qu’un tel scandale ne puisse se reproduire».