Quels liens entre l’Église et «l’affaire Bétharram» qui menace François Bayrou?
Le Premier ministre français François Bayrou est mis en cause pour n’avoir pas agi contre des violences, notamment sexuelles, commises dans l’école catholique de Notre-Dame de Bétharram (Pyrénées-Atlantiques) depuis les années 1950. Mais de quelle façon l’Église catholique est-elle impliquée dans cette affaire? Explications.
François Bayrou était-il au courant des agissements criminels qui se sont déroulés dans l’établissement Notre-Dame de Bétharram? La question est brûlante actuellement en France, prenant des allures d’affaire d’État. Médiapart est à présent le fer de lance des accusations contre le Premier ministre. Le média présente depuis quelques jours des éléments censés démontrer que François Bayrou ne pouvait qu’avoir eu connaissance des rumeurs sur des violences physiques et sexuelles qui se déroulaient dans cette école. Cela alors qu’il occupait dans des postes clés qui lui auraient permis d’agir de façon décisive face à cette situation. L’actuel Premier ministre a en effet été, pendant la période concernée, Maire de la ville de Pau, la préfecture du département des Pyrénées-Atlantiques, ministre de l’Éducation nationale, mais également parent d’élèves. Plusieurs de ses enfants ont en effet été scolarisés dans l’établissement.
Une centaine de plaintes
Si le dénouement de l’histoire est encore inconnu, l’affaire met en avant un nouveau scandale lié à l’Église. Fondé en 1837 sous le nom d’Institution Notre-Dame de Bétharram, l’institut a été renommé Le Beau Rameau en 2009. Historiquement, il a été géré par la congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus de Bétharram, une congrégation catholique. Il s’agit toujours aujourd’hui d’un établissement scolaire catholique privé.
L’établissement scolaire avait fait l’objet de plaintes dès 1996. Un ancien directeur de Notre-Dame de Bétharram, le Père Pierre Silviet-Carricart, membre de la congrégation de Bétharram, avait notamment été visé par deux accusations d’agressions sexuelles, relate le quotidien La Croix. Le religieux avait mis fin à ses jours en 2000.
L’affaire a commencé à être révélée publiquement en octobre 2023, lorsque des anciens élèves ont témoigné de sévices subis. Ces témoignages ont conduit à une série de plaintes déposées auprès des autorités judiciaires. Les faits dénoncés s’étendent sur plusieurs décennies, depuis les années 1950 jusqu’aux années 2010. À ce jour, plus de 100 plaintes ont été déposées, impliquant une vingtaine d’agresseurs présumés, à la fois des religieux et des laïcs. Le parquet de Pau a ouvert une enquête début 2024.
Climat de violences
Une seule personne encore en fonction dans l’établissement est concernée par les accusations. Il s’agit d’un surveillant laïc, qui a été écarté par la direction le 14 février 2024. Dans le détail, neuf religieux sont incriminés, dont huit pour violences sexuelles, révèle le communiqué de presse du collectif de victimes de Bétharram.
Les accusations vont de sévices psychologiques et physiques à des attouchements, des fellations et des viols. Un système de punitions corporelles et de violence aurait perduré dans l’établissement au moins jusqu’au début des années 2000. Si la grande majorité des cas sont prescrits, une accusation de viol remontant à 1996 incriminant un religieux pourrait faire l’objet d’une procédure pénale.
La question se pose aujourd’hui d’une dissimulation à grande échelle, impliquant aussi bien la direction de l’établissement que des notables locaux qui auraient fait en sorte que les affaires ne s’ébruitent pas. C’est dans ce contexte que se pose la question de la responsabilité de François Bayrou.
L’évêque choqué
Si l’aspect systémique des abus n’a pas encore été démontré, des craintes émergent quant à l’existence de victimes supplémentaires dans d’autres lieux. Alain Esquerre, porte-parole des victimes, redoute ainsi que «là où les prêtres qui ont dirigé Bétharram sont passés par la suite, il y ait eu d’autres agressions sexuelles». La congrégation est aujourd’hui implantée dans une quinzaine de pays, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Les Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus de Bétharram forment un institut de vie consacrée catholique fondée en 1832 à Bétharram, situé à quelques kilomètres de Lourdes, par Michel Garicoïts.
La congrégation a fait savoir qu’elle se tenait à la disposition de la justice, de même que les responsables de l’établissement, qui ont en outre fait part de «leur volonté de se porter partie civile». Du côté des autorités ecclésiales, Mgr Marc Aillet, évêque de Lescar, Oloron et Bayonne, avait reconnu en février 2024 la plausibilité des faits au vu du nombre de plaintes. «Dans notre diocèse comme dans l’ensemble du pays, les catholiques et l’opinion sont, à juste titre, terriblement choqués par ces révélations, comme je le suis moi-même, toujours solidaire des victimes que nous devons porter dans la prière», avait encore déclaré le prélat (cath.ch/cx/ag/arch/rz)