Quelle signification du synode allemand pour la Suisse?
Le théologien zurichois Daniel Kosch, ancien secrétaire général de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ), espère que les impulsions du chemin synodal allemand inspireront également la Suisse. Il fait part de ses réflexions en tant qu’observateur étranger de la démarche allemande qui s’est terminée le 11 mars 2023 à Francfort.
Raphael Rauch, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
A Francfort, la dominicaine suisse Scholastika Jurt a attiré l’attention avec ses interventions pertinentes. Qu’en avez-vous pensé?
Daniel Kosch: J’ai été très heureux que le chemin synodal fasse appel à une religieuse suisse, en tant que conseillère. Comme d’autres religieuses, elle incarne pour moi une forme moderne du christianisme, empreinte d’une profonde spiritualité, d’une orientation claire vers l’Évangile et d’un flair certain pour les signes des temps.
Quel est selon vous la plus grande réussite du processus allemand?
A mon avis, les résultats les plus importants sont les trois textes de base clairement acceptés issus des forums synodaux sur les thèmes du pouvoir, des femmes et de la sexualité, ainsi que le texte d’orientation général sur les fondements théologiques de l’ensemble du chemin synodal.
«L’échec du texte sur la sexualité est sans aucun doute le principal point négatif»
Ces textes sont d’une qualité théologique et d’un discernement remarquables. Ils ont reçu à chaque fois, tout comme les textes d’action, l’approbation de plus de deux tiers de l’assemblée, de deux tiers des évêques et de deux tiers des femmes et des membres non-binaires. La forme et la procédure du chemin synodal allemand peuvent être considérées comme un modèle de réussite. Il apparaît sans conteste que ce modèle doit être développé.
Et la plus grande insatisfaction?
Au niveau des résultats obtenus, l’échec du texte de base sur la sexualité, faute d’une majorité des deux tiers des évêques, est sans aucun doute le principal point négatif. Non seulement parce que le résultat du vote a provoqué une crise profonde, mais aussi parce que c’est l’échec d’un texte de base directement lié aux réalités concrètes vécues par des membres de l’Eglise.
«Peut-être qu’avec plus de temps et d’autres formats de consultation, il aurait été possible de sonder encore plus précisément les limites de ce qui peut être ou non approuvé»
L’Assemblée en a toutefois tiré des enseignements, de sorte que le concept souvent un peu facile de la «crise vécue comme une opportunité» s’est révélé dans ce cas justifié. De plus, des aspects importants ont été intégrés dans le texte d’action sur la gestion de la diversité des sexes, qui ont ainsi été inclus dans le document final.
De nombreuses propositions ont cependant été édulcorées afin de gagner des majorités…
Il ne s’agit pas d’une défaite à proprement parler, mais d’un grave problème: en raison de l’asymétrie des pouvoirs, l’accord de la majorité nécessaire des évêques n’a pu être obtenu qu’au prix d’un édulcoration parfois considérable des textes. C’est ainsi que certaines demandes se sont transformées en «ordres d’examiner la question».
Ainsi, le vote en faveur de l’admission des femmes à l’ensemble du ministère sacramentel a été affaibli. On souhaite l’admission au diaconat, et en ce qui concerne l’ordination des femmes, on demande seulement de clarifier si l’enseignement du pape lie infailliblement l’Église. Peut-être qu’avec plus de temps et d’autres formats de consultation, il aurait été possible de sonder encore plus précisément les limites de ce qui peut être ou non approuvé.
Certains disent que l’outing collectif d’ecclésiastiques LGBT dans le documentaire d’ARD «Out in Church» a eu plus d’impact que le processus synodal…
Je vois les choses un peu différemment: il y a eu une interaction positive entre la démarche «Out in Church» et le chemin synodal. Les deux processus ont profité l’un de l’autre, se sont soutenus mutuellement et ont ainsi créé les conditions pour des décisions de la Conférence des évêques allant dans ce sens.
Les évêques allemands ont modifié leurs règlements d’embauche. En Suisse, les évêques n’ont pas encore pu se résoudre à franchir le pas. Les corporations ecclésiastiques peuvent-elles, doivent-elles, faire davantage pression dans ce domaine?
«Faire pression» n’est, à mon avis, pas le terme approprié. Il s’agit de faire un travail de persuasion. Car en fin de compte, l’enjeu est pour l’Église de changer d’attitude par respect pour la diversité des modes de vie, des identités sexuelles et des histoires de vie de tous les êtres humains, ainsi que des agents pastoraux.
«Il s’agit plutôt de reconnaître que le célibat en tant que mode de vie ne peut réussir que s’il est librement choisi»
C’est là que s’accomplit très concrètement la promesse biblique selon laquelle la vérité rend libre et non la pression qui cherche à imposer. Bien entendu, les collectivités peuvent et doivent rappeler que les Eglises reconnues de droit public sont liées aux droits fondamentaux et donc à l’interdiction de discrimination.
Pourquoi les évêques suisses ne demandent-ils pas au pape une dispense du célibat obligatoire – en se référant au Synode amazonien?
Vous devriez poser cette question aux évêques. J’ai toutefois retenu de la discussion sur le texte d’action correspondant du chemin synodal qu’il n’est pas question de «dispense» et donc de «réglementations d’exception». Il s’agit plutôt de reconnaître de manière positive que le célibat en tant que mode de vie ne peut réussir que s’il est librement choisi. Le charisme du célibat gagnerait en luminosité et en caractère de témoignage s’il n’était plus une condition ou un prix pour l’ordination sacerdotale. Le célibat ne serait donc pas affaibli comme on pourrait le craindre, mais renforcé.
La Suisse n’est pas l’Allemagne. Dans quelle mesure les catholiques de Suisse peuvent-ils malgré tout se référer aux textes du chemin allemand et aller de l’avant?
Je recommande à tous, qu’ils souhaitent des réformes et trouvent la voie synodale bonne, ou qu’ils soient critiques à l’égard du projet, de lire aussi impartialement et attentivement que possible les textes adoptés par le chemin synodal. Ce n’est pas une tâche facile, mais qui en vaut la peine.
Et cela aide à réfléchir à ce que signifie concrètement «aller de l’avant». Car il ne s’agit pas de réformer pour réformer, mais de remettre l’Église «en forme», c’est-à-dire de la réformer au sens littéral et non confessionnel du terme!
«La synodalité a besoin d’un caractère obligatoire»
Le travail théologique réalisé dans le cadre du chemin synodal a notamment rappelé que pour clarifier ce qui est de l’ordre des «temps» aujourd’hui, les sources traditionnelles que sont la Bible, la tradition, le magistère ne sont pas les seuls lieux de connaissance importants. Il y a aussi les signes des temps et le sens de la foi du peuple de Dieu.
Quelles étapes innovantes pourraient être franchies en Suisse – en s’inspirant du chemin allemand?
A mon avis, quatre leçons peuvent être tirées pour la Suisse des expériences synodale en Allemagne. Premièrement, la synodalité a besoin d’un caractère obligatoire ainsi que d’espaces et de processus dans lesquels elle peut être expérimentée et développée concrètement.
Deuxièmement, les processus synodaux doivent se pencher sur des foyers de crise et des défis importants et conduire à des orientations pour l’avenir. Cela nécessite une concentration thématique, une compétence théologique et une focalisation sur des résultats contraignants. Les événements synodaux ponctuels et la synodalité comme activité secondaire n’apportent pas grand-chose.
«Il s’agit d’apprendre des expériences faites en Allemagne et ailleurs, mais pas de les copier»
Troisièmement: parce que les grandes questions sont majoritairement des questions communes et parce qu’il s’agit aussi de visibilité et de transparence, le niveau national est important pour les projets synodaux. Cela vaut également pour la Suisse, malgré la diversité linguistique et culturelle.
Quatrièmement, la synodalité est toujours contextuelle et constitue toujours un processus d’apprentissage. Il s’agit d’apprendre des expériences faites en Allemagne et ailleurs, mais pas de les copier.
En tant que secrétaire général de la RKZ, vous vous êtes engagé pour la création d’organes nationaux afin d’institutionnaliser la synodalité à l’échelon suisse également. Quelle sera la prochaine étape?
La Conférence des évêques suisses (CES) et la RKZ doivent clarifier cette question avec les grandes associations et avec les groupes de réforme. Je suis volontiers prêt à apporter mon expérience du chemin synodal et je pense que le vicaire épiscopal Georg Schwickerath [vicaire épiscopale pour la région Ste-Vérène, diocèse de Bâle, ndlr.], qui a représenté la CES, est également disposé à le faire.
Quel aspect vous semble encore important à l’aune de la démarche allemande?
Entreprendre maintenant des démarches correspondantes parallèlement au synode mondial aurait l’avantage que les processus pourraient s’inspirer et se renforcer mutuellement. En outre, l’Eglise ne manque pas seulement de membres, mais aussi de temps. La fenêtre d’opportunité pendant laquelle les marges de manœuvre financières et personnelles pour des réformes autodéterminées sont encore disponibles se réduit de plus en plus.
Le Synode 72 avait déjà demandé le sacerdoce féminin – et rien ne s’est passé. Le pape François rejette le sacerdoce féminin – même s’il n’est pas aussi catégorique que le pape Jean Paul II. Quelle peut être la suite des événements?
Le texte de base sur le thème «Les femmes dans les ministères et les fonctions» pousse à remettre cette question sur le tapis au niveau de l’Église universelle. Les arguments du magistère contre l’ordination des femmes sont de plus en plus souvent et de plus en plus clairement remis en question, tandis que la conscience de l’égale dignité de tous les êtres humains et de tous les baptisés grandit.
Néanmoins, je m’attends plutôt à des changements progressifs qu’à un grand tournant. Il serait très important que le Synode mondial donne des signaux clairs à ce sujet. S’ils font défaut, cela sera perçu chez nous par beaucoup comme un échec. La synodalité ne peut se passer d’un renforcement théologique du rôle des femmes. La «dimension administrative» évoquée par le pape François n’est pas utile à cet égard. (cath.ch/kath/rr/rz)