Que pense le nouveau conseiller fédéral Martin Pfister de la religion?
Le 12 mars 2025, le centriste Martin Pfister a été élu conseiller fédéral, succédant à Viola Amherd. Le catholique zougois de 61 ans se dit attaché aux valeurs de la démocratie chrétienne et au rôle de l’Église dans la société.
Wolfgang Holz, kath.ch/ traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Martin Pfister a été rapidement élu au Conseil fédéral avec 134 voix contre 110 à son challenger, le Saint-Gallois Markus Ritter. Il devrait reprendre le Département fédéral de la défense de la protection de la population et des sports (DDPS), duquel Viola Amherd avait démissionné il y a quelques semaines. kath.ch avait réalisé une interview avec Martin Pfister fin février 2025, alors qu’il n’était que candidat.
Pourquoi voulez-vous devenir conseiller fédéral?
Martin Pfister: Je pense que c’est le bon moment pour moi. Je travaille depuis neuf ans comme directeur du Département de la santé dans le canton de Zoug. Mes enfants sont adultes. Je suis prêt à relever un nouveau défi.
«Mon travail est certainement marqué par les idées démocrates chrétiennes et les valeurs qui en découlent»
J’ai bien évalué mes chances et je m’accorde de bonnes perspectives grâce à mon expérience dans un exécutif. Je m’efforce de me faire connaître à Berne et de me positionner auprès des partis de gauche et de droite. Zoug est un riche canton donateur, qui fait également partie de la région métropolitaine de Zurich, qui n’est pas représentée actuellement au Conseil fédéral.
De quoi vous réjouiriez-vous le plus si vous étiez élu?
Je serais surtout enthousiaste de travailler dans une instance collégiale telle que le Conseil fédéral. Nous avons besoin d’un gouvernement national fort – notamment au vu des développements politiques, des impondérables dans nos pays voisins et de la situation géopolitique changeante. Nous devons être prêts à affronter l’avenir et les problèmes croissants.
Vous vous présentez pour le parti du Centre, qui a entre-temps sacrifié son identité chrétienne dans le nom du parti [l’ancien nom était Parti démocrate chrétien (PDC), ndlr] au profit d’une plus grande attractivité électorale. Soutenez-vous encore cette décision?
Le fait que nous ayons renoncé à la mention ‘démocrate-chrétienne’ dans notre nom ne signifie pas que les membres actuels du parti ont perdu leur identité et leurs convictions démocrates-chrétiennes. Rien n’a changé à cet égard. Par contre, le changement de nom a permis au parti de s’ouvrir et de devenir nettement plus urbain, plus jeune et plus féminin.
Diriez-vous que vous êtes un homme politique chrétien?
Mon travail est certainement marqué par les idées démocrates chrétiennes et les valeurs qui en découlent, comme la subsidiarité, la liberté individuelle, la solidarité et la justice. Je vais à la rencontre de tous. La sauvegarde de la Création est également une cause qui me tient à cœur.
Si vous êtes élu, vous reprendrez probablement la défense nationale. En tant que colonel dans l’armée, mais aussi chrétien, comment pensez-vous que les armes s’accordent avec la Bible et l’injonction de Jésus de tendre l’autre joue?
La sécurité nous permet de mener une vie plus accomplie et plus sereine. En tant que valeur sociale, la sécurité n’est donc pas quelque chose d’anti-chrétien. Au contraire. En disposant du monopole de la violence, l’État protège l’intégrité physique des personnes, ce qui est finalement une attitude chrétienne.
Mais la Suisse, pays neutre, a-t-elle vraiment besoin pour cela de nouveaux avions de combat qui coûtent des milliards? Ne serait-il pas plus chrétien de s’occuper de la pauvreté croissante dans la société suisse?
La situation de la sécurité en Europe a malheureusement changé de manière dramatique suite à l’agression militaire de Vladimir Poutine. Si nous voulons garantir de manière crédible et durable que nos valeurs démocratiques ne seront pas menacées à l’avenir, nous avons besoin, en Suisse aussi, d’une défense nationale fonctionnelle et performante. Et les avions en font partie.
«L’Église jouit toujours d’une grande estime, même auprès des personnes qui n’en sont pas proches»
Quelle importance ont la foi et la religion dans votre vie personnelle? Allez-vous à l’église tous les dimanches?
La foi et la religion sont très importantes pour moi. Je trouve également important que l’Église participe aux débats publics et mène un dialogue intellectuel sur les valeurs avec la société et la politique. En ce qui concerne ma pratique, je ne vais pas à la messe tous les dimanches, mais chaque fois que c’est possible pour moi.
Mais dans quelle mesure l’Église doit-elle être autorisée à s’engager dans la société? Des politiciens fustigent rapidement l’Église lorsqu’elle s’engage politiquement, comme cela a été le cas lors de l’initiative sur les multinationales responsables.
En tant qu’institution, l’Église fait partie de la société et, comme je l’ai dit, elle peut et doit participer au dialogue politique. Dans les cantons où l’Église est financée par les impôts, certaines limites sont toutefois fixées. Par exemple, elle ne devrait pas s’engager dans ce cas dans la propagande politique, mais se concentrer avant tout sur ses compétences clés – comme le financement de son personnel et de ses infrastructures ainsi que ses tâches sociales, qui sont très précieuses. Il ne faut donc pas sous-estimer l’importance de l’Église. Elle jouit toujours d’une grande estime, même auprès des personnes qui n’en sont pas proches.
Comment le constatez-vous?
Je vois toujours, par exemple à l’occasion d’enterrements, à quel point l’Église est appréciée. Les gens continuent à se réunir dans les églises pour des funérailles. En tant que directeur de la santé, j’ai vu comment l’Église a été un soutien important pour de nombreuses personnes pendant la pandémie de Covid. Enfin, je trouve positif que l’Église catholique en Suisse, en raison de son système dual, ait mis en place des structures permettant un échange permanent entre les représentants du clergé et les représentants ecclésiaux élus démocratiquement. Ce système dual rend les changements réalisables, et il constitue une base solide pour les fidèles.
«J’apprécie beaucoup le pape François pour son rayonnement ouvert et humain et pour son souci des autres»
Mais l’Église catholique traverse également une crise profonde: sorties massives, scandale des abus, tabou de l’ordination des femmes. De votre point de vue d’homme politique catholique, l’Église peut-elle être réformée?
L’Église catholique se trouve certainement à la croisée des chemins. Pour redevenir crédible aux yeux des gens dans notre société moderne, elle doit s’efforcer d’éliminer les anachronismes. Pour ce faire, elle doit sortir de l’inertie qui la caractérise depuis des décennies et devenir active, aborder ses problèmes de manière autonome. C’est aussi une grande chance, celle de s’engager pour de nouvelles libertés et pour une nouvelle signification sociale.
Que pensez-vous du Vatican? Une structure encore très monolithique.
En tant que puissance ecclésiastique et politique, le Vatican a une portée mondiale. Cela signifie que les sensibilités européennes n’ont pas la même importance pour les pays du Sud, qui auront à l’avenir une plus grande importance au Vatican. C’est pourquoi la voie synodale devient de plus en plus cruciale. En d’autres termes: le Vatican doit permettre l’introduction de structures de plus en plus décentralisées et autonomes afin de permettre des solutions de restructuration adaptées à tous.
Personnellement, j’apprécie beaucoup le pape François pour son rayonnement ouvert et humain et pour son souci des autres. (cath.ch/kath/woz/rz)
Martin Pfister est né en 1963. Il a été directeur de la santé au sein du gouvernement zougois depuis février 2016. Marié, il est père de trois filles (1989, 1992, 2003) et d’un fils (2001) et grand-père de quatre petits-enfants. Il a étudié l’histoire et la germanistique à l’Université de Fribourg, où il a obtenu sa licence. Ses passe-temps sont la randonnée, le jogging, la culture et la lecture. Il vit avec sa famille à Baar (ZG). WOZ