Québec: Les «orphelins de Duplessis» sont amers contre l’Etat et l’Eglise

Le gouvernement s’excuse platement, l’Eglise ne le fait pas

Montréal, 28 mars 1999 (APIC) 1’000 francs suisses de «dédommagement» pour les «orphelins de Duplessis», «coupables», dans les années 40 et 50 d’avoir été orphelins. Des garçons et des fillettes que le système a préféré faire passer pour des malades mentaux, pour une triste question de subventions. 1’000 francs, soit le prix pour des brutalités, des agressions sexuelles… Le gouvernement du Québec a présenté de plates excuses. L’Eglise s’y refuse encore. Les 3’000 victimes sont aujourd’hui amers.

Une vieille tragédie secoue l’Etat et l’Eglise du Qubéc. Dans les années 40 et 50, 3’000 orphelins ont été assimilés à des malades mentaux pour une sombre affaire de subventions. Aujourd’hui, après de plates excuses, le gouvernement du Québec, vient d’accorder un «dédommagement» aux «orphelins de Duplessis» aux 3’000 victimes. L’équivalent de 1’000 francs suisses par orphelin qu’on a fait passer «pour fou». Autant dire rien. Quant à l’Eglise du Québec, elle n’en est pas aux excuses. Faute de se reconnaître une responsabilité.

Dans les années 40 et 50, plus de 3’000 de ces orphelins furent pourtant internés dans des institutions religieuses comme malades mentaux. Une compensation «injuste et humiliante», s’indigne Daniel Jacoby, le «Protecteur du citoyen», et qui, plutôt de les cicatriser, rouvre des plaies anciennes mais toujours douloureuses.

L’affaire remonte à une époque où, au Canada, les réseaux de santé et d’éducation étaient confiés aux communautés religieuses. Comment subventionner celles qui accueillaient des orphelins ? Pour éviter une intervention du gouvernement canadien dans un domaine de compétence provinciale, et avec l’accord tacite de ce dernier, Maurice Duplessis, Premier ministre du Québec de 1936 à 1939 puis de 1944 à 1959, et l’archevêque de Montréal convinrent de déclarer malades mentaux des milliers d’orphelins pour les envoyer dans des hôpitaux psychiatriques, les subventions étant plus généreuses dans ce secteur. On imagine la suite: travail forcé, camisole de force pour les récalcitrants, électrochocs, lobotomies, abus sexuels et, pour chacun, la mention «malade mental» dans le dossier médical.

Enquête exigée

Aujourd’hui, les «orphelins de Duplessis ont entre 4O et 50 ans. Ils exigent rune enquête et de quoi vivre décemment. Le gouvernement du Québec leur a présenté des excuses, en leur allouant une «compensation». Un geste «injuste et humiliant», outre qu’il «ne reflète pas le degré de maturité, de générosité et de compassion de la population», indique Daniel Jacoby, qui fait observer que les compensations ont été plus généreuses dans d’autres provinces du pays ayant connu des situations analogues.

Le dépit des victimes va moins aux religieuses qu’aux dirigeants politiques et religieux. Alors que tous espéraient un dédommagement honnête, pour finir leurs jours décemment, le gouvernement québécois, s’il leur a présenté des excuses, n’a pas été très large. Du côté de l’Eglise, Mgr Pierre Morissette, président de l’assemblée des évêques du Québec, n’»est pas en mesure de dire, dans l’état actuel de ses connaissances, que l’Eglise a une responsabilité importante dans cette affaire». «Nous n’en sommes pas aux excuses», a-t-il déclaré.

Et pourtant. A la fin de 1996, une enquête officielle avait déjà conclu que des enfants autochtones avaient été maltraités durant des décennies dans des internats religieux. Le rapport de 4’000 pages, publié à l’issue d’une enquête de cinq ans, était dur pour les Eglises, qui géraient des internats pour Indiens, et le gouvernement fédéral qui en supervisait l’administration. Les autorités d’alors étaient résolues à «élever» et «civiliser» la population autochtone, observait le rapport, révélant qu’en 1907 un quart des 1’500 élèves inscrits dans ces internats n’en sont pas sortis vivants. L’un des six volumes du rapport portant sur les internats rejetait une part de la responsabilité des abus physiques, sexuels et émotionnels subis par les élèves sur la société canadienne, en particulier sur «l’évangélisation chrétienne et les politiques racistes qui se retrouvent au niveau institutionnel dans l’Eglise, le gouvernement et la bureaucratie»

Orphelins, et punis de l’être

A 12 ans, je me suis retrouvé à laver des vieillards dans un asile. D’autres travaillaient à la buanderie, aux cuisines. On formait une main d’œuvre gratuite et soumise», explique aujourd’hui Bruno Roy, porte-parole du Comité des «orphelins de Duplessis», qui demande réparation. Sont témoignage est accablant… On passait la camisole de force à ceux qui osaient protester, on les parquait avec les vrais malades mentaux. On n’a pas lésiné non plus sur les électrochocs ou sur les lobotomies. Plusieurs orphelins, aussi bien garçons et filles, ont été brutalisés, agressés sexuellement. (apic/cip/cx/pr)

30 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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