Le pape Jean Paul II, ici lors de sa visite en Suisse en juin 2004, avait repoussé au maximum les limites de la maladie | KEYSTONE/AP Photo/Heribert Proepper
Vatican

Qui dirige l’Église catholique quand le pape n'en est plus capable?

Qui gouverne le Saint-Siège quand le pape ne peut plus gouverner? La question a resurgi au moment ou le pape François a été hospitalisé pour une opération au côlon. Le Vatican étant une monarchie gouvernée par un souverain élu à vie, la question de sa santé est particulièrement sensible.

Camille Dalmas I.MEDIA

Le pape François se remet sereinement de son opération et devrait reprendre sa mission prochainement. Même si sa vie n’a pas été en danger, cet épisode fait resurgir une question récurrente ces dernières années, et pour l’heure toujours irrésolue: qui dirige l’Église catholique quand le pape n’en est plus capable?

Quand un pape meurt, les choses sont très claires d’un point de vue canonique: le pouvoir est confié, pendant la période de vacance, à un camerlingue. Ce dernier, choisi au préalable par le pontife, prend alors en charge les affaires courantes jusqu’à l’élection du nouveau pape. Aujourd’hui, si le pape François venait à mourir, ce serait le cardinal américain Kevin Farrell, actuel camerlingue, qui tiendrait, pendant quelques jours, les rênes du plus petit État du monde.

Vatican: la basilique St-Pierre dans la brume matinale | © Grégory Roth

Mais le droit canon ne prévoit pas tout. Il existe une zone grise à partir du moment où le pape rentre à l’hôpital. Dans le cas présent, le Souverain pontife est pleinement conscient et la question de la gouvernance ne se pose pas: rien ne change. «Le pape reste le pape même à l’hôpital», confie à I.MEDIA un canoniste qui a travaillé sur la question au plus au niveau et préfère rester anonyme.

L’impossible «empêchement» d’un pape

Mais que se passerait-il dans le cas où un pontife se retrouverait par exemple dans le coma ou souffrirait d’une incapacité mentale chronique de gouverner? Que faire si le pape devenait physiquement ou mentalement incapable de gouverner, mais aussi de renoncer? Le pape «est le seul à pouvoir renoncer librement à son pouvoir», précise le canoniste.

Comme le rappelle le site jésuite America, le droit canonique prévoit un motif d’ «empêchement» pour les évêques, qui permet de leur retirer la responsabilité de leur diocèse en cas de «captivité, bannissement, exil ou incapacité». C’est alors l’évêque auxiliaire ou le vicaire général qui prend la tête du diocèse en attendant qu’un successeur soit nommé. Si on appliquait ce canon au cas du pape en considérant qu’il est évêque de Rome, cela signifierait que ce serait son vicaire pour le diocèse, actuellement le cardinal Angelo De Donatis, qui devrait prendre le relais. 

Cependant, l’évêque de Rome n’est pas un évêque comme les autres, comme l’indique le canon 335. Celui-ci prévoit le cas où le Saint-Siège se trouve «vacant ou entièrement empêché». Cependant, dans une telle situation, «rien ne doit être entrepris de nouveau dans le gouvernement de l’Église tout entière».

La question de l’incapacité de gouverner d’un pape est en fait une véritable lacune dans le droit canon, reconnaît le canoniste. «Théoriquement, on ne dispose pas des critères pour empêcher un pape en incapacité de gouverner». Résultat: si la situation se présentait, le juriste devrait interpréter les rares éléments existants afin de trouver une solution. 

Cette aporie a embarrassé plusieurs prédécesseurs du pape François, en particulier les papes venant après la Seconde Guerre mondiale – la raison principale étant l’augmentation significative de leur durée de vie du fait des progrès effectués par la médecine. Cependant, l’incapacité médicale ne fut pas la seule éventualité envisagée par un pontife.

Pie XII: «Ils emmèneront le cardinal Pacelli, pas le pape»

Se souvenant sans doute des enlèvements dramatiques des papes Pie VI et Pie VII pendant la Révolution française, Pie XII envisagea la question de l’incapacité de gouverner. Enfermé dans le Vatican pendant la Seconde guerre mondiale, le pontife avait en effet pris très au sérieux le risque qu’il courrait face à la menace nazie. 

Le pape Pie XII a régné de 1939 à 1958 | domaine public

Selon son Secrétaire d’État, le cardinal Domenico Tardini, le pape avait mis en place des contre-mesures précises dans le cas où le IIIe Reich en venait à le viser directement. Il aurait notamment préparé une lettre dans laquelle il déclarait sa démission, donnant des instructions pour que les cardinaux élisent son successeur. «S’ils me kidnappent, aurait affirmé le pape, ils emmèneront le cardinal Pacelli, mais pas le pape», aurait-il déclaré. 

Les précautions de Pie XII étaient loin d’être superflues. En effet, quand Mussolini, sous la pression des Alliés, fut renversé par la population italienne en 1943, les Allemands échafaudèrent pendant un temps un plan de représailles pour enlever et assassiner le chef de l’Église catholique.

La lettre de Paul VI

Le bienheureux pape Paul VI (Photo: vatican.va)

L’historien Roberto Rusconi rapporte que la question de l’incapacité a aussi été envisagée par son successeur, Jean XXIII. Le «bon pape» s’était interrogé pendant son pontificat sur la possibilité de renoncer à cause de son état de santé précaire, mis à mal par la lourde tâche du Concile Vatican II. 

Le pape suivant, Paul VI, avait pour sa part publiquement écarté la possibilité d’une renonciation. Néanmoins, en 1965, il écrivit plusieurs lettres au doyen du Collège cardinalice dans lesquelles il évoquait la possibilité, dans le cas où il se trouverait dans le coma, ou serait frappé de démence, de pouvoir être empêché et remplacé, après un nouveau conclave, par un autre pape. 

Ces lettres n’ont cependant pas valeur légale, même si elles font partie du «magistère informel» de l’ancien pontife, explique le canoniste interrogé par I.MEDIA. Cette correspondance a été exhumée bien après sa mort, mais rien ne permet de penser qu’elle aurait permis d’enclencher une phase de vacance si le pape italien s’était trouvé dans une situation d’incapacité.

Le projet de canon de Benoît XVI

Le pape le plus travaillé par cette possibilité fut Benoît XVI. En 2005, le pontife allemand était sorti très marqué par la longue maladie de Jean Paul II pendant les dernières années de son pontificat. Au plus près du pouvoir, il fut témoin de cette période d’instabilité, notamment du point de vue de la gouvernance de l’Église, ce qui le décida à imaginer des réponses.

Il aurait demandé au cardinal Julian Herranz, alors président du Conseil pontifical pour les textes législatifs, de rédiger un canon pour combler le vide juridique. Un tâche qui fut menée à bout, et prévoyait que l’empêchement pourrait être décidé par le Collège cardinalice, sur convocation de son doyen. Selon ce projet, après avoir mené une enquête et consulté notamment des experts médicaux, les cardinaux seraient en droit de mettre solennellement fin au pontificat et d’ouvrir la période traditionnelle de vacance du pouvoir en vue d’un conclave.

Le pape émérite Benoît XVI (Photo: flickr/catholicism/CC BY-NC-SA 2.0)

Cependant, le canon, bien que présenté au chef de l’Église catholique à l’époque, n’a jamais été promulgué. Benoît XVI n’en a cependant pas eu besoin: il a en effet trouvé une autre réponse à la question qu’il se posait. Parce qu’il craignait d’être en incapacité de gouverner du fait de sa santé fragile, le 265e pape a finalement décidé, à la stupeur générale, de renoncer préventivement au ministère pétrinien en 2013.

Toujours en vie huit ans après, le pontife émérite a récemment confié qu’il ne pensait pas vivre aussi longtemps au moment de sa renonciation. Dans un entretien récent avec son biographe Peter Seewald, il a confirmé que c’était bien la question de sa santé – notamment son incapacité à effectuer de longs voyages, en particulier les JMJ prévus au Brésil pendant l’été 2013 – qui l’avait décidé à mettre fin à son pontificat.

La «renonciation préventive» de Benoît XVI est un moyen détourné de répondre à l’aporie juridique que représente une situation d’incapacité pour un pontife. Le vide juridique reste irrésolu, confirme le professeur de droit canon. « Si une telle situation venait à arriver, on serait en terrain inconnu », conclut-il. (cath.ch/imedia/cd/mp)

Une question bien réelle

L’incapacité à gouverner d’un chef religieux est loin d’être une question uniquement théorique. A mi-octobre 2014, le patriarcat arménien de Constantinople à Istanbul, avait révélé que son patriarche Mesrob II Mutafyan, âgé de 58 ans souffrait depuis cinq ans de la maladie d’Alzheimer et qu’il était maintenu en vie par des instruments assurant la respiration et l’alimentation artificielle. L’état d’inconscience dans lequel était plongé s’est prolongé jusqu’à sa mort en 2019.
Durant dix ans la communauté arménienne de Turquie a mené un débat, parfois déchirant, sur la possible succession du patriarche. Certains soutenaient la nécessité urgente d’élire un co-patriarche avec la plénitude des fonctions, d’autres défendaient les règles en vigueur selon lesquelles il n’était possible de procéder à l’élection d’un nouveau patriarche qu’après la mort de son prédécesseur. Après moult péripéties, les arméniens apostoliques de Constantinople ont élu, le 11 décembre 2019, leur 85e patriarche en la personne de l’archevêque Sahak Mashalyan.

Le pape Jean Paul II, ici lors de sa visite en Suisse en juin 2004, avait repoussé au maximum les limites de la maladie | KEYSTONE/AP Photo/Heribert Proepper
13 juillet 2021 | 17:00
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 6  min.
Maladie (49), pape (583), souverain absolu (1)
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