Rapport McCarrick: l'Eglise catholique «a failli dans sa tâche»
Le rapport McCarrick «montre clairement que l’Eglise a totalement failli dans sa tâche», a affirmé le Père jésuite Thomas J. Reese, éditorialiste pour le site américain Religion News Service (RNS) le 10 novembre 2020.
Interrogés par l’agence I.MEDIA, le Père Reese, ancien rédacteur en chef de la revue jésuite America, le Père Hans Zollner, spécialiste des questions d’abus, et l’essayiste américain Rod Dreher, ont insisté sur la responsabilité de Jean Paul II, mise en lumière par le rapport du Saint-Siège.
La responsabilité de Jean Paul II
La publication du rapport McCarrick le 10 novembre 2020 par le Saint-Siège est une démarche sans précédent, a déclaré à I.MEDIA le Père Zollner, directeur du Centre pour la protection de l’enfance de l’Université pontificale grégorienne de Rome.
Les 445 pages qui le composent décrivent avec minutie la façon dont l’Eglise a favorisé l’ascension de l’ex-cardinal McCarrick, malgré les accusations d’abus sexuels sur des séminaristes et jeunes prêtres dans les années 80-90 qui pesaient sur lui.
«La chose la plus difficile à accepter est la culpabilité de Jean Paul II»
Si ce rapport «montre clairement que l’Eglise a totalement failli dans sa tâche», a affirmé à I.MEDIA le Père Thomas J. Reese, il souligne aussi le «vrai échec de Jean Paul II». Le fait que l’ancien pontife ne «puisse pas croire» les accusations contre l’archevêque McCarrick, comme cela avait été le cas pour le Père [Marcial] Maciel [fondateur des légionnaires du Christ et responsable de très nombreux abus au sein de sa communauté, ndlr] parce qu’ils étaient «ses amis» et qu’ils faisaient «du très bon travail pour l’Eglise» a été sa faiblesse, analyse-t-il.
«La chose la plus difficile à accepter est la culpabilité de Jean Paul II – mais nous devons le faire», considère aussi l’essayiste américain Rod Dreher. Ce rapport confirme selon lui que le pontife polonais était «aveugle à la corruption des évêques et des prêtres».
Jean Paul II a ignoré les avertissements du cardinal John O’Connor
Ce qui est choquant, insiste l’écrivain américain, «c’est que le cardinal John O’Connor, archevêque de New York, l’un des cardinaux les plus conservateurs et les plus respectés de l’époque, a personnellement mis en garde le pape contre McCarrick – mais Jean Paul II l’a ignoré». Pour autant, Rod Dreher ne croit pas «une seule seconde que le saint pape ait été malveillant». Ce qui ne signifie pas, nuance-t-il, «qu’il est sans culpabilité», car c’est son «profond cléricalisme» qui a «gravement blessé l’Eglise».
Ce qui a poussé le pape polonais à l’erreur
Le Père Zollner, expert sur les questions d’abus, a pour sa part souligné les éléments explicatifs apportés par le rapport pour éclairer la décision du pape polonais, à commencer par le manque de témoignages présentés à l’époque: «il y avait des rumeurs, des accusations, mais pas de preuves claires».
«McCarrick a juré que tout était faux. C’était la voix d’un évêque», analyse le prêtre allemand, soulignant de plus qu’il y avait un fait culturel propre à l’origine polonaise de Jean Paul II, qui avait connu auparavant les fausses accusations montées par le régime communiste contre les prêtres. «Toutes ces combinaisons ont peut-être porté Jean Paul II à faire quelque chose qui était une erreur», conclut-il.
Corruption profonde et complexe
Plus généralement, le rapport révèle une corruption «profonde et complexe au sein de la hiérarchie de l’Eglise», affirme pour sa part Rod Dreher, qui fut un des premiers à alerter sur l’aveuglement de l’Eglise dans l’affaire McCarrick dès 2002. L’éditorialiste du site The American Conservative affirme pour sa part qu’il ne s’agit pas que d’un problème interne, mais aussi d’un véritable système de protection au sein de l’institution.
Il déclare avoir été renseigné sur l’affaire McCarrick dès 2002, mais que ses sources semblaient trop effrayées par les conséquences pour pouvoir parler. Deux d’entre elles s’étaient rendues à Rome auparavant pour avertir des agissements du haut prélat afin d’empêcher sa nomination. «S’ils avaient trouvé le courage [de parler publiquement de l’affaire], cela aurait peut-être fait une différence. L’échec du courage ici n’est pas seulement dû à la hiérarchie», analyse-t-il.
«Le courage des victimes» a permis ce rapport
«C’est le courage et la détermination des victimes qui a permis que ce rapport sorte», souligne pour sa part le Père Zollner. L’obstacle principal aux révélations a été l’»ambiance de cléricalisme» et «d’entre-soi» que décrit le rapport, par exemple «cet évêque du New Jersey […] qui savait à ce moment-là ou d’autres qui savaient mais qui n’ont pas dit la vérité lorsqu’il ont été interrogés».
Le Père Reese souligne combien ce rapport rend compte d’une «présomption d’innocence en faveur du clerc» systématique dans le cas des abus de pouvoir. Le cas des abus sur majeurs, reconnaît-il, était un phénomène totalement ignoré à l’époque aux Etats-Unis, alors que la hiérarchie catholique était particulièrement alertée sur les questions de pédophilie. «Le Vatican n’a condamné McCarrick que quand il a reçu une plainte impliquant un mineur», fait encore remarquer le journaliste jésuite.
Rod Dreher déplore pour sa part l’absence totale de compassion pour les victimes qu’on observe au plus haut niveau dans l’ensemble du rapport. «Comme souvent dans l’Eglise, les seules ‘vraies’ personnes étaient les cardinaux et les évêques; les ‘petites gens’ – enfants, familles, séminaristes – étaient des abstractions». (cath.ch/imedia/cd/cg/be)
Le rapport McCarrick
Le Vatican a rendu public le 10 novembre 2020 le «Rapport sur la connaissance institutionnelle et le processus décisionnaire du Saint-Siège concernant l’ex-cardinal Theodore Edgar McCarrick (1930-2017)». Selon la demande du pape François en 2018, il s'agissait de faire la lumière sur la manière dont l’ex-cardinal McCarrick a pu gravir les échelons dans l’Eglise catholique, sans jamais être inquiété, malgré les nombreux abus sexuels qu'il a commis au cours de sa carrière.